Chapitre un : un musée de Province.
Julie finissait par regretter sa visite au Musée des Beaux-Arts d’Angers.
Elle adorait l’art, et au grand désespoir de ses parents, malgré ses brillants résultats, elle avait refusé de faire médecine et était entrée aux Beaux- Arts de Paris.
Donc elle aimait l’art mais …
Mais pas cela !
Julie aimait les impressionnistes, Klee, Kandinsky, le Bauhaus et elle soupirait de voir toutes ces crucifixions , ces vierges à l’enfant.
je réagis comme une Parisienne !Julie avait toujours vécu à la campagne, loin de tout musée, et son récent snobisme l’amusait.
Après tout, il y avait aussi ce surprenant portrait d’Agnès Sorel, avec un remarquable travail sur les différentes nuances de blanc et de rose, du visage, du cou et de la robe de la première favorite.
Mais c’était maigre.
Elle surprit le regard du gardien, un homme entre deux âges, qui, lui aussi, semblait s’ennuyer ferme sur sa chaise. La glace protectrice du tableau reflétait les yeux du gardien, fascinés par la jupe fort courte et les interminables jambes de la belle blonde.
Julie adorait susciter le désir et elle décida de s’amuser un peu. Elle fit innocemment tomber son portable et prit tout son temps, pour le ramasser se redresser.
Gagné ! Quand Julie croisa le regard du gardien, il était écarlate et à deux doigts de l’apoplexie. Non seulement le décolleté de Julie était aussi généreux que sa poitrine, mais, prétextant les fortes chaleurs, elle avait remisé le soutien-gorge.
Elle passa dans la pièce suivante, ravie de sa farce. L’oisiveté est la mère de tous les vices. Et encore, il n’avait vu que le haut ! Elle improvisa un bref haïku qui la fit sourire :
La chaleur excuse
la robe fort courte mais
où est la culotte
Soudain son sourire se figea : on la regardait intensément. Et ce n’était pas un homme, mais une femme ou plutôt un portrait de femme !
Mais c’était elle qui devait regarder le tableau et certainement pas cette femme qui devait ainsi la toiser !
Décontenancée elle s’approcha et lut :
Allégorie de la Simulation, Lorenzo Lippi.
Julie prit son portable et écrivit :
Une jeune femme, belle, très belle, vous regarde.
Elle a le teint pâle, les lèvres fines , de grands yeux noirs qui vous toisent, ni haineux, ni indifférents, distants ?
Dans sa main droite, un masque de théâtre, dans sa main gauche, une grenade, étrange fruit qu'elle semble vous donner.
On ne sait si elle se moque de vous, si elle vous manipule, ou, si elle vous donne l'essence du don qui serait pure dissimulation.
Mais cette description ne mit pas fin à son malaise ; Julie décida de mettre le portrait à distance, de l’étudier.
Le visage lumineux et clair de la jeune fille s’opposait à l’obscur du fond noir.
Le centre du tableau n’était ni le masque, ni la grenade, ni le visage de la jeune femme, mais le foulard blanc qui recouvrait la robe bleue.
La robe bleue, c’était la robe de la vierge, et le foulard blanc dans le tableau la voilait et la dévoilait.
C’était, sans doute, cela qui la troublait : le contraste entre les symboles virginaux et cette dissimulation, voire ce vice.
Julie se dit qu’elle devait regretter d’avoir mis ce pauvre homme si mal à l’aise : une éducation catholique ne s’efface pas d’un trait.
Ma pauvre fille, tu ne vas pas aller loin avec ta psycho à deux sous.
Qui venait de parler ?
Personne, elle était seule ?
Julie regarda le portrait et elle poussa un cri : la belle brune venait de lui parler, et personne d’autre !
Médusé le gardien vit la blondinette sortir en courant du musée, comme si elle avait le diable à ses trousses ...
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