Mis à nu

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 Trois heures de silence. Trois heures sans parler, sans oser la regarder. Que pense-t-elle ? Je suis bloqué avec elle, je dois passer plusieurs heures avec elle, et je n’ose rien dire ? Nous sommes coincés et personne n’est là pour nous débloquer, par ma faute. Pourrais-je un jour à nouveau la regarder ? Ses bras me manquent. Mais il faut que je trouve une solution pour sortir. Réfléchis, Évan, réfléchis. Nous avons tout essayé, mais avons-nous tout pensé ?
« Je sais ! »

J’ai trouvé la solution. Il s’agit d’une vieille légende, mais elle ne peut qu’être vraie. Élisa, qu’est-ce que tu me caches ? Je sais que quelque chose ne va pas, mais si seulement je pouvais savoir quoi…
« Comment ça, tu sais ? Tu vas me dire qu’après trois heures dans le silence, tu as enfin la solution miracle qui va faire qu’on ne va pas crever dans cette cabane qui refuse de s’ouvrir, que tu as trouvé la solution pour nous permettre de respirer un autre air que celui du bois moisi ? Tu vas me dire qu’après tout ce temps, tu as enfin branché les deux seuls neurones qu’il te reste pour nous permettre de trouver une solution ? Tu as enfin réfléchi ?
– Je me souviens, plutôt. Il y a une légende sur cet endroit, une histoire que me racontaient mes parents quand j’étais petit.
– Je la connais, et n’y pense même pas. »

 Elle s’énerve parce qu’on attend depuis trop longtemps, tu ne peux pas lui en vouloir Évan, tu réagirais de la même manière. Tu as touché une corde sensible, également. Je pense qu’elle cache quelque chose, il faut que j’arrive à savoir quoi. Son regard semble perdu, elle est ailleurs. Pense-t-elle à beaucoup de choses, ou s’agit-il de cette légende ?
« Je vois ton regard, Élisa. Tu l’as entendue, c’est ça ? Tu as entendu la Cabane ? »

 Elle ne répond pas, évidemment. Elle l’a entendue, elle sait qu’elle cache quelque chose et que c’est à elle de faire tout le travail. Pardonne-moi, Élisa, mais je suis trop curieux pour ne pas essayer de tout comprendre. Ou peut-être est-ce parce que je tiens trop à toi et que je suis inquiet ?
« Tu refuses de dire un seul mot. Pourquoi, Élisa ?
– J’ai peur.
– Peur de ?
– Toi. »

 Cette réponse brise mon cœur en un millier de morceaux. Je tiens à elle.
« De moi ?
– J’ai peur que tu me juges, que tu ne comprennes pas, que tu sois incapable de me voir comme avant. J’ai peur de ne pas être à la hauteur, de te décevoir, de ne pas être celle que tu penses. J’ai peur d’être une mauvaise amie, d’être la pire des idiotes, que tu me laisses tomber, que mon existence n’ait plus d’importance pour toi. J’ai peur que… »

 Je ne peux pas la laisse dire ça. Elle ne sait pas tout de mon passé, elle ne sait pas à quel point j’ai pu être odieux avec certaines de mes amies qui me tendaient la main. J’ai été pire que toi, Élisa, crois-moi. Alors je ne te jugerai pas, je me juge déjà suffisamment. Je place un doigt sur ses lèvres pour l’empêcher de continuer, de peur d’en entendre davantage.
« Non, je ne vais pas te juger.
– Comment peux-tu en être sûr ?
– Je tiens trop à toi et peu importe ce qui te ronge, je serais à tes côtés. Tu pourrais me dire que tu as tué, violé, commis les pires horreurs, je ne pourrais pas te juger. Je te fais entièrement confiance et je crois en toi, je serai toujours de ton côté, même si tu as tort. Je serai là pour te rassurer et te réveiller si besoin, mais je ne serai jamais contre toi. »

 Je serais là pour cacher un corps si jamais tu me le demandais. Je tiens trop à toi pour vouloir te faire du mal, si seulement tu savais…
« Tu mens.
– Non !
– Si.
– J’ai toujours été sincère et je le resterai.
– Et comment je peux t’avouer ça ?
– Ferme les yeux. »

 Je ne réfléchis plus à ce qu’elle dit, je ne l’écoute plus, je ne pense qu’à la rassurer. Quand je vois ses paupières fermées, je commence à placer une main dans ses cheveux, je lui montre que je tiens à elle et que je suis là pour la rassurer. J’espère qu’elle le ressent comme ça, et que ma main qui descend le long de sa joue, dans son cou, le long de sa taille et vers ses hanches ne la laissera pas penser à quelque chose de malsain, de pervers. J’ai peur d’être maladroit, mais je ne dois rien montrer. Je suis fort pour toi, Élisa. Remets tout ton être dans mes mains et laisse-moi t’aider à avouer. Je m’inquiète pour toi. J’ai peur pour toi. J’ai peur de ce qui te ronge, j’ai peur de ne pouvoir jamais t’aider. J’ai peur que tu m’en veuilles, mais je veux être là et que tu le saches. Je voudrais tellement que tu aies entièrement confiance en moi pour me l’avouer. Ou peut-être as-tu confiance, mais as-tu peur ? Ton visage semble si triste…
« Tu me crois, maintenant ?
– Je te crois, mais j’ai toujours peur. Je suis en panique, je ne suis pas prête. »
Je voudrais te rassurer, te montrer que je suis là.
« Nous avons le temps. »
Et c’est bien tout ce que je suis capable de trouver. Pitoyable.
« Je suis fatiguée de ces événements. Je ne peux pas le supporter, je veux uniquement sortir !
– On ne peut pas tant que tu n’avoues pas, Élisa.
– Je sais, Évan.
– Qu’y a-t-il ?
– J’ai honte.
– Honte de ?
– Ce que j’ai fait.
– Pourquoi ?
– Parce que ce n’est pas moi. »
Elle est rongée par son passé. Elle le refuse et je peux le comprendre. Je ne suis pas un saint, mais j’ai su l’accepter. Je voudrais l’aider, lui montrer qu’elle aussi, elle est extraordinaire.
« C’était toi.
– Ce n’est plus moi.
– Es-tu sûre ?
– Ça n’a jamais été moi.
– Tu me mens ?
– Non, je commence à avouer.
– Comment ça ?
– Je n’ai jamais voulu.
– Voulu quoi ?
– Je ne contrôle rien.
– Contrôler quoi ?
– Je ne résiste pas.
– Bon sang, qu’as-tu fait ? »
J’ai peur. J’ai peur de ce qu’elle a pu faire. Je n’ai pas peur de ce qu’elle pourrait me faire, j’ai confiance en elle. Mais j’ai peur qu’elle ne se soit trop blessée pour pouvoir se soigner. Mais je serai là pour l’aider, pour la soigner. Je serai là pour toi, Élisa.
« J’ai tout détruit.
– Détruit ?
– Tout perdu.
– Perdu ?
– On ne m’aime plus. »
Je t’aime tellement Élisa. Tu es merveilleuse et je voudrais te le dire, te le répéter, te le prouver. Mais tu ne m’écouteras pas, tu nieras, comme toujours. Et je te comprends, je suis le même.
« Je t’aime, moi.
– J’ai peur.
– Je suis là.
– J’ai honte.
– Je t’aime toujours.
– J’ai peur.
– Il ne faut pas.
– J’ai encore plus honte.
– Honte de quoi ?
– De t’infliger tout ça.
– Tu ne m’infliges rien.
– Si. »
Elle s’inflige encore plus de souffrances. Pourquoi ? Ce n’est pas ta faute, Élisa. C’est la mienne.
« Non, c’est la Cabane.
– Je n’y arriverai pas, je suis désolée.
– Alors on y arrivera ensemble. »

 Cette dernière phrase est sortie sans que je ne puisse la contrôler. Je la vois paniquer, je la vois souffrir, je voudrais tellement l’aider. Élisa, dis-moi ce qui ne va pas, je t’en supplie. J’ai confiance en toi, aies confiance en moi.
« Élisa, tu me fais confiance ?
– Oui, mais je ne m’en sens pas capable.
– Je donnerai ma vie pour la tienne, tu penses vraiment qu’un secret pourrait détruire quoi que ce soit ?
– Évan…
– Regarde-moi, Élisa. Tu penses vraiment que je vais te trahir pour un secret ?
– Non, mais je me hais.
– Et moi je t’aime.
– Moi aussi, mais j’ai peur.
– Je sais que tu as peur. Je ne peux même pas imaginer ce que tu ressens à ce moment. »
C’est vrai. Suis-je vraiment capable de savoir qui elle est, ce qu’elle ressent, comment elle fonctionne ? Je ne peux qu’imaginer, observer son corps trembler, pleurer. Je ne peux qu’être désemparé.
« Je peux ne rien dire ?
– Comment ça ? »

 Pourquoi ferme-t-elle les yeux ? Qu’est-ce que ça signifie, « ne rien dire » ? Va-t-elle abandonner maintenant, ou est-ce quelque chose de complètement différent ? Son visage est douloureux, mon cœur se resserre en l’observant. Je sens sa douleur, la pression sur ses épaules. Je suis désolé de t’infliger ça, Élisa. Je voudrais tellement te dire « arrête, ce n’est pas nécessaire ». Mais tu vas tout m’avouer, n’est-ce pas ? Mon cœur se brise encore une fois, la voir souffrir sans rien pouvoir faire est une épreuve incroyablement difficile pour moi. Je voudrais revoir ton sourire. Il me manque, en ce moment.

 Quand je vois son corps, mes sentiments son confus. Je ressens une immense joie de pouvoir connaître son secret, de savoir qu’elle me fait suffisamment confiance pour me l’avouer. Je ne sais même pas si j’aurais été capable de le faire, si j’avais été à sa place. Je ressens aussi de la tristesse, de la douleur. Je ressens ce qu’elle a traversé, ce qui la détruit un peu plus chaque jour. J’ai peur pour elle, je veux être là pour l’aider, pour la rassurer.
« Comment…
– C’est ce que je m’efforce de ne pas t’avouer depuis le début.
– Mais pourquoi ?
– Tu me prendrais pour une folle.
– Dis-moi, s’il te plaît.
– Je me sens tellement bien.
– Je ne vais pas te prendre pour une folle, je comprends.
– Vraiment ?
– Je ne l’ai jamais fait, mais j’ai eu des expériences similaires.
– J’ai honte.
– Tu ne devrais pas.
– Je suis faible.
– Tu es forte.
– Je suis pitoyable.
– Incroyable.
– Repoussante.
– Attirante.
– Pourquoi tu nies ?
– Parce que tu sais que j’ai raison mais tu ne veux pas l’avouer.
– C’est faux !
– Élisa, tu es merveilleuse et le courage que ça demande pour te mettre à nu devant moi et me montrer tes secrets de cette manière est incroyable. Tu ne peux pas dire que tu n’es pas forte.
– Si, Évan. Je suis faible, je cède à chaque fois. »

 On entend la porte grincer. La Cabane nous a libérés. Elle fond à nouveau en larmes et tombe dans mes bras. Je te promets de ne jamais te voir différemment, Élisa.

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