trois Soeurs

4 minutes de lecture

Les sœurs demeurèrent un long moment à observer les couples virevoltant sur la piste. Les jeunes cavaliers tourbillonnaient avec leurs partenaires, exécutant à qui mieux mieux la plus belle des chorégraphies. Ils mettaient en avant leurs jolies cavalières avec fierté, comme s'il s'agissait de trophées fraîchement remportés. Cette compétition révélait la véritable nature humaine. Parfois, ces couples s'oubliaient un instant, se laissant emporter par la joie de leurs mouvements. Ils riaient timidement à la suite d'une maladresse, mais se rattrapaient aussitôt avec aisance.

Cendrillon connaissait presque toutes les jeunes filles présentes ce soir-là et se réjouissait de leur bonne humeur. Bien qu'elle n'éprouvât pas toujours de l'affection pour certaines d'entre elles, elle leur accordait, pour une fois, le droit d'être heureuses.

Un jeune homme s'approcha d'elle et l'invita à danser, tandis que le prince qui venait de sortit discrètement en dessus de table l'observait de loin, silencieux.

Sa remarque fut directe et brusque. Elle lui suggéra plutôt de prendre sa plus jeune sœur comme partenaire. Sans attendre sa réponse, elle s'éloigna rapidement, en quête des cuisines.

Jane, toute confuse, ne savait que répondre. Elle n'eut même pas le temps de répliquer que l'homme était déjà parti. Embarrassée, elle ne savait plus où donner de la tête, mais la main douce et respectueuse de Ralph, le chevalier de la cour, l'interpella. Il avait à peine effleuré son épaule.

– Accordez-moi, mademoiselle, cette danse ! proposa-t-il en lui faisant une révérence.

Les cheveux du chevalier glissèrent en suivant son mouvement. La cadette mit un moment à réaliser qu'il lui adressait la parole. Hésitante, elle acquiesça et prit sa main. Tout heureuse, elle avança fièrement sur la piste.

Cendrillon éprouva un soulagement en constatant que la foule s'était habituée à sa présence, lui permettant de se déplacer sans attirer l'attention. Cependant, le prince qui l'observait jusque-là se mit à la suivre discrètement. Quelques jeunes filles s'approchèrent pour l'aborder, mais ses gardes les dissuadèrent avec fermeté.

                                                                                  * **

Pendant ce temps, la belle-mère, accompagnée de monsieur Filmard, était rentrée chez elle pour corriger son erreur. Elle fouilla chaque recoin de la maison, mais ne trouva aucun signe de sa belle-fille. Elle suggéra au cocher de jeter un œil dans la grange et les écuries pendant qu'elle irait explorer le jardin. Après un moment, ils se retrouvèrent dans la pièce principale. D'un air abattu, la belle-mère s'exclama en posant nerveusement ses poings sur la table : « Bon sang ! Où peut-elle bien être ? »

— Ne vous inquiétez pas, madame, la rassura le cocher, tenant son chapeau entre les mains. Elle a probablement été surprise par la nuit et s'est endormie au beau milieu du chemin. Certes, la situation n'est pas des plus rassurantes, mais son caractère tenace la protègera de la meute de loups qui rôde ces jours-ci dans la forêt.

Horrifiée par le franc-parler de son interlocuteur, la belle-mère trembla de tout son corps.

« Avez-vous dit une meute de loups ? »

— Croyez-moi, madame. Compte tenu du tempérament de votre belle-fille, je crains plutôt pour les loups !

Loin d'être rassurée, la belle-mère se crispa, peinant à tenir sur ses pieds. Elle tira une chaise vers elle pour s'asseoir.

« Comment ai-je pu être aussi cruelle en la laissant seule ? »

— Mais non, voyons ! Vous vous culpabilisez, alors que c'est plutôt elle qui chipotait pour rester.

— Je n'aurais jamais dû la laisser s'en aller dans la forêt à une heure si tardive, murmura-t-elle, en se tenant la tête entre les mains. Puis, se tournant vers le cocher, elle ajouta : S'il vous plaît, monsieur Fil, allez chercher mes filles. Il n'y a plus rien que vous puissiez faire. Quant à moi, je vais rester ici, attendre le retour de Cendrillon.

— Malheureusement, je ne suis pas sûr qu'elle puisse réapparaître ! Il n'y a pas que les loups qui soient gros et méchants. Vous savez...

— Partez, monsieur ! ordonna-t-elle, irritée. Vous avez déjà assez dit comme ça ! Mes filles, certainement, vous attendent.

La belle-mère baissa la tête, croisant les bras. Monsieur Filmard hésita à partir, faisant tourner anxieusement son chapeau entre ses mains. Il se rendit compte de son erreur en ayant affolé la pauvre dame plutôt que de la réconforter. Cela le poussa à s'avancer vers elle et, d'une voix apaisante, il s'exclama :

« J'ai déjà anticipé la situation en demandant à l'un de mes amis de ramener vos filles. Je me suis préparé à l’éventualité de devoir aller à sa recherche dans les bois. »

La belle-mère, surprise par sa déclaration, le regarda sans dire un mot. Elle n'aurait jamais imaginé une telle initiative de sa part. Cet homme, qui paraissait centré sur lui-même, venait de laisser transparaître un peu d'humanité.

« Vous êtes un homme bien ! déclara-t-elle d'une voix revigorée. Allons-y, sur-le-champ !

— Ne vous inquiétez pas, madame, les loups vont avoir peur dès qu'ils apercevront ma présence ! Cendrier sera sauvée.

— Cendrillon ! Monsieur Fil, elle se nomme, Cendrillon. »

Annotations

Vous aimez lire Djidji Trakos ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0