Chapitre 3 : Jules et Julie (inclut un poème au contenu sensible)
Jules s’inquiétait : Julie ne donnait pas signe de vie et ce n’était guère normal.
Il ne cessait de rappeler à sa jumelle qu'elle n’avait pas besoin de l’appeler tous les
jours, mais dès qu’elle cessait de donner signe de vie, il ne dormait plus, malgré les
tendres caresses de Sarah.
Le téléphone sonna : c’était Julie. Il le savait, au plus profond de lui, c’était cela être jumeau : sentir que l’autre est là. Faux jumeaux ! aurait rectifié leur mère avec humeur !
La voix de Julie était atone, hésitante presque inaudible :
— Jules, tu es bien là ?
— Julie, ça ne va pas ?
— Pas vraiment.
— Tu veux dire pas du tout !
Sa jumelle ne répondit pas mais se mit à pleure longuement, avec de gros sanglots.
Puis, à toute vitesse, elle se mit à raconter son incroyable histoire.
Elle raconta comment L’allégorie de la simulation l’avait fascinée à Angers. Julie
expliqua la suite ; les cauchemars, les livres qui prenaient le contrôle de sa vie, sa
séparation, ses crises d’angoisse.
Elle se tut et Jules posa une question :
— Ozu t’a entendu raconter ton cauchemar ?
— Je ne l’ai pas dit protesta Julie.
— Non mais je l’ai deviné.
— C’est pénible d’avoir un jumeau, remarqua Julie.
— Mais utile, rétorqua son frère.
— Aide moi, Jules aide moi.
Le jeune homme réfléchit et alla chercher un livre.
Il reprit la conversation :
— Je pense que c’est de l’admiration.
— De l’admiration ? répéta sa jumelle interloquée.
— Descartes est clair : Lorsque la première rencontre ,de quelque objet nous surprend, et que nous le jugeons être nouveau, ou fort différent…, cela fait que nous l’admirons et en sommes étonnés.
— Toi et ta philosophie, dit Julie en riant.
— C’est cela, j’en suis sûr !
— Foutaises ! s’exclama Julie.
Elle répondit avec assurance :
— Mais non Jules ! J’admets que l’admiration cartésienne correspond à ce que j’ai pu ressentir devant le tableau : mais c’est quelque chose de bien plus fort qui s’est emparé de moi : cela ressemble à de l’amour, de la haine, de l’envoûtement.
— Justement, rétorqua son jumeau, c’est bien de cela dont parle Descartes ! Cette admiration lance une mécanique, irrésistible, des passions : l’admiration puis l’amour et la haine, le désir, et enfin la joie et la tristesse. Dans la passion, on est passif, on subit et on souffre !
— Tu n’y est pas, s’exclama Julie ! Ce tableau prend tout le contrôle de ma vie.
— Justement, répéta Jules, c’est exactement ce qui est arrivé à Descartes !
— Je ne te suis pas, s’étonna Julie.
— Toute sa vie Descartes est tombé amoureux de femmes à travers toute l’Europe ,et à la fin, il s’est rendu compte qu’elles avaient toutes le même défaut : elles louchaient !
— Incroyable, s’exclama Julie. Et comment s’est-il sorti de cette admiration ?
— Je te lis sa lettre :
Lorsque j'étais enfant, j'aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche; au moyen de quoi, l'impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s'y faisait aussi pour émouvoir la passion de l'amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres, pour cela seul qu'elles avaient ce défaut; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela. Au contraire, depuis que j'y ai fait réflexion, et que j'ai reconnu que c'était un défaut, je n'en ai plus été ému.
— Cela veut dire que je peux me guérir de cette fascination : Jules tu es un ange !
Un ange est rarement seul et les jumeaux laissèrent une armée d’anges passer.
Julie demanda :
— Tu as écrit un nouveau poème ?
— Oui, mais c’est …. commença le jeune homme.
— Un poème érotique ? J’adore !
J'aime ta bouche ,
Parce qu'elle est interdite
J'aime ta nuque
Parce qu'elle est interdite
J'aime ton petit sein
Parce qu'il m'est défendu
J'aime la courbure de tes fesses
Parce que ma main ne doit pas l'explorer
Et je ne sais pas si je t'aime
Et je ne sais si tu es belle
Et tout chez toi est interdit
Et j'aime cette folie..
Et toi tu sais tu sais
Que ta nuque m'est refusée
Alors tu frémis tu palis tu bénis
Tous ces baisers si peu volés
Et toi libidineuse fée
" Embrasse moi " tu as exigé
" Sur la bouche " tu as précisé
Parce que mes lèvres ne doivent pas te toucher
Et je ne sais si tu m'aimes
Et je sais que je suis laid
Et ce poème est interdit
Et tu aimes ma folie...
Dans ce lit une autre t'interdit
De te coucher de te dénuder
D'ouvrir tes cuisses de te tourner
Comme une chienne de te donner
Et moi je n'ai pas le droit je le sais
De t'embrasser te lécher te sucer
Te pénétrer tous tes trous désirés
Parce que ma verge ne doit pas te toucher
Et nous ne savons si c'est l'ennui
Ou le vice ou l'amour ou la folie
Qui nous font ainsi transgresser
Tous ces interdits accumulés
Et ton con je vais pénétrer
Et ton cul je vais explorer
Et en riant par le vice réunis
Nous transgresserons l'interdit
Un long silence gêné se fit, puis Julie demanda :
— C’est pour toi et Sarah ? Cela s’est vraiment passé ainsi ?
— Oui, c’est la stricte vérité, avoua Jules. Tu es choquée ?
— Ce qui me choque c’est que tu sortes avec une divorcée qui a deux fois ton âge !
— Et qui n’est pas chrétienne ?
— Je refuse de parler de cela !
Julie raccrocha exaspérée. Jules soupira : c’était toujours comme cela quand on évoquait Sarah ...
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