IV.
— Alors, Merilda ? Cette affaire avec le roi ?
— Une fâcheuse histoire de picolaton. Sire Otte-Guillaume ne me fera plus jamais venir pour si peu.
Aussi gros qu’il puisse paraître, Belgarde goba le mensonge en entier. La paperasse qui s’étalait partout sur son bureau n’était très certainement pas innocente à son manque de discernement.
— Eh bien, une chance que l’affaire ne t’ai pas pris longtemps, dit la Vipère en examinant une feuille jaunie. Figure-toi que Thélie a arraché un œil à Larissa en ton absence.
— Pardon ? s’étrangla Merilda.
Elle devint livide en une seconde.
— Oui, une vilaine plaie, continua Belgarde, mais nos matriarches sauront arranger ça. Ah, quelle journée mouvementée... Elles ont fini à l’infirmerie toutes les deux.
— Toutes les… deux ?
— Bien sûr. Callinice a tenté d’intervenir, mais a mordu un peu trop fort la petite. Résultat, une jambe en lambeaux. Enfin, la santé lui est revenue. Ce matin, elle participe même à l’entraînement au bâton dans la haute-cour.
Par la Vouivre, jura Merilda. Ne pouvez-vous pas vous tenir deux secondes chaque fois que je vous tourne le dos ?
— Mes Garaches sont-elles au courant de mon retour ?
— Pas le moins du monde, lui apprit la Vipère. Tu es rentrée à pas de loup cette nuit – sans vouloir faire de mauvais jeu de mot…
— Ne leur dit rien, j’irai leur faire la surprise.
— Comme tu voudras.
Après un hochement de tête respectueux, Merilda prit congé du bureau de la directrice, encore mouvementée par ce qu’elle venait d’apprendre.
Je vais devoir innover en matière de punitions…
Qui devait-elle aller sermonner en premier ? Thélie, sans aucun doute. La Garache s’aménagea donc un air sévère et emprunta le chemin de ronde. Elle se laissa guider jusqu’à la haute-cour par le cri des apprenties ; là, en hauteur sur les créneaux, elle découvrit les fillettes en plein entraînement, comme le lui avait dit Belgarde. Son regard passa sur chacune d’entre elles.
Armel, Nyx, Effie, Thélie, et même Azelmire. On dirait que la petite bande est au complet, ce matin.
Aujourd’hui, c’était la Grande Carcolh qui leur dispensait l’entraînement. Merilda observa avec attention la technique de sa protégée, bien plus affinée qu’au premier jour, et la colère qu’elle avait pu ressentir s’atténua progressivement pour laisser place à l’admiration.
Eh bien, quels progrès… À ce train-là, Thélie fera une formidable Garache.
Comme si elle l’avait entendue, la fillette leva soudain la tête et ouvrit de grands yeux en la découvrant. Attendrie par son expression, Merilda lui offrit un sourire – sincère, certes, mais tout en retenue – auquel la petite répondit avec joie. Le bâton de Nyx, malheureusement, la punit pour son flagrant manque d’attention.
— Regarde-moi, stupide cabot ! hurla l’apprentie Tarasque. Je suis ton adversaire !
La femme-louve haussa les sourcils, quelque peu surprise par la brutalité de l’enfant. Finalement, ses propres punitions avaient-elles véritablement lieu d’être ?
Un petit rire fit trembler ses lèvres, avant de s’évanouir dans sa gorge. Ses traits se durcirent à nouveau à mesure qu’elle continuait d’observer sa cadette.
Oh, Thélie, pardonne-moi d’être si sévère avec toi. De vous trois, c’est toi qui fais le plus d’efforts pour me rendre fière. Mais je n’y peux rien…
Peut-être étaient-ce ses cheveux châtains, ses yeux aux couleurs de l’automne, sa fougue de louveteau. Peut-être était-ce tout cela à fois.
J’ai besoin de cette distance, car tu lui ressembles. Tu lui ressembles tant qu’il me paraît parfois entendre sa voix. Et cela, ma chérie, je ne peux le supporter.
Merilda resta un long moment accoudée sur les créneaux ce matin-là, imaginant, dans la cour, une autre petite fille jouer innocemment.
Rêvant d’une autre époque.
Et sans doute aussi d’une autre vie.
Fin de la nouvelle
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