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41. Le harcèlement. Sour El Ghozlane, le 18 novembre 2023.

Avec ses longs cheveux noirs et ses yeux marons profonds, Ouahiba arborait une beauté rayonnante. Intelligente et studieuse, cette lycéenne de dix-sept ans travaillait assidûment et aspirait à devenir avocate ou médecin.

Chaque jour, elle se plongeait dans ses livres, l'esprit habité par l'ambition de réaliser ses rêves. Toute sa concentration était dirigée vers un avenir qu'elle voulait construire par ses propres mérites.

Ouahiba prospérait dans une famille modeste, mais relativement aisée par rapport aux autres villageois. Son père, ouvrier en France, et sa mère, femme au foyer, avaient consenti de grands sacrifices pour assurer sa scolarisation. La jolie fille, au sourire radieux, était bien décidée à réussir pour leur prouver qu'ils avaient fait le bon choix.

Brillante élève depuis l'école primaire, Ouahiba avait toujours été en tête de sa classe. Elle était gentille et serviable, toujours aux côtés de ses camarades de classe, ce qui avait propulsé sa popularité au lycée.

Ouahiba passait de longues heures à étudier et travaillait sans relâche. Elle savait que la réussite ne serait pas facile, mais elle était déterminée à atteindre ses objectifs.

Hamid était son cousin germain. Ils avaient grandi ensemble dans le même village. Il était éperdument amoureux d'elle depuis sa plus tendre enfance.

Hamid n'était pas doué pour les études. Il avait quitté les bancs de l'école depuis le primaire pour s'occuper de ses chèvres et aider son pauvre père dans les travaux des champs. C'était un garçon simple et gentil, mais qui n'avait pas les mêmes ambitions que sa cousine.

Ouahiba, en revanche, résolue à réussir son parcours académique, aspirait à un partenaire qui partageait ses idéaux et son «niveau intellectuel». La jeune adolescente imaginait son prince charmant «de haute classe», tout en rejetant l'idée d'une union avec quelqu'un qui exerçait un métier modeste.

Un beau jour, Hamid avoua ses sentiments à Ouahiba. Il l'avait toujours aimée et voulait passer le reste de sa vie avec elle.

La lycéenne fut offusquée par la déclaration de son cousin. Elle ne voulait absolument pas de lui. Elle rêvait de rencontrer quelqu'un qui soit «de son niveau», qui ait au moins des aspirations similaires. Surtout, elle ne souhaitait pas épouser «un maçon ou un paysan».

Hamid fut déçu par la réaction dédaigneuse de Ouahiba. Il comprit qu'elle ne l'aimait pas, qu'au fond, elle le méprisait même. Il était offensé et blessé, mais ne pouvait pas accepter sa décision.

Malgré le refus catégorique de la jeune fille et l'indifférence qu'elle affichait à son égard, le cousin n'avait pas perdu espoir. Il avait décidé à mener à bien son projet de mariage avec elle. Il n'avait jamais renoncé à son rêve, même lorsque les choses semblaient impossibles. Amoureux d'elle, il voulait l'épouser à tout prix.

Le jeune homme savait que ce ne serait pas facile. La charmante jeune fille l'avait rejeté et le méprisait. Nonobstant, il était prêt à tout pour la conquérir. Et son rêve, c'était Ouahiba qu'il avait toujours aimée, et qu'il était déterminé à épouser.

Malgré les réticences culturelles, Hamid exposait ses sentiments avec tant de fougue et de passion. Ses mots débordaient d'amour et d'espoir, mais se heurtaient toujours à un mur d'indifférence. Les refus répétés de la cousine n'entamèrent en rien sa détermination.

Les dialogues entre eux étaient marqués par la fermeté de Ouahiba et la persévérance de Hamid. Elle exprimait clairement ses désirs, tandis que lui s'obstinait, convaincu, malgré tout, de pouvoir la gagner à sa cause.

* * *

Chaque matin, de bonne heure, Ouahiba quittait son domicile pour se rendre au lycée. Elle y allait seule, car elle vivait désormais dans une nouvelle habitation, construite loin du village. Dans cet endroit un peu isolé, il n'y avait que peu de voisins et pas d'autres élèves dans les environs.

Le sentier, long et sinueux, serpentait à travers des champs et des buissons, des oliveraies et des vergers. Ouahiba connaissait ce chemin par cœur depuis qu'elle était toute petite.

Au petit matin, la route était calme et tranquille. Ouahiba appréciait l'air frais et la beauté de la nature. Le soir, le chemin était plus sombre et plus silencieux. La jeune fille se sentait parfois un peu seule et apeurée. Elle accélérait son allure pour rentrer au plus vite à la maison.

Un jour, Ouahiba se rendait comme d'habitude au lycée lorsqu'elle vit un homme assis sur un rocher. Elle fut surprise d'apercevoir cette silhouette grande et mince sur le sentier isolé. Elle ralentit le pas et regarda le passant avec méfiance. Le bonhomme la contemplait, lui aussi. Un sourire étrange se dessinait sur son visage. C'était son cousin Hamid, venu à sa rencontre.

Dès lors, Hamid se levait tous les matins avec un seul objectif en tête : voir Ouahiba, sa dulcinée. Il se préparait rapidement, avalait un petit-déjeuner frugal, et se dirigeait vers le lycée. Il arrivait toujours en avance et attendait sa bien-aimée sur le chemin.

Le soupirant s'habillait toujours de son mieux quand il allait la voir. Il portait son meilleur costume, sa chemise la plus propre, et ses chaussures les plus brillantes. Il voulait lui faire bonne impression et lui montrer qu'il était un homme sérieux, digne de ce nom.

Lorsque Ouahiba arrivait, Hamid se levait et l'accueillait avec un sourire timide. Il la saluait et lui demandait comment elle allait. À chaque rencontre, il lui déclarait sa flamme. En vain.

Hamid répétait les mêmes mots chaque matin, dans l'espoir que Ouahiba changerait d'avis. Il lui disait qu'il l'aimait plus que tout au monde, qu'il ne pouvait pas vivre sans elle, et qu'il ferait l'impossible pour la rendre heureuse.

Tous les jours, Ouahiba se lançait vers le lycée, portant sur ses épaules le fardeau silencieux de l'insistance de Hamid. Ce dernier, fidèle à son rituel, l'attendait le cœur empli d'un élan non partagé. Ses déclarations étaient empreintes d'une passion ardente, tentant de percer l'armure de son refus absolu.

Dans ces moments où les premiers rayons du soleil se faufilaient à travers les ruelles des villages encore endormis, les paroles de Hamid se muaient en supplications vibrantes, mais qui restaient vaines. Ouahiba marchait, le regard résolu, ignorant les mots enflammés qui tentaient de la retenir.

Pendant plusieurs semaines, Hamid continua à venir voir Ouahiba sur le chemin du lycée. Il espérait toujours qu'elle changerait d'avis, mais il commençait à perdre espoir. Il se sentait méprisé et déshonoré et ne savait pas quoi faire.

Hamid, en désespoir de cause, avait tout tenté pour conquérir le cœur de Ouahiba, mais elle le repoussait sans cesse, et il ne comprenait pas pourquoi. Devant l'impasse de ses avances, Hamid décida de recourir à des moyens plus radicaux.

Le pauvre soupirant était prêt à tout pour avoir sa cousine. Un matin, il l'attendit comme d'habitude sur le chemin du lycée. Mais cette fois, il était différent : déterminé à obtenir ce qu'il voulait.

Quand Ouahiba arriva à son niveau, il la saisit par les bras et l'embrassa à pleine bouche. Surprise et terrifiée, elle essaya de se dégager, mais il était trop fort.

Il la serra contre lui et lui dit qu'il l'aimait plus que tout au monde. Il lui avoua qu'elle était la seule pour lui et qu'il ne pouvait pas vivre sans elle.

Ouahiba pleurait et le suppliait de la laisser partir. Mais Hamid ne l'écoutait pas. Trop aveuglé par son amour, il continuait à l'embrasser et à la tenir dans ses bras. Il ne voulait pas la lâcher.

Finalement, Ouahiba réussit à se libérer et s'éloigna en pleurant. Ce harcèlement ébranla ses certitudes et la plongea dans un abîme de peur et de solitude.

Le lendemain, Hamid revint.

La jeune fille, effrayée et désemparée, se retrouvait dans une situation vulnérable, sans personne pour la protéger. Son père, émigré, vivait en exil depuis des décennies. Ses frères, plus jeunes, n'étaient pas en mesure de la défendre contre Hamid, le cousin qui la harcelait depuis plusieurs semaines.

La mère de Ouahiba, consternée par la détresse de sa fille, tenta de trouver un soutien au sein de sa famille. Cependant, face à la détermination de Hamid, toute aide semblait vaine.

La mère déplora que son mari émigré ne soit pas présent. Autrement, rien n'arriverait à sa pauvre progéniture.

« Lemmer yella baba-s, yili ur ixeddem ara akka weɣyul ! Si le père de Ouahiba était là, il ne ferait jamais ça, l'idiot ! »

Bouleversée, elle avait essayé de parler à la famille de Hamid. Mais sans succès. La mère de ce dernier s'était excusée : elle ne pouvait rien faire contre la folie amoureuse de son fils.

« Dayen yerna-yi, ur s-zmireɣ ara i umcum ! Désormais, il est plus fort que moi, je peux rien contre lui ! »

La mère de la jeune fille finit par se plaindre auprès de sa propre famille. Elle s'adressa à ses frères en ces termes :

« Hamid izeggwir-as-d i Wahiba ɣer ubrid, ur tt-ittaǧǧa ara ad truḥ ad tɣer ! Hamid tendait une embuscade à Ouahiba sur le chemin, l'empêchant de partir étudier ! »

Les oncles maternels de Ouahiba, indignés, décidèrent d'intervenir. Le lendemain, ils attendirent Hamid sur le chemin du lycée. Quand il arriva, ils lui demandèrent de laisser leur nièce tranquille. Le jeune homme leur expliqua qu'il l'aimait de tout son cœur et qu'il avait l'intention de l'épouser.

« D nekk ara tt-yaɣen, bɣu negh qqim ! C'est moi qui l'épouserais, qu'on le veuille ou non. »

Furieux du défi lancé par le cousin, les oncles se battirent avec lui, mais ce dernier s'était révélé plus fort. Il les repoussa et se battait de toutes ses forces.

Les oncles déçus n'avaient pas réussi à protéger Ouahiba. Ils n'avaient pas pu faire grand-chose face à la détermination du soupirant. Ils ne savaient plus quoi faire.

Déposer une plainte ? Il n'en était pas question ! Le linge sale se lave en famille ! Les histoires d'amour étaient un sujet tabou, un scandale qui risquait de ternir la réputation de la jeune fille et porterait atteinte à l'honneur de toute la famille. Une affaire qu'il fallait étouffer à tout prix, quitte à sacrifier l'avenir de la jeune lycéenne.

* * *

Sous la terreur infligée par son cousin, Ouahiba fut contrainte d'éviter le chemin du lycée. Face aux brimades de Hamid, elle était horrifiée. Elle savait qu'il était capable de tout pour l'avoir. Elle avait peur qu'il « salisse sa réputation » en vue d'éloigner toute concurrence et de la forcer à l'épouser.

La jeune fille se voyait abandonner peu à peu ses études, brisée par la frayeur et la détresse. Elle ne pouvait plus étudier. Elle était trop stressée pour se concentrer. Elle ne pouvait pas s'imaginer comment elle pourrait continuer à apprendre dans ces conditions.

Ouahiba était une jeune fille intelligente et ambitieuse. Mais, le reflet de ses rêves se ternit, effacé par la menace que son cousin avait imposée.

Le harcèlement de Hamid avait tout ruiné. Ouahiba fut obligée de cesser de partir au lycée. Au bout d'un certain temps, elle se voyait quitter définitivement ses études.

Ayant abandonné ses études et ne sortant plus de chez elle, la pauvre Ouahiba devint une fille « quelconque », confinée à la maison comme les dizaines de filles sans avenir et sans espoir qui remplissaient tous les villages kabyles. Elle se sentait seule et exclue quand elle voyait les autres filles de son entourage poursuivre leurs études.

Lorsque Ouahiba s'éloigna de son éducation, elle devint peu à peu l'ombre d'elle-même. La lumière autrefois éclatante de sa détermination s'estompa, transformant la jeune fille énergique en une âme désolée. Isolée dans le cocon de sa maison, ses aspirations à devenir avocate ou médecin se dissolvaient dans l'obscurité de sa déplorable situation.

Ce retrait progressif de la vie extérieure fit de Ouahiba une personne presque invisible. Sa seule issue consistait désormais à fonder un foyer. Sa mère craignait sérieusement de ne pas lui trouver un bon parti pour son mariage. Elle risquait même de ne pas se marier du tout et de rester célibataire pour le reste de ses jours.

Privée de son éducation et enfermée dans une solitude oppressante, Ouahiba redoutait de ne jamais trouver un partenaire convenable. Elle se voyait déjà épouser un vieil homme décharné qui aurait l'âge de son propre père. Elle aurait des enfants avec lui et passerait le reste de sa vie à s'occuper de la maison et de la famille.

Elle était désemparée. Elle n'arrivait pas à imaginer comment elle pourrait échapper à ce destin funeste.

Au vu de ces circonstances, Hamid devint, contre toute attente, un prétendant intéressant. Un homme tout à fait acceptable. Surtout aux yeux de la mère de Ouahiba, désespérée de voir sa fille devenir une jeune femme qui avait perdu tous les atouts pour un bon mariage.

Dans ce contexte, l'attitude de Hamid, autrefois rejeté, subit un revirement inopiné. Sa demande en mariage pour Ouahiba devint soudainement attrayante aux yeux de sa famille, malgré toutes les circonstances malheureuses qui l'avaient précédée.

La mère de Ouahiba, avec sa vision traditionnelle, croyait que le mariage était la seule issue pour une fille sans instruction. Elle voulait que sa fille épouse un homme respectable qui puisse la protéger et lui assurer un petit foyer. Hamid remplissait tous ces critères. Il était un homme travailleur, il avait une bonne réputation, et malgré son passé, il était prêt à se marier avec sa cousine.

La mère de Ouahiba n'hésiterait donc pas un seul instant à accepter la demande de Hamid. Elle serait heureuse de voir sa fille se marier et elle était convaincue que Hamid ferait un bon mari.

Ouahiba, résignée, savait qu'elle n'avait pas le choix. Au fil du temps, elle s'était mise à voir Hamid sous un nouveau jour. Elle commença à se rendre compte qu'il était quelqu'un de bien et qu'il l'aimait sincèrement.

Après tant de batailles perdues, Hamid prit son courage à deux mains et envoya sa mère demander Ouahiba en mariage. La pauvre fille fut contrariée, mais finit par dire oui.

Les deux cousins se marièrent quelques mois plus tard.

Hamid s'était révélé être un mari attentionné et affectueux. On oublia vite qu'il avait brisé les rêves de Ouahiba et l'avait empêchée de réaliser ses ambitions. Nonobstant, la jeune femme s'était sentie heureuse avec son conjoint. Elle s'était rendu compte qu'elle l'aimait vraiment et qu'il était l'homme de sa vie.

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