Ce soir-là, alors que chacun était repu de la pêche truculente offerte par le lac, Nared orienta la discussion vers les jours à venir. Lors des marches et soirées, la mission avait été un thème soigneusement évitée depuis leur départ. Aujourd'hui, les contreforts des montagnes s'étaient offert à leur vue à la faveur d'une prairie entre deux collines boisées.

— Lors de mon départ, j'ai eu une longue discussion avec notre ancien mentor.

Il jeta un œil à Imala avant de poursuivre

— Il m'a expliqué que le premier contact avec l'ennemi n'avait pas été établi à Reywat mais dans la forêt de Voyemont et qu'une présence avait interféré avec la Danse. Il m'a aussi dit que vous, Veena et Imala, aviez pesé sur cette danse. Pourriez-vous nous raconter ?

L'instant était tranquille. Les sœurs se sentaient en confiance. Elles évoquèrent devant Guro et Nared ce qu'elles n'avaient jamais clairement expliqué au chaman de leur village.

Comment Sor'a avait perçu une tâche qui souillait la flamme de l’esprit de la biche morte. Comment Veena avait prêté sa force à Imala et partagé ses perceptions. Et comment l'esprit maitre de la forêt les avait soutenu et orienté afin que les éléments se mêlent à leurs forces pour aider Sor'a à abattre l'ombre qui pesait sur cette mort.

Le Relié en arrêta de caresser machinalement son ami roux. Ces femmes devant lui étaient réellement extraordinaires. Il observa Veena. Une femme si ancrée dans la réalité en tant que chasseresse et finalement si complexe, bien loin de la simple camarade de jeux qui lui avait réchauffé le cœur après son exil. Il se sentit tout petit. Veena coula un regard sous ses cils vers Guro qu'elle sentait se recroqueviller loin d'elle.

Nared écouta attentivement leurs récits. Il leur confia son intuition que la prochaine Danse de Sor'a serait une lutte difficile. La mort simultanée de plusieurs âmes dans un incendie montrait la force de leur ennemi. Sur ces paroles peu joyeuses, il releva sa capuche bleu en disant qu'il devait méditer sur ce sujet. Imala regarda la haute silhouette s'éloignait vers la rive du lac avec émotion. Son pélican passa au dessus du camp créant un mouvement d'air froid qui la fit frissonner. En une soirée, cet homme avait mis au jour la situation d'une manière pragmatique, assez froide. Il était drapé dans sa fonction de chaman et n'avait pas paru écouter les paroles de ses comparses de voyage, plutôt celles d'étrangers en quête du conseil d'un chaman. L'effet aurait pu être rassurant: quelqu'un prenait en main la situation. Imala le trouva glaçant.

Imala et Sor'a allèrent à l'abri du corps de Ptor : un vent frais s'était levé. Guro ne s'aperçut qu'il était seul avec Veena que lorsque Tuk sauta sur son épaule alors qu'elle s'asseyait à coté de lui.

— Nous ne sommes pas si différentes.

Guro sursauta.

— Je ne peux pas te taire plus longtemps cette information: je perçois les émotions de ceux qui m'entourent. Humain et animaux. Je ne cherche pas à le faire. C'est plutôt comme si tous vous projetiez vos ressenti à l'extérieur. Et moi je les ressens.

Guro resta un moment silencieux.

— Cela ne doit pas toujours être agréable

Veena sourit doucement.

— C'est le moins qu'on puisse dire.

Puis elle le regarda, attendant qu'il se livre.

— Je ne sais plus trop ce qui m'a pris de vous suivre. Je ne peux rien pour vous aider. Je ne suis ni chaman, ni danseur, ni chasseresse.

— Tu es à ta place avec nous. C'est ce que je ressens.

Elle plaça sa main sur son cœur en disant ses mots.

Un sourire étira timidement les lèvres de Guro. Cette réponse lui suffirait pour ce soir. Sentant ce revirement, Veena enchaina:

— Nous sommes prêts de l'eau, et si je prenais des nouvelles de ton dauphin auprès de Kelpi demain avant le départ, qu'en dis-tu?