L'orgue
Je rentre à l’intérieur.
Le bâtiment est abandonné. On sent bien que quelques âmes nostalgiques ont essayé de l’entretenir. Mais par manque de temps ou d’envie, elles semblent avoir cessé.
Les murs pourris par la pollution et la moisissure sont devenus noirs. Les magnifiques vitraux qui laissaient la lumière chaude et salvatrice du soleil inonder l’édifice sont totalement obstrués, recouverts de cette crasse qui s’accumule depuis bien trop d’années.
L’odeur y est nauséabonde. Je ne parviens toujours pas à m’y habituer. Un mélange de merde et de désespoir, qui me rappelle que son effondrement n’est plus très loin.
L’odeur de la mort.
Qu’est-ce que je fais ici. C’est la question que je me pose tandis que mon regard vadrouille ci et là.
Des tableaux tagués recouverts de poussières. Des fondations et des murs craquelés. Même les bancs pourtant si solides sur lesquels je me reposais ont été brisés.
Alors que reste-t-il ? Dans ce décor apocalyptique, qu’il y a-t-il encore d’intéressant ? D’agréable ? De beau ?
Il y a bien une chose. Une chose qui brille au fin fond de l’obscurité de ce temple. L’unique bien que j’aimerai ne pas voir disparaitre quand ce trou à rat mourra avec moi.
Un orgue.
Ses longs tuyaux s’élèvent jusqu’au toit pourri de la bâtisse dans une magnificence rare. Rare par rapport à quoi ? Aux toiles d’araignées et aux merdes de rats ? Il ne m’en faut probablement peu.
Ce n’est pas un très bon modèle. Et il n’est même pas correctement accordé. Mais je prends tout de même un grand plaisir à en jouer. Bien que je manque d’entraînement et de connaissances, je pense être plutôt bon.
Tout du moins c’est ce que l’on m’avait dit. Mais il ne reste plus que moi pour me juger. Pour me conseiller. Pour m’aider.
Alors je m’installe. Et avec plus ou moins d’inspiration, je compose une mélodie.
On est très loin de Baudelaire ou de Victor Hugo.
Mais je la trouve à mon goût.
Alors je la continue.
Les notes sinistres s’enchainent et se mélangent pour créer un tout harmonieux et cohérent.
La musique s’échappe des tuyaux et remplit le bâtiment qui me rend un écho distordu. Mais peu importe ce que j’entends, j’essaye de me concentrer sur ce que je ressens.
Mes pieds pressent les pédales tandis que mes mains pianotent sur le clavier et que l’endroit m’inspire la suite des notes. Elles viennent sans vraiment que j’y réfléchisse, prenant possession de mes bras pour que mes doigts transmettent mes émotions. Transmettent nos émotions.
Le temps passe. Alors cette sensation de puissance disparait tandis que l’inspiration est submergée par des courants d’air brefs qui dérangent le processus créatif.
Je ralentis. Les notes s’enchainent moins rapidement. De manière moins naturelle. Jusqu’à l’arrêt.
Le silence.
Il est de nouveau là. Déchiré uniquement par ces brises qui me fouettent le visage de leur froideur terrifiante.
Le froid de l’extérieur.
Je regarde l’orgue. Je regarde où je suis. Les quelques secondes qui m’ont donné l’impression de voyager sont bien loin derrière moi désolées. Car je n’ai pas bougé. Je suis toujours coincé ici. Toujours.
Alors quoi ? Je dois recommencer ? Recommencer à jouer, encore et encore, avec le seul objet encore en état de marche ?
Pour quel intérêt ? A quoi bon chercher un bonheur éphémère et fugace s’il n’apporte qu’une illusion de liberté et de bien-être.
A quoi bon rester en vie dans cet endroit ? A quoi bon continuer ?
Alors je me concentre. Quelques secondes. Le temps de calmer ma respiration. De me reposer.
Mais je n’en peux plus. Je n’en peux plus de cet endroit. De cette odeur. De cette sensation.
Alors je le détruis.
Une boule de destruction traverse l’édifice, de la droite à la gauche, sans crier gare.
Mais les mélodies, elles, resteront.
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