Sur la route

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Le palais se dressait à une petite heure de route, ce qui était un long trajet pour notre héroïne. Quelques instants plus tard, des coups désagréables résonnèrent, forçant le cocher à s’arrêter. Cendrillon avait utilisé ses mains pour produire des sons : l’une tambourinant contre la porte, l’autre grattant le métal de la calèche. Victor descendit pour voir ce qu’elle voulait.

« Je m’ennuie ! déclara-t-elle en faisant la moue.

— Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il, étonné.

— Me divertir. »

Le cocher, désemparé, se frotta la tête, souleva une de ses boucles et la roula entre ses doigts, réfléchissant. Puis, déclara sur un ton hésitant : « Je ne pense pas que… mon rôle soit de vous divertir. On m’a simplement ordonné de vous accompagner.

— Vraiment ! s’exclama-t-elle d’un air faussement étonné. Je suis sûre que la fée a juste oublié de le mentionner. »

Victor resta un moment pensif, se demandant s’il avait effectivement raté cette information. Puis il finit par dire en lâchant sa mèche : « Comment pourrais-je vous divertir ?

— C’est très simple, je voudrais m’asseoir à l’avant.

— Je vois, répondit-il d’un ton froid, devinant sa manigance. »

Il ne dit plus rien et retourna à sa place. Cendrillon, s’attendant à ce qu’il l’invite à s’asseoir près de lui, fut déçue de son silence. Elle tapa plusieurs fois sur la porte, mais le jeune homme demeura insensible à ses appels et poursuivit son chemin. Elle décida alors de changer de tactique, et déclara en adoptant une voix mielleuse : « S’il vous plaît, Victor, laissez-moi passer devant, je m’ennuie ici ! »

Le jeune homme continua d’avancer, l’ignorant.

« Victor ! cria-t-elle. Victorio… Victorissimo, reprit-elle en gesticulant comme à l’Italienne. » Elle se mit alors à parler dans cette langue, ou du moins, c’était ce qu’elle croyait : « Prego, Victorio… per favore, Victorissimo ! »

Victor restait sourd à ses appels. Lassée par toutes ses tentatives qui n’aboutissaient à rien, elle prit une grande inspiration avant de crier haut et fort : « Vous n’êtes qu’un rat ! Vous n’avez pas le droit de vous comporter ainsi. »

Cette fois-ci, Victor tira sur les rênes pour s’arrêter et descendit rapidement. D’un geste nerveux, il ouvrit la porte, lui ordonnant de sortir. Cendrillon remarqua son air irrité et décida de détendre l’atmosphère, bien entendu, à sa manière : « Êtes-vous vexé par le fait que je vous rappelle que vous n’êtes qu’un rat ? » Le cocher ne répondit pas et lui fit signe de s’installer à l’avant.

« Pas besoin de renier vos origines ! » rétorqua-t-elle en lui tendant la main pour qu’il l’aide à monter. Mais Victor l’ignora encore une fois et grimpa seul. Elle comprit qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même pour s’installer à l’avant. Elle s’efforça d’y monter, mais sa robe l’en empêchait. Finalement, Victor, voyant ses difficultés, prêta main-forte à la jeune fille et la souleva délicatement.

Cendrillon s’installa à ses côtés et, aussitôt, elle essaya de lui enlever l’attelage des mains. D’un regard chargé de reproches, le jeune homme la dissuada d’un geste. Pendant un moment, elle se dit qu’il valait mieux se montrer tranquille. Cependant, chez notre héroïne, la sagesse avait toujours une durée limitée. Elle commença à parler de tout et de rien. Au début, Victor s’efforçait de rester silencieux, mais ses insistances le poussèrent à répondre. En revanche, quand il s’agissait de dévoiler des informations sur son passé ou sur la fée Oudina, il se murait dans le silence.

« Ce rat n’est pas très bavard, » conclut-elle à haute voix. À cette remarque, Victor sourit sans détacher son regard de la route. Dans cette position, elle ne pouvait apercevoir qu’une seule de ses fossettes, ce qui la frustra.

« Avez-vous été un rat toute votre vie ? demanda-t-elle en le scrutant avec bienveillance.

— Peut-être bien, répondit-il, le sourire ancré sur son visage. »

Si cette cicatrice n’avait pas persisté entre le nez et sa joue, il aurait été l’un des hommes les plus charmants du royaume, pensa Cendrillon en ajustant sa coiffure. Puis comme pour se débarrasser de sa mauvaise conscience, elle lui avoua : « Vous êtes venu me voler de la nourriture, c’est pour cela que j’ai cherché à vous dégager en vous infligeant une blessure.

— Voilà que maintenant, vous m’accusez de vol ! s’exclama-t-il, légèrement vexé.

— Si ce n’est pas le cas, que faisiez-vous dans ma cuisine ? »

Victor soupira longuement avant de reprendre, un sourire au coin : « Peut-être que j’avais juste envie de vous voir ! »

Cette révélation soudaine déstabilisa aussitôt Cendrillon. Cette phrase aurait pu être charmante si le cocher avait été un simple jeune homme, mais venant d’un rat, cela prenait une autre dimension !

Elle décida de ne rien dire en observant la route. Pour une fois, Victor sentit qu’il avait réussi à lui clouer le bec.

Elle fut émerveillée en apercevant le château du roi, dressée majestueusement sur le flanc d’une colline. La clarté de la lune, les feux de camp et les torches qui l’illuminaient offraient un spectacle éblouissant. Ses tours élancées semblaient toucher le ciel, et ses murs en pierre, ornés de sculptures évoquant les batailles passées, racontaient l’histoire d’un royaume glorieux. Cependant, cette beauté ne masquait pas le contraste frappant de la réalité extérieure. Non loin des murs du château, des groupes de pauvres gens attendaient, affamés et mal vêtus, espérant qu’on leur serve les restes, sans jamais avoir été conviés à partager la table des riches.

Leurs visages marqués par la fatigue et la faim témoignaient d’une lutte quotidienne. Regroupés autour d’un feu de camp, ils avaient reçu quelques breuvages et quelques morceaux de pain. Cette scène, pénible à voir, attristait profondément notre héroïne, qui réalisait que la providence l’avait favorisée en négligeant toutes ces personnes. Alors qu’elle réfléchissait à un moyen de soulager sa conscience, Victor lui rappela la consigne de ne pas dépasser minuit.

« Je sais ! répondit-elle en arrangeant la veste du jeune homme, qui s’en allait de travers. À propos, que font les cochers pendant que les invités s’amusent ?

— Je ne sais pas trop, dit-il en se frottant la tête. Je ne vais pas tarder à le découvrir. »


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