Elle avait réussi
La pluie coulait le long de son visage. Lentement. Presque avec tendresse. Comme une présence familière qui viendrait entourer ses épaules dans ces moments-là, la pluie était là.
L’eau roulait sur ses épaules nues, glissait le long de ses bras tremblants, et venait se perdre dans sa main, épongée par la lettre froissée qu’elle tenait. Cette lettre, elle l’avait lu cent fois. La première fois avec curiosité, se demandant qui pouvait bien lui écrire ici. Puis les 50 fois suivantes avec incrédulité. Elle n’y croyait pas. Ce n’était pas possible.
Ce n’est qu’à la 55ème lecture minutieuse de chaque caractère de la lettre, qu’elle assimila pleinement que ce message lui était bien destiné. Qu’il n’y avait pas erreur de destinataire. Qu’il n’y avait pas eu une confusion dans les noms.
Elle avait réussi.
Contre toute attente, cette nouvelle ne lui ôtait pas le poids qui pesait sur son cœur depuis plusieurs mois. Au contraire. Elle se sentait tiraillée dans tous les sens, déchirée, distordue…comme dissociée.
Avait-elle fait le bon choix ? Était-elle certaine de ce à quoi elle s’engageait ?
Elle en avait toujours rêvé. Mais désormais elle doutait. Serait-elle heureuse là-bas ? Ne se trompait-elle pas dans ses choix ? Savait-elle vraiment ce qu’elle voulait ?
Elle rejeta la lettre au loin.
Celle-ci fit un simulacre pathétique de vol avant de s’échouer dans une flaque avec un bruit humide.
Ses bras l’entourèrent, comme pour la protéger. Mais la protéger de quoi ? Désormais elle était invincible. Elle était victorieuse. Elle avait gagné. Elle avait réussi.
Elle rejeta ses épaules en arrière. Ouvrit les bras en grand et esquissa quelques pas de danse sous la pluie.
La tête rejetée en arrière, les cheveux au vent, les yeux fermés, la bouche grande ouverte…elle savourait sa puissance.
Les gouttes ricochaient sur son visage, se mêlant aux traces de sel que ses larmes avaient laissées, les diluant, les effaçant.
Elle y était arrivée. Elle avait tout donné. Elle avait terminé sur les genoux.
Mais elle avait réussi.
Elle hurla sa victoire au vent. Elle s’époumona pour tenir les nuages informés. Elle ria devant le ciel entier. Elle voulait que le monde le sache. Elle voulait qu’on l’apprenne partout. Elle voulait qu’on la félicite.
Que diraient les autres ?
Comme un retour d’élastique, ses bras se réenroulèrent autour d’elle et elle courba l’échine. Était-ce réellement sa place ? Les autres la jugeraient, rigoleraient, l’envieraient, la jalouserait… Avait-elle les épaules suffisamment fortes ? Serait-elle à la hauteur des attentes ? Ne volerait-elle pas la place de quelqu’un de plus compétent qu’elle ?
Elle grinça des dents. Laissant les doutes l’assaillir. Grisée par son état de sur-puissance précédent, elle savait que ces questionnements ne seraient que passagers. Qu’elle méritait cette place. Qu’elle méritait de cueillir les fruits de son travail. De ses efforts. De ses crises et de ses doutes permanents.
La pluie tombait toujours. Elle n’était pas prévue de s’arrêter de sitôt.
La lettre n’était désormais plus qu’un tas de papier informe qui se dissolvait dans la flaque. Mais elle n’avait pas besoin de la lettre. Elle la connaissait par cœur.
Elle était trempée à présent. Mais elle s’en fichait.
Elle était forte.
Elle était puissante.
Elle avait gagné.
Elle avait réussi.
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