Prologue

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J’ai longtemps habité près des forêts, ça avait toujours été quelque chose d’essentiel pour moi. Lorsque je changeais de logement et que je visitais un endroit où j’allais devoir vivre, ma première interrogation était : « Y a-t-il une forêt à proximité ? ».

Dans le cas où il n’y en avait pas, je me contentais d’un bois, et dans les cas extrêmes, en centre-ville, au minimum d’un parc assez boisé.

Je pense que cela vient de mon enfance. La maison de mes parents se trouvait dans un petit village, à l’entrée d’une forêt, et, enfant j’en avais fait mon terrain de jeu. Le village s’était agrandi avec le temps et toute sorte d’infrastructure publique était spécifiquement prévue pour qu’un enfant comme moi s’y amuse, mais rien n’y fît, je préférais la forêt.

Ma mère était effrayée que j’aille m’y promener seul, car au même titre que je trouvais la forêt attirante et mystérieuse, elle la trouvait dangereuse. Sans doute avions-nous les mêmes raisons pour ressentir ces impressions, mais chacun de nous les expérimentait à partir de son propre point de vue subjectif.

En grandissant, l’accès à un minimum de verdure, et surtout à de grands arbres, me donnait un sentiment inconscient de réconfort, comme celui que j’avais de la maison étant enfant. Ainsi, lors de mes voyages à travers le monde, je ne ratais jamais l’occasion de visiter la nature comme elle était sous les différents climats. J’étais fasciné de découvrir les aspects endémiques exceptionnels de la végétation dans tel ou tel lieu.

Si aujourd’hui je parle de cela, c’est que j’ai eu, lors de l’un de mes voyages, un témoignage des plus éprouvant, qui m’est douloureux de connaitre. J’ai longtemps réfléchi avant de le révéler à qui que ce soit, car il n’apporte qu’angoisse et effroi. Les arbres étaient pour moi symbole d’espoir, mais il faut se rendre à l’évidence, il se peut que la nature profonde de ces êtres soit plus complexe. Aujourd’hui, je pense que raconter cette histoire peut s’avérer bénéfique pour les personnes qui voudront bien me croire, surtout ceux qui auront le courage de ne pas l’oublier ou de faire comme si de rien n’était. J’ai longtemps médité sur cette histoire, et j’en ai conclu qu’il pouvait s’agir d’une sorte de mise en garde.

Dans la mer bordant les Philippines, me raconta mon guide cherchant à faire sensation, un bateau de pêche avait été retrouvé à la dérive, des semaines après avoir disparu sans laisser de trace. Parti en mer avec ses cinq membres d’équipage, le chalutier s’était évaporé de la surface du monde. Et puis, un matin, comme réapparu d’un cauchemar, on l’avait retrouvé, dérivant lentement sous un ciel calme.

À son bord, seuls trois hommes restaient vivants. L’un d’eux, un jeune matelot, s’éteignit peu après l’arrivée des secours, épuisé, vidé de toute force. Le vieux mécanicien, lui, resta totalement muet sur les événements qu’ils avaient traversés. Il ne prononça pas un mot. Quelques jours plus tard, on le retrouva pendu dans sa chambre d’hôtel.

Il ne restait qu’un survivant. Un jeune homme, embarqué comme apprenti sur le chalutier de son oncle. Il demeura silencieux durant plusieurs jours, placé sous observation médicale et psychologique. Puis, le jour de l’enterrement du mécanicien, il parla. Pour la première fois. Et ce qu’il révéla dépassait l’entendement.

Son récit, confus, fragmenté, paraissait à peine crédible. Mais c’étaient là les seuls éléments disponibles. D’après lui, tout avait commencé par une simple excursion en mer, comme tant d’autres. Jusqu’à ce qu’une tempête tropicale surgisse brusquement, les contraignant à chercher refuge sur une île inconnue. Une île sauvage, dense, avec au centre une forêt comme il n’en avait jamais vu. Une forêt… peuplée d’arbres qui marchent.

— Ce n’est pas possible, un arbre ne peut pas se déplacer, répliquai-je, surpris.

— Et pourtant, insista mon guide, le jeune pêcheur a juré que ces arbres ne se contentaient pas de bouger. Ils marchaient. Comme des hommes, ajouta-t-il, un frisson dans la voix.

Voyant mon trouble, il devinant l’intérêt que j’y portais, et me sachant friand de récits incroyables comme ma profession d’écrivain le nécessitait, mon guide organisa une rencontre avec le rescapé. Il pensait que je pourrais peut-être, par mes mots, donner un sens à cette histoire qui hantait encore sa famille. Le survivant était son frère.

Nous nous retrouvâmes un soir, dans une cabane isolée au bord d’un bras de mer. L’homme vivait là, reclus, en retrait du monde. Il avait la quarantaine, mais les rides de quelqu’un qui avait vu beaucoup trop de choses. Il m’attendait, assis sur un fauteuil de bois, son regard dur fixé sur la porte, comme s’il devinait déjà les questions à venir.

Il ne perdit pas de temps. Sans même attendre que je sorte mon carnet, il commença à parler. Sa voix était rauque, posée, presque désincarnée. Il n’y avait ni pathos ni fioriture. Juste la vérité nue, celle qu’il portait depuis trop longtemps.

À cet instant, j’étais loin d’imaginer ce qu’il allait me révéler. Une île oubliée, des arbres fabuleux. Mais ce que je n’imaginais pas encore, c’était comment ce récit aux allures d’aventure merveilleuse pouvait conduire à la mort de quatre vaillants pêcheurs aguerris aux dangers.

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