Le matériel était prêt, devant lui, et le clan était rassemblé. Tout le monde attendait le signal : la petite lumière, le passage de l’ombre à la clarté…

Il connaissait bien les gestes, et positionna la planchette correctement sur le sol, une belle plaquette de lierre séché, avec une petite encoche en forme de V. Il s’agenouilla pour la caler sous son pied gauche, et s’empara du foret. La lanière de cuir s’enroula facilement autour du foret qui trouva à son tour sa place dans la cupule, le petit trou sur la planchette. Enfin, il plaça la paumelle sur la tige de hêtre, cette pierre arrondie et percée qui lui permettrait de maintenir l’ensemble en place pendant la rotation.

Les membres du clan le fixaient, tout en restant à plusieurs mètres, pour permettre au plus grand nombre de voir. Son père était là aux côtés de Fingen, et Jenna s’était glissée au premier rang de la foule pour ne rien perdre du spectacle. Tous étaient immobiles et attentifs, hormis ceux chargés de veiller sur les animaux rassemblés un peu plus loin.

La musique du doux frottement commença, d’abord hésitante, puis plus régulière. Morgan appuyait progressivement sur la pierre tout en accélérant le mouvement. La planchette crissait sous l’assaut du foret qui lui arrachait des petites particules noires et chaudes. La fumée enveloppa son pied gauche, et il souffla doucement pour la dissiper. Il savait qu’il devait accélérer le va-et-vient et augmenter la pression sur la paumelle. Donner toujours plus, jusqu’à la fatigue, et là, redoubler d’efforts lui avait appris Fingen. L’ensemble sentait le chaud et la fumée, il en avait le goût à présent dans la bouche. Elle l’entourait en remontant le long de son corps, comme pour l’enlacer. Il devait faire naître la lumière, et engendrer un feu sacré. Il souffla à nouveau au cœur de la fumée, et une braise apparut enfin. Un murmure sourd monta alors du premier rang.

Morgan tapota sur la planchette, et se baissa pour ramasser sur une feuille la petite lumière rouge qui venait de rouler au sol. Il la déposa délicatement sur de l’amadou et enveloppa le tout dans un nid de copeaux de bois. Il prit alors une grande inspiration, puis souffla jusqu’à vider totalement ses poumons. La flamme jaillit alors, comme si Morgan lui avait communiqué un peu de sa vie dans ce geste, le soufle d'un Dragon. Tous ceux qui étaient au premier rang poussèrent un cri de joie, bientôt relayés par les autres plus loin sur la colline.

Le jeune druide sépara à main nues la boule de feu en deux et en plaça une moitié au pied de chaque bûcher. Et tous virent s’embraser les grands Feux de Beltaine.