Le noël de Léon
Marie aimait sa maison, sa douce maison.
Elle était à son image : élégante, raffinée, limpide pour un observateur extérieur.
Joseph, son époux, voyait l’envers du décor.
Pour lui la villa était un chef d’œuvre de haute technologie, invisible !
Quand Marie lui souriait, douce madone bercée par la lumière « naturelle », qui mettait en valeur ses beaux cheveux d’un blond vénitien, il savait que des milliers de capteurs intelligents entretenaient cette illusion.
Elle regardait son mari, qu’elle admirait tant. Elle approcha ses lèvres et il frémit de plaisir.
Elle murmura « Ce soir c’est Noël », et lentement elle descendit vers l’objet de son désir.
Ses chaudes lèvres se firent pure tendresse, pour partager le plus savoureux des baisers intimes.
Joseph se mit à gémir, l’esprit envahi de sensations agréables et de pensées dérangeantes.
A la place de la douce Marie venait se substituer celle de sa brune maîtresse, qui la veille, l’avait cajolé sur ce même canapé, en lui murmurant : « Fourre-moi ».
Mais une interrogation plus politiquement incorrecte ne cessait de hanter l’esprit de l’ingénieur : quel algorithme pourrait reproduire tout l’amour de ce baiser sucré ?
Après l’amour, Marie et Joseph avaient longuement regardé le feu électronique qui les réchauffait.
Le sapin était authentique, c’était la mode pour ce Noël 2025.
Il dépassait les trois mètres et le couple l’avait surchargé de guirlandes, boules multicolores et personnages bibliques.
Marie retombait en enfance, elle qui avait tant souffert, tant pleuré.
Minuit sonna. Blême, elle fit face à Joseph :
— Tu crois que ?
— Tout ira bien.
— J’ai peur !
— Mais c’est ton enfant !
— En un sens, mais...
— Non Marie, c’est notre enfant, notre Léon.
— Je vais le réveiller.
— Avec amour.
— Avec tout mon amour.
La douce tête blonde dormait, paisible. Marie caressa ses cheveux soyeux, et l’appela doucement :
— Léon, le père Noël est passé.
Soudain, elle sentit ses jambes vaciller. Non, elle ne pourrait pas.
Pourtant, petit à petit elle sentit une force, une douce force s’emparer d’elle.
Elle regarda par la fenêtre et elle vit le traineau qui tournait encore et encore autour de la maison.
A chaque passage, Marie sentait une douce chaleur l’envahir.
Elle prit l’enfant dans ses bras et passa dans le salon.
Joseph regardait son fils avec fierté, une immense fierté et un amour redoublé par la chaleureuse présence du vieil homme au-dessus de son toit.
« Il doit être content », songea-t-il, en regardant Léon s’émerveiller devant le petit train et surtout le cheval en bois.
— Léon
— Oui papa
— Tu aimes ?
— Hans !
— Pardon ?
— Le cheval, il s’appelle Hans.
— C’est un beau nom pour un cheval.
Soulagé, rassuré, le père Noël reprit son voyage.
Il passa au-dessus du cimetière, que l’on avait rebaptisé le cimetière des Innocents après la terrible pandémie de grippe aviaire qui avait fauché tant d’enfants.
Il savait que le « vrai » Léon reposait là.
Le père Noël restait admiratif face au travail de l’ingénieur. Il savait que Marie couvrait l’androïde de baisers.
Non, une seule chose dérangeait le vieil homme : que ferait Joseph quand il aurait terminé le double de Marie ?
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