V
Howard se réveille d’un bond, le souffle court, le cœur battant à lui rompre la poitrine. Il est trempé de sueur, ses yeux sont exorbités de terreur. Il vérifie si son bras est encore là. Avec un faible soulagement, il constate que c’est le cas.
- Bordel, bordel, bordel…
Transi d’effroi, il ressent le besoin de regarder tout autour de lui afin de s’assurer qu’il est bien revenu à la réalité. Frances dort à poings fermés, sa respiration est douce et régulière. Elle lui tourne le dos. L’homme se sent nauséeux, les draps collent à sa peau humide. La fraîcheur de l’air s’insinue en lui.
Il se dirige vers la salle de bain d’un pas mal assuré, toujours haletant, le regard fou. Il prend soin de fermer la porte avant d’allumer la lumière de la pièce. Cette soudaine luminosité lui fait mal aux yeux, les plisse et trouve étrange la sensation d’avoir un corps à nouveau. Pris d’un violent haut le cœur, il a juste le temps de se placer au-dessus des toilettes et de vomir les restes d’alcool qui traînent dans son estomac. Howard fait alors couler de l’eau dans le lavabo. Il croise son propre regard dans le miroir. Il a l’air dément. Sa peau est livide, cireuse, ses pupilles ont la taille d’une tête d’épingle. Il respire un grand coup pour essayer de faire revenir son souffle à un rythme normal. Les battements de son cœur se calment, il expire tout l’air contenu dans ses poumons. Puis il plonge la tête dans l’eau, toute entière. Il ne la ressort que lorsqu’il commence à manquer d’air. L’eau froide coule en cascade sur son torse nu et maigre. Tremblant de froid et de peur, il s’empare d’une serviette qu’il place sur ses épaules puis sort de la salle de bain.
Le peintre jette à nouveau un œil sur Frances, qui n’a pas bougé. Lui n’est pas près de se rendormir. Cette idée lui fait même terriblement peur. Une angoisse profonde s’empare de lui quant aux rêves qu’il fait en ce moment. Il ne parvient pas à réfléchir. Ne sachant que faire, il prend la direction de la cuisine pour se faire une tasse de café. En chemin il s’empare d’un paquet traînant sur le buffet du salon et s’allume une cigarette. Café et cigarette. Il lui faudrait bien plus que ça. La caféine l’empêchera au moins de dormir et d’errer à nouveau dans ces univers auxquels il ne souhaite même plus penser. Les images sont gravées en lui, elles le hantent. Malgré ses efforts pour focaliser son attention sur autre chose, il n’arrive pas à se débarrasser des résurgences oniriques qui l’assaillent. Il a fumé sa cigarette si frénétiquement qu’elle s’est déjà consumée. Il en prend une autre et en inspire la fumée avec autant de vigueur que la première. Après avoir attaqué la moitié du paquet de cancer en barre, il se décide à faire quelque chose. Il va peindre. C’est tout ce qu’il sait faire et il en ressent le besoin impérieux. Il est persuadé que cela le soulagera de ses maux. Les traits de son visage continuent d’être tordus par une peur qui le dépasse. Howard se dirige vers son atelier, ses yeux hagards scrutant les moindres recoins de l’appartement. Il tombe nez à nez avec un sourire immonde, dont l’éclat fantomatique luit dans la pénombre. Le peintre se met à hurler et balaie l’espace devant lui de ses bras fins tout en fermant les yeux. Il serre les paupières, si fort que des points blancs dansent devant lui, tandis qu’il se laisse envahir par l’épouvante. Tout à coup la lumière s’allume, et des petits pas affolés s’approchent de lui.
- Howard ! Howard qu’est-ce qui se passe !? Regarde-moi ! Qu’est-ce qui t’arrive ?
Frances tente de le calmer en passant ses bras autour des épaules découvertes de l’homme. La serviette blanche qui les recouvrait traîne sur le sol. Il respire bruyamment et son cœur qui venait seulement de retrouver un rythme normal pulse à nouveau d’une façon effrénée. Sentant la présence de Frances, il parvient à se calmer à mesure qu’elle le serre dans ses bras.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? T’as renversé toutes tes peintures et tes chevalets, regarde… déclare sa compagne d’une voix inquiète. Elle lui montre ses toiles étalées sur le sol, ainsi que l’enchevêtrement de ses pinceaux et de ses tubes d’acrylique.
- Je… Je sais pas, je comptais aller peindre et j’ai vu… J’ai vu quelque chose, une chose effrayante, répond Howard, les yeux exorbités.
- Ce ne serait pas…
La femme remet sur pied le chevalet à l’entrée de l’atelier ainsi que la toile face contre terre qui se trouvait dessus. Cette œuvre n’est autre que l’immonde sourire flottant dans la forêt putréfiée qu’il a peint la veille.
- Oh Howard… Ecoute, je sais pas ce que t’as depuis hier, mais quelque chose ne va pas. Tu peux m’en parler tu sais, tente Frances pour qu’il se confie à elle.
- Non, non tout va bien… C’est rien. J’ai juste eu peur en voyant cette saloperie de toile, annonce le peintre sans oser évoquer ses rêves.
Lui-même, en cet instant, est en train de se dire que tout ceci n’est que le fruit de son imagination trop fertile. Des cauchemars pesants qui le fragilisent et dont il est persuadé qu’il peut les exorciser par la peinture. Ce n’est que passager, ça ne peut être que passager.
- Je te l’avais dit, que ce tableau était effroyable. Tu devrais t’en débarrasser, de toute façon personne ne voudra jamais une chose pareille. Et ça t’évitera d’avoir à nouveau une frayeur. Franchement, tu crois pas ? dit-elle en esquissant un sourire rassurant.
- Oui… Oui je le ferai.
- Allez, viens te recoucher, susurre-t-elle en lui prenant la main comme elle le fait toujours.
- J’ai pas sommeil. Je voulais peindre à la base, j’ai une idée qui m’est venue et je veux la transposer avant qu’elle s’en aille, explique Howard dont le regard laisse toujours paraître une profonde angoisse.
- Bon… T’es sûr ?
- Oui, j’en suis sûr. Va te coucher, je viendrai plus tard, assure-t-il avec un sourire forcé.
- Je t’aime, déclare Frances en lui caressant la joue d’une main douce, et chaude.
Howard ne répond pas. Il se contente de sourire faiblement, même lorsqu’elle lui tourne le dos et disparaît de la pièce. Il tend l’oreille, perçoit le son des draps qui se froissent lorsqu’elle se glisse dedans. A nouveau le silence. Ses mains tremblent. Il a l’impression de devenir fou. Il secoue la tête en signe de dénie, chassant ces idées qui lui déplaisent. Il y a tant de choses qu’il voudrait extraire de son esprit, lui qui ne s’angoissait jamais pour rien, qui ne s’énervait dans aucune situation, qui ne montrait que quelques rares signes de joie ou de tristesse. Howard l’apathique est en train de se faire rattraper par ses démons… Saloperie ! Putain de saloperie de cerveau.
Il cherche fébrilement dans ses instruments de peinture tombés au sol et en sort quelques pinceaux choisis au hasard, ainsi que des tubes de noir, de blanc et de rouge. Il ne se donne même pas la peine de trouver sa palette pour y mélanger ses couleurs. L’envie de s’appliquer est absente, il n’y a en lui que le besoin irrépressible de se débarrasser de son cauchemar. Nerveusement, il débouche les tubes d’acrylique et dépose la couleur directement sur ses pinceaux, faisant tomber des gouttes pourpre qui s’étalent sur le sol. Prisonnier d’une spirale de tourments et mu par un désir ardent de ne pas se laisser sombrer dans la folie, il se met à peindre avec de grands gestes fiévreux. Cette fois, il l’espère de tout son être, il parviendra enfin à exorciser toutes les horreurs présentes dans les abîmes de son crâne.
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