L’écureuil et l'homme
Un jour ou une nuit, minable à rouler sous la table, je sortis du bar. J’arpentais la ruelle quand soudain une envie pressante se fit sentir. Je courus vers le bois avoisinant le village et me soulageai sur un arbre la main contre le tronc pour garder un semblant d’équilibre.
– Tu fais quoi, là ? me dit une voix derrière moi.
– Je pisse, répondis-je sans me retourner en pensant avoir affaire à un homme.
Après que je l’eus secouée pour en extraire les dernières gouttes, je me tournai et malgré les ampoules UV des lampadaires à l’orée du bois, personne ne se tenait devant moi.
– Qui m’a parlé ? demandais-je plus à moi-même qu’à la nuit.
– C’est moi, répondit une voix à mes pieds.
Je baissai les yeux sur un écureuil assis sur ses pattes arrière en me regardant avec un air étrange.
– La vache ! Tu parles ou c’est moi qui suis bourré ?
– Les deux. Pourquoi tu pisses contre mon arbre au lieu de te soulager sur l’humus qui absorbe mieux les déjections des humains ?
– Non, c’est impossible, tu peux pas parler. Les animaux ne parlent pas… et puis t’es quoi ?
– Un rat. Ça ne se voit pas ? Je suis un écureuil, espèce d’inculte.
– Pourquoi tu parles ? Je serais devenu une Alice ? Où est le lapin ?
– Mais qu’est-ce que tu racontes. Je savais que les humains étaient idiots à en mourir, mais toi tu es la cerise sur le gâteau.
Je le regardais doublement, débiter ses paroles. Et puis j’eus envie de le caresser.
– Hé ! pas touche. Tu te crois où là, au pays imaginaire ?
Je me ressaisis et le contemplais plus attentivement, du moins lui et son jumeau. Ils avaient une espèce de barbe blanche sous le menton, un museau ? difficile à décrire la couleur dans la nuit, même si les lampadaires éclairaient leur dos ; mais je crois que leur museau était noir. Leurs pattes avant marron et leur pelage sous la lumière artificielle était d’un brun léger.
– Désolé. Je voulais juste savoir si tu étais réel ou si ce n’est pas mon imagination qui me joue des tours.
– Torché comme tu l’es, je me doute que ton imagination y soit pour quelque chose.
– Qu’est-ce qu’on fait alors ?
– On ne fait rien, et je n’ai rien à faire avec toi. Tu dégages de mon arbre et tu rentres chez toi. Tu verras, demain, tu te diras que c’était un mauvais rêve. Allez, casse-toi, maintenant.
– T’es pas sympa pour un écureuil.
– Parce que vous l’êtes, vous, les humains à toujours chasser le gibier pour le seul plaisir du sport ?
– Mais dis-moi, les autres animaux parlent aussi ?
– Interroge Descartes qui a sorti cette phrase de merde : « je pense donc je suis ». Je suis donc je pense, cela te va comme réponse ?
– Je viendrai te voir demain sur ton arbre et on papotera.
– Non, mais tu rêves. Tu crois que j’aurais envie de parler avec une épave ? Trouve toi une meuf et fiche-moi la paix. Et à l’avenir quand tu seras encore dans cet état oublie de pisser sur mon arbre.
– Mon arbre, mon arbre, il ne t’appartient pas à ce que je sache.
J’aurais dû fermer ma grande bouche, car tous les êtres de la forêt : Bambi et sa bande aux bois durs, les lapins et sangliers, etc., m’avaient encerclé et me jaugeaient d’un air mauvais.
– Allez pars, avant qu’ils ne te mettent en charpie. Rappelle-toi que tu dois ta survie à un écureuil.
Le lendemain, frais comme un gardon et décidé à en découdre avec le monde animal, je me rendis dans la forêt. J’observais le haut du tronc à la base des branches. Un écureuil me regardait puis s’enfuit en gloussant. Pas l’écureuil téméraire qui m’est apparu la veille.
J’ai rêvé de cette nuit, c’est sûr. Plus jamais, je me mettrai minable.
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