¢нαριтяє ɪɪɪ : Le fin mot de l'histoire - partie 1
Je suis de nouveau au café Poirot, à lorgner les belles arabesques peinte sur la devanture cerise. Cela fait deux semaines que je suis dans le monde des humains, à surveiller les faits et gestes d'Ophélie. Je reste discret, agissant aussi discrètement qu'un courant d'air. Présent, mais invisible, comme le ciel qu'elle regarde sans le voir dès qu'elle en a besoin. Dès qu'en vérité,elle a besoin de mon aide. Et elle en a souvent besoin.
Lorsqu'Ophélie est découragée devant ses devoirs, je lui insufle le courage de continuer. Lorsqu'elle est mélancolique, je lui chuchote des pensées positives. Lorsqu'elle n'arrive plus à créer, je lui offre le souffle de l'inspiration. Lorsqu'elle est bloquée par sa timidité, je fais souffler un vent de confiance en elle. Lorsqu'elle n'arrive pas à dormir, je dépose dans sa tête le calme des étoiles du ciel, comme des grains de sable pour adoucir ses pensées.
Et une fois cela fait, elle gratifie toujours le ciel d'un sourire, comme pour le remercier – comme pour me remercier. Je peux alors voir dans ce sourire toute la beauté qui est absente de son visage en temps normal et qui se révèle dès que son regard croise une goutte de pluie, un nuage, un rayon de soleil ; n'importe quoi qui puisse la ramener au ciel d'où elle vient elle aussi quelque part.
Je suis de nouveau au café Poirot, et je n'ai pas envie de remplir l'autre partie de ma mission, celle qui vient affreusement jurer avec la première partie : l'empêcher de trouver l'amour.
Elle est là, assise à la même table que celle où elle était il y a deux semaines avec Amélie. Ses yeux sont perdus sur l'écran de verre de son téléphone, à la recherche de la moindre notification qui pourrait la sauver pour quelque seconde du stresse qui lui broie le ventre – et le mien par la même occasion.
Je mets dans son ventre quelques nuages pour faire s'envoler les doutes, mais la pierre qui y est logée est trop lourde pour eux.
Enfin l'objet de son stresse vient se placer devant elle,posant sur la table un café. Avec un nuage de lait. Aussitôt, ce petit nuage qui ne vient pas de moi fait son effet. Elle s'apaise, se détend, son ventre est léger, emplie de papillons. Je me sens presque vexé que ce soit ce nuage de lait qui ait réussi ce que mes nuages n'avait pu faire. Mais je reste silencieux ; les anges gardiens ne parlent pas à leur protégé avec des mots. Mais avec des actes.
- Mais vous auriez pu empêcher cette théorie de marcher non ?
Mes yeux se lèvent du dessous de verre où ils s'étaient une fois de plus perdus.
- J'aurais pu, oui. Mais en tant qu'ange gardien, je n'ai pas pu.
- C'est à dire ?
- Les Hautes Instances se sont trompées. Ophélie n'aurait jamais pu être heureuse sans amour.
- Comment vous en êtes vous rendu compte ?
- Lorsque je l'ai vu pour la première fois à un rendez vous amoureux, avais je soupiré. Malgré tous mes efforts pour la rassurer, pour la détendre, malgré tous mes pouvoirs, je n'ai jamais réussi à ôter de son ventre ce gros caillot de stresse qui la faisait s'éloigner du bonheur. Mais lui,il y est arrivé.
- Qui ça lui ? Le garçon qu'elle a rencontré ?
- Oui, le tout premier garçon à avoir éprouvé la théorie du nuage de lait. Il s'appelait.... »
- Marc !
Ophélie expie ce nom comme une délivrance, découvrant avec un bonheur qui m'envahit moi aussi désagréablement le visage du jeune serveur devant elle. Il lui sourit de ses dents blanches.
- Salut, dit il
- Salut, répond elle dans un sourire. Merci d'être venu.
Marc n'avait rien dit. Il avait sourit. Ils étaient resté quelques instants sans rien dire. Ophélie en avait profité poursuivre l'étrange théorie de son amie. Elle avait plongé ses yeux dans sa tasse de café, dans ce nuage qui circule en spirale blanche sur la surface ombragée du café. Elle y voit un nuage blanc au milieu d'un sombre soir de tempête. Un nuage qui circule sans doute devant la lune, mis en valeur par la lumière, tranchant avec l'obscurité. Le charme opère, son visage doucement se transforme.Ses traits s'apaisent, son profil devient fin et délicat, ses boucles tombent doucement sur ses épaules. Marc la regarde,intrigué, un peu intimidé.
Je sais que je dois y mettre fin. Immédiatement. Je m'y résous à contre cœur. D'un coup de vent violent, je fais se renverser la tasse sur la jupe blanche d'Ophélie. Disparu, le nuage qui faisait de l'ombre à ma mission. Envolée, la beauté angélique. Ophélie se lève avec un petit cris. Marc aussi. Il semble un peu agar,comme s'il sortait d'une longue transe. Il bredouille quelques excuses. La gêne détruit le ventre d'Ophélie,brouillant son visage d'un rouge écarlate qui détruit la finesse de son visage. Elle s'enfuit en courant.
Elle sait qu'il ne pourra plus jamais la voir autrement que couverte de café, le visage enlaidit, cramoisi. Elle sait que jamais, ils ne seront ensemble. Elle ne veut même plus se faire d'illusions.
Ses jambes courent dans la rue, entraînées par le rythme insoutenable de ses pleurs. Sa jupe colle de façon ridicule à ses cuisses trop grosses pour plaire – la faute à ces mannequins à taille de guêpe. Elle laisse derrière elle une traînée de gouttes de café qui se sème sur le trottoir, comme si c'était un sang déjà sec qui s'échappe de son cœur trop de fois blessé. Comme une commette qui perdrait peu à peu sa brillance, la semant derrière elle comme de la poussière d'étoile. Elle cache son visage au ciel,refusant mon aide. Elle se réfugie jusqu'à sa chambre. Elle plaque la porte derrière son dos. Je suis juste devant elle, les mains dans les poches, le visage fermé.
J'ai fait ce qu'il fallait que je fasse.
- Pourquoi, avait-elle bredouillé, hurlant presque, pourquoi as-tu fait ça ?
Surpris, je regarde ma main, désormais bien visible. Elle sait que je suis là.
- Après son premier rendez vous avec lui, j'ai découvert qu'elle me voyait, qu'elle avait perçu ma présence.
- Et vous êtes devenu visible pour tous.
- Exactement. Je pouvais désormais devenir visible à volonté.
- Donc vous pouviez rester caché tout de même.
- Oui, mais comme Ophélie était ma protégée, elle pouvait me voir tout le temps, que je sois visible pour les autres ou non.
- Et ça a posé problème ?
- Si vous saviez. »
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