la salle du bal

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Une fois dans la grande salle, Cendrillon, qui se trouvait toujours en compagnie du chevalier, retira rapidement son bras, lui lançant un simple regard qui signifiait qu’elle souhaitait poursuivre seule. Bien qu'il fût attristé par sa décision, le jeune homme inclina légèrement la tête pour la saluer et la laissa partir, pensant avoir trouvé une cavalière pour la soirée. Mais Cendrillon avait décidé autrement. Son regard se posa sur un groupe de jeunes filles et, immédiatement, il passa à autre chose.

Tant de lumière éblouit notre héroïne dès son entrée. Le spectacle qui s’offrait à elle resterait gravé longtemps dans sa mémoire. Dans la vaste salle du château, de majestueux lustres en forme de mandala illuminaient l'ensemble d'une douce lumière, créant une atmosphère chaleureuse. Les tables, ornées de nappes blanches délicatement brodées de fleurs bleues, apportaient une touche d'élégance à la décoration. De superbes bouquets de fleurs fraîches, mêlant des nuances de rouge, de blanc et de vert, étaient disposés avec soin au centre de chaque table, exhalant des parfums délicats qui enivraient l’air. La porcelaine, d'un blanc immaculé, scintillait sous les reflets des lumières, tandis que les couverts en argent brillaient tels des étoiles, renvoyant des éclats lumineux dans toute la pièce. La variété des mets disposés sur les tables était tout simplement impressionnante, offrant un festin coloré qui éveillait les sens et promettait une soirée inoubliable. Cendrillon se demandait combien d’heures de travail et combien de personnes avaient contribué à décorer la pièce et à préparer tous ces plats.

Un vieux monsieur nommé Clive s’approcha d’elle pour l’annoncer. Cendrillon lui affirma que ce n’était pas la peine. Après tout, elle connaissait presque tout le monde. Ce qu’elle ne semblait pas comprendre, c’était qu’elle était l’inconnue qu’on devait introduire.

— Laissez-moi, jeune demoiselle, au moins vous expliquer les consignes de la soirée.

— C’est inutile, répondit-elle en agrippant l’épaule du vieillard. Monsieur, reprit-elle, comme si elle avait quelque chose de sérieux à annoncer, on m’a tout dit ! Je sais même ce que je n’aurais pas dû savoir.

Étonné par ses manières, le majordome la considéra gravement. Bien que la jeune fille fût d’une beauté remarquable, il n’était pas habitué à ce que des inconnues s’approchent d’aussi près de lui. Et de plus, il ignorait de quoi elle parlait. La confusion montante de l’homme amusait Cendrillon. Elle poussa le jeu un peu plus loin en lui faisant signe qu’elle était anéantie par la nouvelle, celle dont il était censé être au courant. Elle finit par le lâcher et s’en alla aussitôt se faufiler entre les invités.

Les groupes de gens récemment formés interrompaient rapidement leurs discussions pour la dévisager. Pour une fois, Cendrillon ne se sentit pas aussi à l'aise qu’à son habitude. Tous ces regards exprimaient, malgré eux, une certaine hostilité ou, au contraire, de l’admiration. Une peine indescriptible la submergea. Elle voyait ces jeunes hommes frustrés à qui elle n’offrirait jamais son cœur. Elle remarquait ces demoiselles l’envier à cause d’une jolie robe ou de sa beauté dont elle n’était nullement responsable. Elle apercevait tous ces parents anéantis par le fait que leurs chances de se lier au prince se réduisaient. Tout cela l’affligeait. Elle aurait aimé être discrète, ne pas provoquer de tels ressentiments et passer inaperçue. Mais sa tenue la rendait remarquable. Le regard insistant de certains commençait à l’agacer, ce qui la poussa à casser son image en réarrangeant son apparence. Pour cela, elle plongea subitement sa main dans le plat soulevé par un vieux valet. Bien que ce dernier fût surpris par ses manières, il se positionna de manière à lui permettre de mieux se servir. Elle prit un gros morceau d’agneau et, sans aucune délicatesse, le porta tout entier à sa bouche.

Un deuxième laquais, cette fois-ci beaucoup plus jeune, passait non loin d’elle. D’une démarche assurée par ses fonctions, il avançait fièrement, exposant avec grâce son plat. Ce dernier contenait des parts de poulet joliment disposées. Cendrillon, qui n’avait pas encore fini son morceau d’agneau, fit le même geste en plongeant à nouveau sa main dans le nouveau plateau et se resservit. Mais, contrairement au vieux valet, l’homme la fusilla du regard. Pour se faire pardonner ce manque de tact, la jeune fille voulut réorganiser la décoration qu’elle venait de désordonner. Avec ses quelques doigts libres, elle essaya de remettre les morceaux à leur place, mais ne fit que saccager l’arrangement restant. Cendrillon supplia le laquais de l’excuser, grimaçant une moue de désolation. Celui-ci ne put résister à son charme et lui esquissa sur-le-champ un sourire.

Maintenant qu’elle avait deux sortes de viande entre les mains, elle croqua dans l’un, puis dans l’autre tour à tour, à l’exemple d’un barbare. Certains se moquaient en riant à gorge déployée, d’autres la regardaient, scandalisés, tandis que quelques enfants présents se mirent aussitôt à l’imiter. Quelle ne fut pas leur immense joie d’observer une adulte avec si peu de manières ! Une jolie demoiselle avec un appétit féroce, dévorant comme une ogresse tout sur son passage.

Leurs parents les réprimandèrent en leur donnant quelques tapes sur les fesses. Les gosses, qui n’avaient pas fini de mâcher leur pitance, pleuraient en exhibant avec insouciance leurs bouches ouvertes, n’hésitant pas à montrer du doigt la responsable.

Cendrillon chercha une serviette pour se nettoyer. Mais au lieu d’en prendre une, l’idée lui vint de s’essuyer discrètement les mains dans la robe d’une jeune fille du marché qu’elle détestait. En s’approchant d’elle, non seulement la demoiselle ne l’avait pas reconnue, mais elle lui avait également gratifié d’un joli sourire. Cette méconnaissance soudaine la freina dans son élan. Comment aurait-elle pu exécuter son plan si elle se trouvait en face d’une personne qui ne distinguait pas l’ennemie ? Son acte aurait été aussitôt jugé comme étant lâche et elle se le serait reproché.

En promenant curieusement son regard dans la salle de réception, la jeune fille réussit à apercevoir non loin du grand buffet Jane et Anne. Leurs gestes étaient partagés entre la dégustation des délices qui se trouvaient à leur disposition et leur discussion avec d’autres demoiselles. Elle chercha si sa belle-mère était dans les parages, mais elle ne la trouva pas.

De temps en temps, ses deux sœurs se chuchotaient à l’oreille et explosaient de rire en même temps, sans même faire participer leur entourage. Ces derniers, un peu vexés, trouvaient toujours un prétexte pour s’en aller.

— Je vais devoir leur apprendre quelques règles de conduite, songea Cendrillon. Elles ne savent même pas se comporter en public.

Étonnante réflexion de la part d’une personne qui venait de manger devant tout le monde comme un cochon. D’une démarche assurée, elle se dirigea tout droit vers ses sœurs.

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