Chapitre 11

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J’ai beau mourir de faim, j’ai clairement aussi une flemme aigüe de me rendre à la cafétéria. Soupirant, je marche cependant d’un pas lent en prenant tout mon temps dans les couloirs, sortant mon baladeur de mon sac pour fourrer mes écouteurs dans les oreilles. Comme ça, j’éprouve l’agréable sensation que plus rien n’existe autour de moi, et même si je suis seule, ça me fait du bien. J’y entre rapidement, me faufilant parmi les élèves pour m’approcher du comptoir. Il y a beau avoir une foule monstrueuse comme à l’ordinaire, j’ai tout de même l’étrange sensation que plusieurs têtes se sont tournées vers moi. Peut-être que je me fais des fausses idées après tout, mais cette hypothèse ne dure pas longtemps vu que je sens distinctement des regards braqués vers moi, qui bizarrement fuient aussitôt que j’eusse tourné la tête vers leurs propriétaires.

Mon agacement se renforce aussitôt, je dois sûrement tout ceci au scandale de ce satané prof ! Bah, j’ai tellement l’habitude que je n’ai même plus vraiment besoin d’y faire attention maintenant. Je ne sais pas pourquoi je suis venue ici, j’aurais mieux fait de sortir m’acheter un petit truc. C’est vraiment histoire d’avoir bonne conscience envers ma mère ! Mes yeux scrutent vaguement les sandwichs exposés dans la vitrine, aucun ne me tente vraiment mais je vais au moins prendre une brioche pour avoir l’estomac un minimum calé. Une petite tape sur mon épaule m’interrompt dans ma réflexion et j’incline légèrement la tête pour me heurter au regard mauvais de Phoebe , la meilleure amie de Lauren . Intellectuellement parlant, elles sont au même niveau – très bas pour rester poli.

  • Hé, je te demande de te pousser depuis tout à l’heure ! commence-t-elle en élevant la voix de manière à être bien entendue malgré la cohue présente. Tu gênes.

Blablabla. Malgré que la musique résonne encore dans mes écouteurs, j’arrive à entendre sa voix nasillarde et bien chiante beugler à la ronde. Sans rire, elle croit vraiment que je vais me plier à son exigence ?

  • Ça te dérangerait d’enlever tes écouteurs quand je te parle ?

— Pour toi ouais, maugréai-je en fixant à nouveau mon attention sur la vitrine.

— Quoi ? Tu me cherches Henley ?

Et manquait plus que ça, c’est mon jour ou quoi ? Soupirant, j’enlève délicatement un écouteur de mon oreille avant de me tourner vers Phoebe, qui paraît sur le point de se ruer sur moi tant ses yeux me renvoient de la noirceur. C’est fou les gens comme ça !

  • Etant donné que tu es à dix centimètres de moi et que tu cries comme si dix mètres nous séparaient, je ne vois aucun intérêt à arrêter ma musique. Je t’entends très bien, et à l’évidence les trois quarts de la cafétéria aussi, rétorquai-je en lui renvoyant la même apathie.

— Tu… Tu te fous de moi j’espère ?

— Exactement, répondis-je dans un faible rictus. T’as tout compris, comme quoi finalement les poufs ont un peu de cervelle.

C’est moi ou elle va me sauter à la gorge si je continue ?

  • Non mais t’as dis quoi là ?! explose Phoebe .

Là c’est clair, tout le monde nous regarde… même lui. Il faut dire qu’il passe difficilement inaperçu, Lauren collée à son bras affublée d’un sourire triomphant sur les lèvres. Elle doit vraiment espérer que Phoebe me foute une raclée, comme si c’était évident que j’allais lui offrir ce spectacle ! Oubliant l’idée du sandwich, je pousse Phoebe d’un coup d’épaule ignorant son petit cri de protestation et me dirige d’un pas rapide vers la sortie. Un bref coup d’œil dans sa direction suffit à me dégoûter, il a déjà reporté toute son attention sur cette garce et franchement oui, ça m’énerve. Rien à foutre du regard des autres, le sien m’a largement mis les nerfs à vif. Le cœur battant, je marche jusqu’à arriver dans la cour pour me diriger dans un coin discret où je suis au moins certaine que personne ne viendra m’emmerder. Je m’assieds à l’ombre d’un grand arbre dont les feuilles me cachent les nuages grisonnants, puis m’autorise enfin à fermer les yeux tout en respirant un grand coup.

Et merde, bon sang ! Ça ne finira donc jamais cette douleur incessante dans ma poitrine ? Pendant combien de temps vais-je devoir supporter tout ça ? Et combien de temps encore pour pouvoir effacer ? J’ai si mal, tellement mal… J’ai beau jouer les dures, je suis lamentablement faible. Et lui, comment peut-il rester aussi impassible devant ça… De misérables larmes dévalent mon visage, j’en ai vraiment marre de pleurer ; marre de me mettre dans ces états pareils pour sa gueule. Lui qui ne voit rien et qui ne fait rien, spectateur fantôme de ma lente déchéance par sa faute. Mais peut-être que ça lui plaît de me voir tout simplement souffrir ? J’aimerais tellement penser que non ; je voudrais tellement pouvoir y croire mais après tout, peut-être que si. Peut-être qu’il en a toujours été ainsi. Idiote, naïve. Des bruits de pas soudainement proches attirent mon attention et j’essuie aussitôt mes yeux du revers de la main.

  • Ah excuse-moi, je ne savais pas qu’il y avait déjà quelqu’un.

Cette voix, je l’ai déjà entendue aujourd’hui… Redressant la tête, je reconnais sans peine à travers mes larmes le garçon dans lequel je suis rentrée ce matin en revenant des toilettes. Je n’avais pas fait attention ce matin mais il est dans sa classe, comme quoi le hasard fait parfois bien les choses. Je commence à me lever lorsqu’il tend la main pour me couper dans mon élan, sous mon regard surpris.

  • C’est bon je vais me trouver un autre endroit, me dit-il dans un sourire. Ne t’en fais pas pour moi.

Un sourire à mon égard. Ça fait tellement… longtemps que je n’en ai pas eu. C’est comme une bouffée d’air frais, nous n’avons même pas échangé un seul mot et pourtant… Et je n’ai même pas le temps de dire un mot qu’il s’éloigne déjà pour se poser au pied d’un autre arbre un peu plus loin, sous mon regard toujours aussi inerte. C’est étrange, même en l’espace de quelques secondes sa présence m’a apaisée sans que je ne comprenne vraiment pourquoi. Une question me traverse l’esprit, comment se fait-il qu’il soit seul ? Bon, ça ne me regarde absolument pas mais j’ai besoin de savoir, sans savoir pourquoi. Au départ hésitante je mords ma lèvre puis me redresse pour aller à sa rencontre, laissant mes affaires. Ça m’est parfaitement égal si on nous voit ensemble, j’ai le droit de parler à quelqu’un et je ne vois pas pourquoi je m’en priverai. Surtout que j’ai vraiment envie de lui parler, même pour parler de choses banales. J’en ai envie. A mesuré que je me rapproche, je ne peux m’empêcher de constater avec stupeur que tous les deux se ressemblent, c’est même assez irréaliste. Puis subitement il lève ses yeux vers moi et l’impact de ses iris aussi sombres que les siennes me fige légèrement ; est-ce pour cela que sa présence me rassure ?

  • Euh… commençai-je.

— Oui ? répond t-il dans un autre sourire.

— Je… je suis désolée pour ce matin, balbutiai-je en m’inclinant, incapable de trouver une autre raison pour justifier ma présence devant lui.

— Comment ça ce matin ?

— Quand je te suis rentrée dedans. Si j’avais fait plus attention…

— Oh tu n’as pas à t’en faire pour ça, me coupe t-il en m’obligeant à relever la tête. J’avais la tête ailleurs moi aussi, alors je suis aussi fautif que toi, ajoute t-il en souriant.

— Hum, oui sans doute… »

Ce garçon. Son sourire… me déstabilise franchement. La ressemblance entre eux me désabuse tellement, je n’arrive pas à ne pas détailler son visage. Brun, les prunelles sombres… Il n’exerce peut-être pas autant d’attractivité que lui mais il ne manque pas de charme non plus. Et si me trouver en face de lui me procure une délicieuse sensation de bien-être, cela réveille en même temps des souvenirs que je tente d’éradiquer.

  • Tu veux t’asseoir ? me demande t-il.

Sur le coup, sans doute bien trop occupée à le dévisager, je mets un temps incroyable à cogiter et à réaliser que c’est à moi qu’il vient de parler. Il doit sans doute me prendre pour une débile à le fixer d’un air hébété. Faut dire aussi qu’on m’adresse la parole et qu’on me propose de rester. Et je ne suis même pas en train de rêver.

  • Je vais chercher mes affaires.

J’ai le temps de voir un léger sourire se dessiner sur son visage avant de faire volte-face et de partir en courant presque jusqu’à l’arbre où je me trouvais un peu plus tôt, attrapant mon sac à la hâte. Puis je reviens au pas de course vers lui pour m’asseoir à sa droite, reprenant peu à peu mon souffle. Il sort un sandwich de la cafétéria tandis que j’ouvre mon sac pour saisir ma malheureuse pomme dans ma main mon sac. C’est là que je sens son regard se poser sur moi, puis fixer un court instant mon fruit avant de se tourner vers moi.

  • Tu ne manges que ça ?

— P-Pourquoi cette question ? bafouillai-je en rougissant malgré moi.

— Il me semble que nous avons sport après. Tu penses que tu tiendras le coup avec une pomme dans l’estomac ?

— Euh… »

Un faible rire s’échappe de ses lèvres et je mords ma lèvre un peu honteuse. Sous mon regard perplexe, il tend son sandwich dans ma direction mais je ne bouge pas, ne comprenant pas son geste.

  • Tiens.

— Pardon ?

— Prends-le.

— Je… commençai-je. Je ne peux pas accepter, c’est à toi… répondis-je en secouant la tête, une profonde gêne s’emparant de moi.

— Décidément… soupire t-il à la suite.

Je n’ai même pas le temps de protester davantage qu’il me lance subitement son sandwich que j’attrape à la volée, tandis qu’il farfouille dans son sac pour en ressortir un en souriant, vaguement amusé.

  • J’en prends toujours deux, alors t’en offrir un ne me dérange pas tu sais.

Que répondre ? Ce garçon fait presque preuve de trop de générosité à mon égard et c’est pour le moins déroutant, je n’ai pas l’habitude de côtoyer quelqu’un comme cela. Soit c’est un vrai baratineur, soit il est réellement gentil. Trop peut-être.

  • Merci, murmurai-je simplement en baissant mon regard vers le sol, bien incapable de soutenir les prunelles sombres qui me dévisagent en silence.

Je déballe l’emballage et mords dans le pain, songeant au fait que j’avais réellement faim. C’est vrai que je ne mange pas beaucoup ces derniers temps, seulement quand mon estomac me fait ressentir son mécontentement. Mais il faut que je prenne soin de moi, je n’ai pas envie de finir mince comme une brindille à l’instar de Lauren et de ses acolytes ! Ça a beau n’être qu’un sandwich, ça me paraît presque aussi délicieux que les plats préparés par ma mère ! Un sentiment de remords me traverse furtivement, si ma mère m’entendait dire ça… elle me ferait une de ces scènes ! Mon voisin n’est absolument pas bavard, ni curieux et je dois avouer apprécier cela ; malgré le silence pesant qui règne, je savoure pleinement sa présence. Savoir quelqu’un à côté de moi qui ne me juge pas pour ce que j’ai fait, ni pour ma personne, m’apaise réellement. Même si c’est un total inconnu pour moi, je suis vraiment heureuse d’être là. À nouveau, la question que je me suis posée en le voyant me revient en mémoire. N’a-t-il aucun ami ? C’est très indiscret mais je brûle d’envie de le lui demander…

  • C’est agaçant d’être observé quand on mange, murmure t-il soudainement, brisant ainsi le silence. Tu ne trouves pas ?

— Hein ?

— Par la fenêtre.

Suivant son regard, je tourne la tête et constate en effet, de nombreux regards vers nous provenant de la cafétéria. C’est vrai que la vue donne sur l’endroit où nous nous trouvons, et j’arrive même à en distinguer quelques-uns familiers, dont ceux de ses amis. Mes anciens amis maintenant. Mais à peine ai-je tourné mon regard dans leur direction qu’ils détournent aussitôt la tête, me faisant froncer les sourcils. Par mégarde j’ai aussi pu le voir très occupé à embrasser Lauren , vision ô combien repoussante et nauséeuse. Ça m’a clairement coupé l’appétit mais je continue de manger, décidée à finir mon repas au plus vite pour pouvoir m’échapper. Et puis c’était tout de même son repas à la base alors ça ne serait pas très respectueux de ne pas le terminer. Une fois ma dernière bouchée d’engloutie, je froisse le papier et le fourre dans mon sac avant de fixer mes chaussures, croisant les bras autour de mes genoux. Je sens brièvement le regard de mon voisin sur moi mais il ne pipe mot pour autant, ignorant que ce silence m’apparaîtrait presque comme un don du ciel. Plusieurs minutes passent jusqu’à ce que la sonnerie stridente retentisse dans la cour, me ramenant brutalement à la réalité. Dommage, j’étais pourtant si bien ici. Le voir se lever rapidement me force à faire de même, plus lentement du moins, et j’attrape mon sac pour le caser sous mon bras avant de me tourner vers lui, m’attirant son regard surpris.

  • Merci pour le repas, murmurai-je en m’inclinant avant de relever la tête pour farfouiller dans mon sac. Je vais te…

— Inutile de me rembourser pour un malheureux sandwich, tu n’as pas à t’en faire pour ça, me coupe t-il dans mon élan, m’obligeant à relever la tête vers lui.

Vu son regard, inutile d’insister. Mais cela ne m’empêche pas de me sentir confuse non plus, j’éprouve bien trop de honte !

  • Mais c’était tout de même ton repas, marmonnai-je en sentant la gêne me gagner à nouveau.

— Peut-être, mais ça m’a fait plaisir de le partager avec toi, rajoute t-il, tout sourire. Alors ne t’en fais pas, vraiment.

Encore un sourire. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai le cœur qui bat plus fort que d’ordinaire. Non, vraiment pas pourquoi.

  • Je dois passer au secrétariat avant le cours. A tout à l’heure alors.

— Euh… oui, répondis-je, mes joues anormalement chaudes.

Ce n’est que lorsqu’il commence à s’éloigner que je sens à nouveau ce sentiment étrange de vide s’emparer de moi, me coupant la respiration.

  • Attends !

Il se retourne vivement à l’entente de mon cri et pour le coup je me sens réellement bête, ayant crié un peu trop fort sans m’en rendre compte. Mais j’ai besoin de savoir quelque chose…

  • Oui ?

— Je… Comment tu t’appelles ? »

C’est vrai que ma question n’a pas de sens, j’aurais dû le lui demander plus tôt. Je n’y ai pas songé, parce que ça m’était égal de savoir qui il était. La vérité c’est que sa seule présence m’a suffi, tout simplement

  • Liam Wright

— Je…

— Et je sais que le tien est June , June Henley ? répond t-il en souriant une dernière fois. On se voit plus tard. »

Puis il retourne sur ses pas sans demander son reste, me laissant seule au milieu des élèves qui commencent à circuler dans la cour. Un peu déboussolée, je me remémore ce rapide moment passé avec… Liam . J’ai un peu honte, il connaît mon nom alors que moi-même j’ignorais le sien. D’un pas plus léger, je commence lentement à me diriger vers les casiers pour prendre mes affaires de sport, ne songeant même pas à l’incident qui s’est produit à la cafétéria. Ça me survole même de savoir que je vais devoir supporter les humeurs de ces filles. Que je vais devoir supporter sa présence à lui.

Liam. Grâce à lui, je n’ai pas eu le temps de penser à l’amertume et la douleur. Il m’a à sa façon, permis de m’évader le temps d’un instant. Et aussi étrange que ça puisse paraître, mes lèvres se tordent dans un sourire.

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