Seed, Dalkia, Utopia, 3 juillet 1990, 3h30

L'alarme retentissait dans toute la ville. Elle prévenait sûrement de l'arrivée imminente de troupes ennemies. Mais d'où ? Des villes dalkiennes voisines encore sous occupation ou par la mer ? C'était la question que se posait Olympe, tout comme la plupart des combattants de la Résistance. Question qui trouverait bientôt sa réponse.

« Par la mer ! Par la mer ! Ils vont débarquer ! », criaient les résistants de garde, afin de prévenir les autres.

Avant d'entrer dans le groupe, Olympe n'était pas dans l'armée, mais elle savait que les débarquements étaient compliqués à gérer si en face, l'ennemi avait établi de bonnes défenses. Heureusement, le Efdéème avait placé des pièces d'artillerie sur la plage de Seed. Artillerie que la Résistance avait récupérée en reprenant la ville. Olympe n'y connaissait pas grand-chose, mais elle trouvait étrange que le Efdéème ait choisi de débarquer de nouvelles troupes à Seed par la mer, sachant qu'ils avaient auparavant disposé ces pièces d'artillerie le long de la côte. Ils devaient savoir qu'ils rencontreraient une forte opposition, et qu'une bonne partie de leurs barges de débarquement risquait d'être coulée. Sauf s'ils avaient placé un de leurs vaisseaux spatiaux en orbite au-dessus d'eux et qu'ils utiliseraient des frappes orbitales pour les détruire et permettre aux barges de débarquer les renforts sans gêne. Mais peu de risques, le Efdéème ne voulait pas attirer l'attention de son ennemi héréditaire, le Véerème. Un combat depuis l'espace les aurait immédiatement mis au courant, les incitant alors à envoyer des troupes sur place pour soutenir la Résistance. Non, le Efdéème ne pouvait pas se risquer à ça. Alors, qu'avaient-ils prévu ?

— McNamara ! cria un autre résistant que la jeune femme identifia comme étant le sergent Delas.

Il venait vers elle en courant.

— Suivez-moi ! lança-t-il en la dépassant.

Olympe s'élança à sa suite. Ils rejoignirent un autre peloton qui se dirigeait avec hâte vers la plage. Dans ce groupe, il y avait son frère, Zack, un jeune homme aux cheveux mi-longs, bruns, légèrement bouclés, les yeux marrons, dans la vingtaine, faisant un peu plus d'un mètre quatre-vingt, vêtu de la tenue standard de l'armée dalkienne.

Avant la Résistance, ils étaient juste frère et sœur. Maintenant, ils étaient également frères d'armes. Olympe accéléra jusqu'à arriver à côté de lui. Zack tout en continuant de courir, vit Olympe à côté de lui.

— On va les accueillir comme il se doit ! Ils vont regretter d'être venu ici ! lui dit-il.

— Si ça se trouve, ils seront dix fois plus nombreux que nous, tu ne crois pas ?

— Et alors, on leur a piqué leur artillerie, si ça se trouve ils ont oublié qu'ils avaient placé des défenses sur la côte et on va allumer leurs barges une par une !

— Et s'ils se souviennent que...

Olympe n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'ils entendirent les premières explosions. Le peloton s'arrêta net. Il faisait nuit et les déflagrations provoquaient des flashs dans le ciel. Olympe et les siens étaient arrivés près de la côte. Ce qui s'offrait à leurs yeux était un cauchemar. Les pièces d'artillerie explosaient une à une, les corps de dizaines des leurs étaient étalés, inertes, sur le sol, et les chars qu'ils avaient déployés n'étaient plus que des cadavres mécaniques. Ce que craignait Olympe était arrivé. L'armée Efdéème savait où était l'artillerie puisqu'elle l'avait elle-même installée. Elle n'avait plus qu'à la détruire en envoyant des missiles. Ce qu'elle venait de faire. Une fois toutes les défenses détruites, les tirs cessèrent. À cause de la nuit, il était difficile de voir les embarcations ennemies. Peut-être étaient-elles encore loin, trop loin pour les apercevoir.

La résistance avait placé des fortifications sommaires, des barricades, des sacs de sable pour se cacher derrière. Malgré les explosions, certaines d'entre-elles étaient encore debout.

— Positionnez-vous derrière les barricades ! ordonna le sergent Delas. Placez les calibres 50 et attendez mes ordres !

Tout le monde s'activa. Olympe et Zack se cachèrent derrière l'un des nombreux abris de fortune, et attendirent l'arrivée de l'ennemi. Olympe observait le visage de ses compagnons. Elle voyait des hommes et des femmes, tous différents les uns des autres. Certains, comme elle, n'avaient qu'une vingtaine d'années alors que d'autres dépassaient les quarante ans. Mais tous, quel que soit leur âge, quel que soit leur sexe, avaient quelque chose en commun. Ils étaient terrifiés. Effrayés à l'idée de voir ce que leur réservait l'ennemi. Mais en même temps, ils étaient tous unis par la volonté de libérer leur patrie. Puis ils perçurent des lumières au loin.

— Les barges ! criait un résistant dont Olympe ne connaissait pas le nom, Ils arrivent !

— Ne tirez pas ! ordonna le sergent Delas. Pas maintenant !

Plus les barges approchaient, plus Olympe était gagnée par la peur. Parmi les combattants, il y avait bien sûr son frère, mais aussi beaucoup de visages familiers. Certains d'entre eux étaient d'anciens voisins, d'anciens étudiants de son université ou simplement des résistants qu'elle avait l'habitude de croiser dans les camps ou avec qui elle avait déjà effectué une ou plusieurs opérations. Elle savait que beaucoup allaient périr et que Zack et elle pouvaient en faire partie. La Résistance avait réussi à reprendre Seed parce que les efdéèmois les avaient sous-estimés. Mais ils ne commettraient certainement pas deux fois la même erreur. Les renforts en étaient la preuve.

Zack semblait moins apeuré. En même temps, il avait toujours voulu s'engager dans l'armée sans jamais pouvoir le faire, car la seule force militaire autorisée par le Efdéème à Dalkia, c'était la sienne. L'armée dalkienne avait été démantelée et supprimée par l'occupant au lendemain de l'invasion, lorsque le président dalkien avait signé l'armistice.

Olympe était courageuse, elle ne refusait jamais de combattre pour la Résistance, mais elle préférait les tactiques de guérilla. Attaquer des petits groupes isolés, installer des charges explosives, intercepter des cargaisons ennemies. Tout ça, elle arrivait à gérer. Mais là c'était différent, il s'agissait d'une vraie bataille et elle ne savait pas à quoi s'attendre. Elle n'avait pas participé à la reprise de Seed, contrairement à son frère. Ce jour-là, elle était affectée au ravitaillement. Aujourd'hui, elle se trouvait au front.

Les barges arrivèrent sur le sable.

— Attendez que les portes s'ouvrent ! cria le sergent. On va les allumer, ces enfoirés !

Mais à la surprise générale des résistants, rien ne s'ouvrit.

— Qu'est-ce qu'ils fabriquent ? se demanda Olympe.

Pendant quelques secondes, rien ne se passa. Puis, des trappes s'ouvrirent sur le dessus des barges. Des mitrailleuses et des lanceurs en sortirent. Bien qu'elles n'en aient pas donné l'impression au départ, les barges étaient en fait lourdement armées.

— Lance-Roquettes, tirez sur ces choses ! Détruisez leur armement ! cria Delas.

Les résistants qui transportaient les lance-roquettes se mirent en position. Mais il était trop tard, les mitrailleuses entamèrent leur feu, les lanceurs commencèrent à jeter des grenades. Et alors que tout le monde croyait qu'il s'agissait de bombes incendiaires, il s'agissait de grenades aveuglantes. Les mitrailleuses profitèrent de cet effet de surprise pour balayer la plage dans un mouvement de va-et-vient, éliminant une grande partie des résistants présents.

Face à ce vacarme, Olympe paniqua. Des dizaines de ses camarades mouraient sous les balles ennemies. Soudain l'un d'eux tomba à environ trois mètres d'elle. Il s'agissait de Delas.

— Sergent ! criaient des résistants.

— Il faut se replier ! hurlaient d'autres.

Les barges s'ouvrirent. Les troupes Efdéèmes débarquèrent. Les hommes de la Force Écarlate furent les premiers à fouler la plage.

Beaucoup de résistants connaissaient la légende noire de ces hommes réputés invincibles. Il s'agissait de soldats surentraînés et impitoyables, reconnaissables à leur armure rouge vif. Les voir débarquer, n'était jamais bon signe. Du moins pour leurs ennemis. Olympe fut saisie par le bras. C'était Zack.

— Viens ! Il faut s'en aller ! lui dit-il.

La jeune femme ramassa son fusil et suivit son frère. Les autres résistants encore en vie les imitèrent et se replièrent sous le feu de la Force Écarlate qui les tua presque tous. Sur les quelques trois cents hommes et femmes qui avaient pris position sur la plage, il n'en restait plus qu'une quinzaine. Un vrai bain de sang. L'objectif des rescapés était clair, rejoindre les résistants encore en garnison dans la ville pour continuer le combat. Olympe en venait à se dire que la Résistance aurait mieux fait de les laisser débarquer, qu'ils auraient eu plus de chance en combat urbain. Après tout, c'était comme ça qu'ils avaient réussi à reprendre Seed.

***

Quelques instants plus tard, le capitaine Neg était l'un des derniers à débarquer sur la plage, suivi par son protégé : Hal Damon, l'homme venu d'Exotis.

Ce dernier était terrifié par ce qu'il voyait sur cette plage : des morts par dizaines, des épaves de chars et de pièces d'artilleries encore fumantes, ainsi que des débris de murs. Bref, il voyait la guerre. C'était la première fois qu'il y était confronté. Puis il regarda Neg. Ce dernier ne regardait même pas les corps de ses victimes. Il avançait, la tête bien droite, sûr de lui comme s'il ne craignait rien ni personne dans son uniforme d'officier rouge, couleur que l'armée efdéème préférait aux motifs de camouflage.

Puis Hal se retourna et vit six soldats de la force écarlate. Ces derniers avançaient avec la même détermination que leur capitaine. Hal venait à se demander s'il était dans le bon camp. Peu importe, il n'avait rien à voir avec les querelles qui opposaient les puissances de cette planète. Après tout, peut-être que Dalkia l'avait cherché. Il ferait ce pour quoi il était ici, puis il repartirait sur son monde avec ce que lui avait promis Aramis Neg et il oublierait tout ça. Enfin, il essaierait.

— Qu'allez-vous faire ? demanda Hal au capitaine Neg.

— Ce pour quoi j'ai été envoyé, mon garçon, reprendre la ville et exterminer la Résistance avant qu'ils ne nous posent plus de problèmes.

Aramis Neg pouvait être fier de lui. Encore une fois, il venait de prouver à ses supérieurs son efficacité et son génie militaire. Il venait de balayer d'un revers de main tout espoir de la Résistance de reprendre un jour Dalkia. Du moins c'est ce qu'il croyait.