Une chaude nuit d'été
"Et là, y paraît que la Lucette, elle lui a dit que son Charles, il avait p'u de douleurs dans l'épaule. T'y crois, toi?" Termina le vieux Jean tout en vidant sa pinte de bière. Son regard vitreux cherchant celui d'Alphonse qui hochait la tête tout en regardant la manche du vieillard tremper dans du liquide brun qu'il venait de renverser. " M'enfin, c'est la Marie qu'y a dit à Yvonne, ch'ais pas si faut l'écouter... Elle a un truc, c'est Yvonne qu'y dit qu'on peut pas y faire confiance, qu'elle a le regard mauvais..." Le veillard continuait, insensible au fait que plus personne ne faisait attention à lui et que la seule personne qui l'avait écouté jusqu'à présent se préparait à le quitter.
Alphonse regarda sa montre, il était temps pour lui de rentrer chez lui. Avec un geste léger de la main en direction du vieil homme, il sortit du bâtiment pour se retrouver confronter à l'air chaud et moite d'une nuit d'été. Le pub se trouvait en plein milieu du village d'Epineuil le Fleuriel, et sa maison se trouvait à une quinzaine de minutes à pied. On ne voyait pas grand chose, l'éclairage public s'éteignait automatiquement après vingt-trois heures. Il poussa un soupir de lassitude et s'aventura dans la pesanteur de l'air nocturne, imaginant déjà le moment où il pourrait, dans l'intimité de son domicile, allumer son ventilateur et respirer un peu d'air frais.
Sur le chemin, il passa devant la maison du vieux Jean, pensant à la pauvre Yvonne qui n'allait pas tarder à aller chercher son mari pour le ramener chez eux. Il savait qu'un peu plus loin, se trouvait la maison des Poulaillers, dont le voisin, un militaire ayant fait ses années de services, ne semblait pas beaucoup s'entendre avec eux.
"Et on pense que c'est Marie qui a le regard mauvais." Songea Alphonse avec amusement.
Il s'arrêta pour scruter les profondeurs obscures qui menait jusqu'à chez lui avant de tourner la tête pour prendre connaissance de son environnement. Il se trouvait devant la maison de Marie Poulailler et de son mari. Il fronça les sourcils. Certes, il trouvait l'histoire du vieux Jean amusante mais ce n'est pas pour autant qu'il souhaitait s'attarder devant chez elle à une heure pareille. Avec un grognement, il concluait qu'il ne lui restait que cinq minutes de marche avant d'atteindre son objectif. La sueur perlait le long de sa nuque, il l'essuya sans y porter attention. Il venait de remarquer que le portillon des Poulailler était ouvert.
"C'est étrange," pensa-t-il, " Marie et Louis ne laissent jamais le portillon ouvert la nuit à cause des poules qui pourraient s'enfuir ou être volées sans qu'ils ne s'en rendent compte."
C'est à ce moment là qu'il réalisa que quelque chose n'allait pas, une odeur métallique s'était mélangée à celle, plus moite, de l'été. Il pouvait sentir le goût du fer sur sa langue, le goût du sang. Ses sens se mirent aussitôt en alerte. Il ne ressentait la présence de personne mais ça ne voulait pas dire qu'il n'y avait aucun danger. Avec prudence, il mit une main sur le portillon et pénétra dans le jardin des Poulailler. Après avoir fait quelques pas dans la propriété, il se rendit compte que l'odeur de sang se faisait plus forte en direction de la maison. Il tenta de se faire le plus discret possible mais le bruit de ses pas sur le gravier et de sa respiration lui semblaient assourdissant comparés au silence qui régnait en ces lieux.
Arrivé sur le perron de la porte, il découvrit les cadavres des cinq poules du couple. Elles avaient étaient égorgées et pendues la tête vers bas de sorte leurs sangs avaient coulé sur le paillasson où on pouvait lire écrit d'habitude un "Bienvenue." Le sang était froid, elles ne venaient pas d'être tuées. Cela ressemblait fortement à une querelle entre voisin, et ne semblait pas sortir de l'ordinaire, même si ce n'était pas tous les jours qu'on trouvait le cadavre de poules sur son perron. Cependant, il semblait flotter comme un malaise dans l'air, quelque chose ne tournait pas rond et faisait se tordre l'estomac d'Alphonse.
Son regard se porta sur la porte qui lui faisait face. Tout semblait normal si l'on mettait de côté les corps des volatiles. Il leva la main pour toquer mais s'arrêta à mi-chemin. Un écart presque imperceptible entre la porte et son dormant venait d'attirer son regard. La porte était ouverte! Il retira sa main. Son coeur battait la chamade. Devait-il entrer? Ou serait-il plus judicieux d'appeler la police? Que devait-il faire?
Avec surprise, il se rendit compte qu'il tremblait. "Ah," pensa-t-il avec un rire sans joie, "je suis dans une grosse merde."
Ce n'était pas le moment de paniquer, il devait prendre une décision. Il prit une grande inspiration et poussa la porte pour pénétrer à l'intérieur de la maison qui était encore plus sombre que ne l'était l'extérieur. Il tatonna le mur à la recherche de l'interrupteur et retint un grognement avant de s'aventurer un peu plus à l'intérieur. Il savait que devant lui, à quelques mètres se trouvait un escalier et qu'à la droite de cet escalier se trouvait un interrupteur qui lui permettrait de voir quelque chose. A peine eut-il fais quelques pas, qu'il trébucha sur un objet mou et volumineux. Il tenta de se rattraper ou tout du moins d'amortir sa chute mais il ne réussit qu'à s'étaler sur le parquet lorsque ses mains rencontrèrent un liquide visqueux qui imbiba ses vêtements.
Il réussit à s'asseoir, tentant désespérément d'essuyer ses mains sur son pantalon ce qui ne changeait pas grand chose à la situation. Qu'est-ce qui avait bien pu le faire tomber? On n'y voyait rien dans cette maison? En tatonnant autour de lui, il réussit à trouver le pied de l'escalier dont il se servit pour se redresser. Il allait bientôt pouvoir faire la lumière sur la situation. Avec un petit cri victorieux, il enclencha l'interrupteur.
Il regretta aussitôt son geste quand il se retourna et regarda en direction de la porte d'entrée. Sur le sol, à quelques mètres de la porte, dans une flaque écarlate, gisait le corps méconnaissable de Louis Poulailler. Alphonse savait qu'il s'agissait de Louis car il portait le pull en laine vert que Marie lui avait offert au Noël dernier. Il avait le visage complètement détruit, des morceaux de cervelles coulaient le long de son menton et de la hache que l'on avait laissé enfoncer dans sa tête. Alphonse détourna le regard pour vomir sur les escaliers. C'était sur Louis qu'il avait trébuché. Il regarda ses vêtements trempés et dégoulinants du sang du malheureux et de son propre vomi.
Une nouvelle vague de nausée l'envahit, le monde tournait autour de lui. Ses jambes lâchèrent sous son poids et il s'effondra au pied de l'escalier. Il s'attendait à ce que ce ne fut pas quelque chose de plaisant qui l'attendit de l'autre côté de la porte, mais il n'aurait jamais imaginé tomber sur un pareil carnage. Tout ce sang, et le corps de Louis gisant dans l'entrée. Pauvre Marie, il avait du mal à imaginer de quel façon elle pourrait rattraper le parquet.
Il leva la tête. Marie! Où était-elle? Lui était-il, aussi, arrivé malheur ? Si quelqu'un avait été capable de tuer ce pauvre diable d'une façon aussi violente, il ne souhaitais même pas imaginer ce qu'il avait pu réserver à son épouse. Un frisson de dégoût le parcourut. Il fallait qu'il sache ce qui était arrivé à Marie. Avec grandes peines, il réussit à tenir debout sur des jambes flageolentes. La lumière du salon semblait l'attirer, il ne résista pas à son appel. Il avait bien fait, car à peine avait-il passé le seuil de la porte qu'il trouva la pauvre Mme Poulailler recroquevillée sur le sol.
Il se précipita auprès de la malheureuse qui avait le visage tuméfié et recouvert de sang. Il chercha son pouls et réussi à trouver des battements faibles. Elle était inconsciente, et maintenant qu'il se tenait à quelques centimètres d'elle, il entendait un léger sifflement s'échapper de ses lèvres. Il n'y avait pas de temps à perdre. Il fouilla ses poches à la recherche de son portable et poussa un grognement quand il se rendit compte qu'il avait dû l'oublier chez lui, comme à son habitude, lorsqu'il était parti boire un coup au pub. Heureusement pour lui, le télephone ne se trouvait pas loin. Il prit une grande inspiration et appela les secours.
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