A special tribute to J.K. R.
Tout en remontant le boulevard Chasuble, je regardai ma montre à intervalles réguliers.
« N’oublie pas ta carte d’identité, ta convocation. Ne sois pas en retard ! » avait répété mon père toute la soirée.
À six heures, il m’avait tiré du lit, avait préparé le petit-déjeuner, et il avait fallu que je lui rappelle mes quinze ans et le fait que je me débrouillais très bien depuis une bonne dizaine d’années pour éviter qu’il ne m’enfile mon caleçon.
C’est avec une empathie certaine pour les condamnés montant sur l’échafaud que je bifurquai sur l’allée Dompierre, celle qui longe le terrain de foot.
En apercevant des groupes épars devant la grille du collège, je me sentis un peu rassuré. Mon père n’était de toute évidence pas le seul parent à avoir subi une crise de « matinite aigüe ».
Je m’approchais de Pablo et Yvan, tous deux adossés au grillage qui ceinturait l’établissement scolaire.
Le regard que me lancèrent mes amis était éloquent. La nuit avait été courte et les rêves parsemés de dates historiques, de frises chronologiques et de cartes légendées.
Un coup de vent soudain arracha ma casquette. Je scrutai le ciel avec inquiétude. Juste au-dessus de nous, un nuage noir s’était formé. Le portail était fermé et il n’avait pas un surveillant à l’horizon. Impossible de se mettre à l’abri sous le préau.
— C’est pas vrai, fit Yvan. On va se prendre une sauce !
— Tu as vu ce nuage, ajouta Pablo. Je n’ai jamais vu un truc pareil !
Au centre de la nuée, des éclairs vibrionnant crépitaient en tous sens, sans qu’un seul aille en direction du sol.
Subitement, il y eu comme un vortex, un tourbillon à l’endroit le plus sombre et une forme indistincte se dessina.
Des cris de frayeur fusèrent tandis que la silhouette se précisait.
Tétanisé, je vis une masse ailée sortir du nuage, un monstre noir, aux écailles brillantes, plus gros qu’un éléphant.
Il battit des ailes, soulevant un vent furieux qui faillit me jeter à terre. Je regardai autour de moi. Luisa et Léa étaient livides, figées telles des statues de sel. Killian, lui, s’était accroupi, le cartable posé sur la tête comme pour se protéger. Certains fuyaient à toutes jambes mais la plupart des collégiens présents étaient comme paralysés, incapables de réagir devant cette monstruosité qui, en quelques battements d’ailes, atterrit au beau milieu du parking des cars, une vingtaine de mètres devant nous.
La créature était gigantesque, terrible, effrayante et, en même temps, d’une beauté à couper le souffle. Sur sa queue hérissée de piquants, les écailles scintillaient comme des pierres précieuses. Ses ailes immenses ressemblaient à celles d’une chauve-souris. Un réseau noueux de veines vermillon sillonnait les membranes aussi transparentes que celles des sauterelles névroptères décortiquées en cours de sciences. Les deux pattes griffues, puissantes et trapues labouraient le bitume du parking comme elles l’auraient fait d’une motte de beurre.
Le monstre tordit son long cou et souffla des flammèches bleuâtres par ses naseaux. Il souleva à nouveau ses ailes immenses, et s’ébroua, faisant cliqueter ses écailles en un vacarme assourdissant.
Ébahi, je remarquai une forme plus petite, juste au-dessus de ses épaules. Une silhouette humaine, engoncée dans une longue cape et coiffée d’un bonnet jaune et noir.
Une fille ! constatai-je, stupéfait, lorsque glissa le long de l’encolure du dragon –car c’en était un, sans aucun doute.
La demoiselle, redressa son bonnet, embrassa le monstre sur la patte, puis se dirigea dans ma direction.
J’entendis Pablo, à mes côtés, qui répétait sans fin « Ô purée, purée, purée, purée… ». La fille s’arrêta à trois pas, ouvrit un sac à mains et en sortit un parchemin.
— Ça va, je ne suis pas en retard ? me dit-elle. Ras-le-bol de ces examens de fin d’année, je n’ai même pas révisé mes potions et mes ensorcell…
Elle s’arrêta brusquement, tourna la tête à gauche, puis à droite, dévisagea mes camarades immobiles. Elle regarda mes chaussures, mon pantalon, mon pull, tout en marmonnant « Oh non, oh non… » puis « c’est pas vrai, c’est pas vrai… qu’est-ce qui m’a fichu un portoloin pareil ! »
Un grand sourire gêné apparut sur le visage constellé de taches de rousseur.
— Euh, vous êtes Moldu ? C’est bien ça ?
— Mol...quoi ? trouvai-je la force de répondre malgré la boule logée au creux de ma gorge.
— Ouhlalalala… Je vais me faire enguirlandouiller, gémit-elle en tordant en mèche de cheveux entre les doigts.
Subitement, elle pivota sur elle-même, courut à toute vitesse jusqu’au monstre et sauta sur son cou avec une aisance inattendue.
Je l’entendis hurler « Albert ! Vite ! On part ! »
Le dragon étendit à nouveau ses ailes, les rapprocha brusquement, soulevant un nuage de poussière. En une poignée de secondes, la créature monta dans le ciel puis disparut au cœur du nuage.
Interloqués, nous vîmes le vortex se refermer et le nuage sombre se dissiper en un instant.
Juste derrière moi, j’entendis la voix d’Yvan « C’est pas possible, j’ai pissé dans mon froc. »
À cet instant, une porte claqua dans la cour du collège. Monsieur Louis, le principal, descendait la cour avec un sourire bienveillant. Il ouvrit le portail, puis se figea en constatant que pas l’un d’entre nous ne bougeait.
— Et bien, les jeunes, il ne faut pas se mettre dans un état pareil pour le brevet, nous assura t-il de sa voix chantante de Méditerranéen.
Le médecin-psychiatre de la cellule psychologique d’urgence tirerait de cet évènement une gloire éphémère et un article pompeusement intitulé De l’hallucination collective comme phénomène d’évitement des épreuves scolaires. Le cas remarquable du collège de Bouilly-en-Besse.
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