à la recherche de la petite bete

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Cendrillon réalisa rapidement que sa réaction n’était pas la plus appropriée. Elle décida de se ressaisir et d’opter pour un compromis.

— Je suppose que tu n’as pas eu d’autre choix que de lui remettre les pantoufles ! déclara-t-elle d’un ton apaisant. Le prince a-t-il le moindre doute sur nos liens ?

— Il ne me semble pas ! répondit Anne en essuyant ses larmes. Elle marqua une pause, l’air songeur, avant que ses yeux ne s’illuminent soudain, comme si un souvenir lui était revenu. Je lui ai remis une seule paire de pantoufles, reprit-t-elle, en le convainquant que c’était la seule que je possédais.

— Bien joué ! s’empressa de complimenter l’aînée, enveloppant sa sœur de sa bienveillance. Il faut absolument que tu me montres l’autre paire. J’ai besoin de vérifier quelque chose, Anouchka. »

Quelques minutes plus tard, elles se trouvaient dans la chambre de la benjamine, examinant la pantoufle avec attention. Jane, affalée sur le lit de sa sœur, était ravie que cette histoire ne la concernait pas. Les préoccupations de Cendrillon avaient souvent tendance à troubler toute la famille.

Anne observait la scène avec anxiété, persuadée que sa sœur était préoccupée par l’état de la chaussure, tandis que Cendrillon, perdue dans ses pensées, laissa la pantoufle glisser au sol, prête à l’essayer.

« Je ne l’ai pas mise, déclara immédiatement Anne, inquiète. Je n’ai pas eu le temps de l’élargir ! »

Cendrillon leva un regard distrait vers elle, visiblement ailleurs.

« C’est impossible de l’élargir, lança Jane sans réaliser la délicatesse du sujet. Tu chausses plus petit qu’elle. L’as-tu déjà oublié ? »

Anne jeta un regard réprobateur à sa sœur, tentant de la mettre en garde contre les conséquences de ses mots. Mais Jane, toujours allongée sur le dos à scruter le plafond, ne semblait pas s’en soucier. La benjamine claqua discrètement des doigts pour attirer son attention.

« Étrange ! murmura pensivement Cendrillon, ignorant l’inquiétude de sa sœur. Elle est toujours à ma taille. »

Les deux sœurs échangèrent un regard perplexe, ne sachant que penser de cette remarque. Cendrillon poursuivit, comme si elle s’adressait à elle-même : « Cela signifie que les pantoufles n’ont pas repris leur taille initiale. D’abord, Victor ne s’est pas transformé, et maintenant, ceci ! s’exclama-t-elle en tournant la pantoufle dans tous les sens. »

Puis, tout à coup, elle s’attela à arranger ses mèches rebelles, pinça délicatement ses joues pour les faire rougir, et ajusta les plis de sa robe avec soin.

« Il est grand temps d’aller voir Victor ! annonça-t-elle avec détermination. Il doit sûrement crever de faim. »

Cendrillon s'avançait d'un pas déterminé, un plateau joliment décoré entre les mains. Celui-ci, délicatement orné de motifs floraux, portait une épaisse tranche de pain doré, un fromage de brebis découpé avec soin, une soupe de légumes parfumée, une omelette aux champignons savoureux et une tasse de thé fumante. Derrière elle, Jane et Anne la suivaient, fascinées par l'aura énigmatique de cette nouvelle connaissance.

« Qui était ce jeune homme ? se demandaient-elles intérieurement. Et pourquoi notre grande sœur, avant même de lui rendre visite, semble-t-elle tant préoccupée par son apparence ? »

Les deux jeunes filles furent surprises de constater qu’elles se dirigeaient vers la grange.

« Ça doit être un animal, pensa naïvement Jane. Elle a l’habitude de parler des bêtes comme si c’étaient des personnes. Sinon, elle ne l’aurait pas installé ici. »

« Un invité pas suffisamment digne pour passer la nuit dans notre maison, réfléchit Anne. Mais en même temps, il doit être assez important pour qu’elle lui prépare un plateau de déjeuner si copieux. »

Cendrillon passa une dernière main dans ses cheveux pour arranger sa coiffure avant d’ouvrir le portail de la grange.

« Je suis vraiment désolée, Victor, de ne pas avoir pu venir plus tôt, annonça Cendrillon en balayant les lieux du regard. Nous avons reçu une visite. C’était Bérengère, la fille du boucher. Je vous en ai déjà parlé… »

Les lieux demeuraient silencieux, aucun signe du jeune homme dans les environs. Cendrillon déposa le plateau sur le siège d’une charrette, puis se mit à fouiller le tas de foin où il s’était allongé la veille. Ses sœurs, intriguées et perplexes, l'observaient avec curiosité.

« Victor ! » s'écria-t-elle en creusant frénétiquement dans la paille. « Victor, êtes-vous là ? »

Jane, sans vraiment saisir la raison de l'agitation de sa sœur, se laissa emporter par son enthousiasme et commença à soulever tout ce qui lui tombait sous la main, répétant à son tour le nom de l’inconnu. Anne, les bras croisés et le visage marqué par l’incompréhension, secoua la tête avec exaspération.

« Mais que cherchons-nous, au juste ? » protesta-t-elle finalement. « Qui est ce Victor ? »

Cendrillon, après avoir retourné la grange de long en large, s'effondra au sol, accablée par une détresse qu'elle n'avait jamais montrée devant ses sœurs. Sa voix tremblante trahissait son désespoir. « Je crois que Victor… ce jeune homme a retrouvé sa forme d'origine. Celle d'un… rat. »

— Mais que dis-tu ? demanda Anne, ébahit. Aucun homme de chair et d’os ne se transforme en rat, voyons !

— Il a dû retrouver sa véritable apparence, expliqua dans un murmure l’aînée en se pressant de s’essuyer les yeux du revers de sa manche. »

— Tu pleures ? remarqua Jane, tristement

— J’espère qu’il va continuer sa vie, murmura Cendrillon, les larmes aux yeux, tandis qu'elle sortait de sa poche un mouchoir d'une propreté éclatante pour s’essuyer le visage…J’espère que Maurice ne lui fera pas de mal ! Ah, ce chat… si je l’attrape ! s’écria-t-elle en mimant ce qu’elle était prête à faire à l’animal. Mais ce qui me chagrine le plus, poursuivit-elle en frottant ses yeux, c’est que je n’ai même pas eu le temps de lui dire au revoir !

— Je ne sais pas ce qui t’arrive, Cendrillon, mais il est certain que tu vis dans l’une de tes histoires fantaisistes ! constata la benjamine, le regard interloqué.

À ses côtés, Jane lança un regard significatif à sa sœur, lui intimant de se taire. Puis, s’approchant à pas feutrés de l’aînée, elle se pencha et s’assit pour la consoler comme on le ferait avec un enfant. Il était fréquent entre elles, d’inverser les rôles pour mieux exprimer leur affection. Jane enroula un bras autour de Cendrillon et lui fit reposer la tête sur son épaule.

« Ne t’inquiète pas, ma chère, nous allons retrouver ton Victor ! Et même s’il est tout rikiki, nous prendrons soin de lui, assura-t-elle, montrant de sa main libre la taille supposée de l’animal.

— Il n’est pas si petit que ça ! rétorqua, immédiatement, Cendrillon, soucieuse de la comparaison. Ce n’est pas une souris ! »

Jane écarta le pouce et l’index pour élargir la taille suggérée toute en étant amusée.

— Encore ! s’exclama Cendrillon, toujours insatisfaite. C’est un rat, tout de même, en pleine forme !»

La cadette retira son bras réconfortant pour indiquer, cette fois-ci, avec ses deux mains, une distance phénoménale.

Anne, observant la scène, fit une grimace, l’air de se demander comment un rat pouvait avoir la taille d’un chat. Elle restait en retrait, admirant sans oser l’exprimer cette complicité entre ses sœurs. Elle avait toujours eu du mal à exprimer ses émotions et, bien qu’elle souhaitât se rendre utile, son impuissance la poussait à se résigner. Tandis que les deux sœurs étaient absorbées à imaginer la taille de l’animal, la benjamine entendit un bruit à l’extérieur de la grange.

Anne s'approcha de l'interstice du mur en bois et jeta un regard curieux à travers le trou. Ce dernier lui offrait une vue sur le vaste champ qui s'étendait derrière la grange. Au loin, elle distinguait un jeune homme s'affairant à labourer la terre avec l'aide d'une vache. L'homme s'efforçait d'inciter l'animal à avancer, mais la bête, obstinée, demeurait immobile, défiant ses efforts avec une tranquille détermination.

En scrutant les détails de la vache, elle eut l’impression de la reconnaître. Balayant la grange du regard pour s’assurer de l’absence de leur propre bête, elle s’écria aussitôt : « Les filles ! »

Les deux sœurs poursuivaient leur discussion, sans prêter attention à Anne.

— Les filles ! hurla-t-elle, exaspérée d’être constamment ignorée. Il y a un jeune homme dans nos champs. Il semble se battre avec Lili, notre vache ! »

Cendrillon et Jane se levèrent d’un bond en se dirigeant vers l’endroit où était la benjamine et observèrent à leur tour. L’aînée écarquilla les yeux en reconnaissant son ami, Victor. La tristesse qui l’avait envahie quelques minutes plus tôt laissa place à une joie indescriptible. Elle déposa un baiser rapide sur la joue de Jane avant de partir en courant.

« Et moi, je compte vraiment pour du beurre ? gronda Anne, vexée. C’est moi qui l’ai vu en premier !»

Sans se retourner, Cendrillon lança avec un grand sourire :« Merci, ma chère Anouchka adorée ! »

Les deux jeunes filles observèrent la scène, tout en se bousculant chacune avec son coude pour bien voir à travers de l’interstice. Cendrillon tapa plusieurs fois sur le bras du jeune homme, inconsciente de la force de ses gestes, tout en lui faisant des reproches. Victor recula pour éviter ses coups, lui expliquant qu’il n’était pas parti, mais qu’il cherchait simplement à se rendre utile. Elle finit par faire quelques tours sur elle-même, applaudissant de joie à l’idée de le revoir. Jane réalisa alors l’importance que ce jeune homme avait aux yeux de sa sœur et se demanda si Cendrillon ne s’était pas un peu amourachée.

« Eh bien, je crois que Cendrillon a trouvé son Victor, observa Jane avec un sourire en coin.

— Et c’est moi qui l’ai vu en premier, conclut Anne, fière de sa découverte, ignorant tout de ce qui se passait sous ses yeux. »

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