Autant dire que la convocation des Matriarches à la première réunion d’attribution d’Imala tomba à un moment inopportun.

Cette réunion était pourtant un moment attendu par chaque apprenti. Elle marquait la fin et la réussite d’années d’apprentissage et l’approche d’un tournant dans la vie du convoqué : Le maitre ayant confirmé les capacités de son élève, les Matriarches se mettaient en quête de sa future affectation. Plusieurs réunions se succédaient au fil des lunes afin de préparer son avenir, définir où l’ancien élève vivrait et comment il servirait au mieux son peuple en harmonie avec la nature.

Les attentes du nouveau membre de la tribu étaient bien sûr prises en compte. Son Lié était invité à s’exprimer par la voix du Yorubek. Le résultat était généralement satisfaisant pour tous les participants. Une fois chaque décision entérinée, une grande fête avait lieu dans le village pour célébrer la fin de l’apprentissage et la mise au service de la communauté d’une nouvelle personne.

Cette convocation fut une surprise pour les Trois. Le rôle de chaman requérait un nombre d’années d’apprentissage énorme. Certains n’étaient intronisés qu’après plusieurs dizaines de printemps de formation. Imala avait commencé très jeune. A vingt-cinq printemps, elle serait la plus jeune apprentie chamane de l’histoire des Yorubeks à se présenter à une telle convocation. Le village en tirerait une grande fierté.

Imala revint d’un après-midi de méditation pour trouver Rouik face à une Sor’a trépignante et une Veena inquiète au pied de l’arbre-maison.

Il ne veut rien nous dire, indiquèrent ces sœurs, l’une sur une tonalité outrée et l’autre perplexe.

- Bonjour Rouik, il est rare de te croiser à une telle distance de la demeure des Matriarches, dit doucement Imala. Que puis-je pour toi ?

- Bon-bonjour Imala, répondit le vieil homme. Tu devras te présenter à la prochaine Lune Ronde, au crépuscule, devant le cercle des Matriarches. Tu es convoquée. Viens avec ton, euh, tes Liés.

L’homme avait à peine fini sa phrase qu’il se retourna sans attendre la réponse et repartit péniblement, l’appui sur son bâton de marche compliqué par les nombreuses racines de l’arbre-maison sourdant de terre.

Un silence s’abattit entre les sœurs. Les benjamines regardaient Imala avec incertitude.

- Cela ne se peut, murmura Imala

- Pourtant c’est ainsi, indiqua Veena, la bataille chez les Dourouz en est certainement la cause. Tu vas devenir une chamane à part entière et ton avenir sera discuté longuement.

- Je ne comprends pas, dit Sor’a. Ce n’est pas LA convocation n’est-ce pas ? Tu ne vas pas partir ! cria-t-elle mentalement

- Rien n’est fait pour l’instant Sor’a. Je discuterais avec les Matriarches de ce qui sera le mieux pour notre peuple. Le village n’a pas besoin de deux chamans. C’est ainsi. Peut-être que je ne partirai pas trop loin.

- Non.

La voix de Sor’a tremblait. Imala s’arrêta.

- Je n’en crois pas mes oreilles. Et nous ? Et ton chaman ? Aucune importance c’est ça ?…

Le visage d’Imala se vida de son sang. Une silhouette grise sortit des broussailles.

Veena s’intercala entre ses sœurs. Pars, elle ne va pas s’arrêter. Je vais tenter de la raisonner

Imala tourna le dos à ses sœurs et se mit à courir en direction de Shad.