(2018) La Brèche au Diable
Elle abandonna sa voiture sur le côté de la route et, son appareil photo à l’épaule, rejoignit le chemin proche qui s’enfonçait sous les frondaisons,
C’était une belle journée de printemps, chaude et ensoleillée. Une de ces journées dont on veut profiter au maximum. Alors, après le travail, elle avait pris son appareil photo et sa voiture puis avait erré, à la recherche d’un lieu à visiter ou à prendre en photo, sur les routes du Calvados.
Après s’être perdue, elle arriva dans un petit village à la sortie duquel elle put lire un panneau indiquant un lieu nommé la Brèche au Diable. Bien que le nom soit étrange et presque inquiétant, la curiosité la prit aussitôt et la poussa à se garer pour aller voir ce qu’était cette fameuse « Brèche au Diable ».
Le sentier ne tarda pas à s’enfoncer sous les frondaisons de jeunes arbres aux feuilles vertes et aux branches solides. Çà et là, elle pouvait distinguer des traces de sabots sur le sol ; des chevaux passaient régulièrement par là. Peut-être y avait-il même un centre équestre à proximité ?
L’appareil à la main, la jeune fille continuait de suivre le chemin, s’enfonçant de plus en plus dans la forêt. Peu à peu, les traces de présence humaine disparurent pour laisser place à un bois vierge et à la végétation de plus en plus drue. Les minces arbres de la lisière laissaient peu à peu place à d’autre, plus massif et plus âgés.
Une légère brise courrait entre les troncs et les cimes, faisant chanter les feuilles. Celles-ci, d’humeur poète et mélancolique, évoquaient l’Histoire de la Brèche au Diable, du temps de sa naissance à l’époque glorieuse précédant la venue des hommes, puis le carnage et la destruction qui s’ensuivirent.
Évidemment la fille n’entendait pas les paroles de ce chant à la fois grandiose et triste. C’était un hymne empli de joie et de chagrin ; d’espoir et de désespoir.
Le chemin s’enfonçait toujours plus profond et commençait même à disparaître, menaçant d’égarer la promeneuse, pourtant celle-ci ne rebroussa toujours pas chemin.
Le sous-bois était plus épais, des ronces et des orties dépassaient parfois, venant lui couper la route et l’obligeant à passer à travers. Elle fut même obligée de repousser une ronce de la main et une épine s’enfonça dans la pulpe de son pouce. Contrairement à ce à quoi elle s’attendait, la douleur ne vint pas. L’épine, douce et délicate, c’était enfoncée avec douceur dans la chair de son doigt.
La jeune fille ne tenta donc pas de l’enlever et continua son chemin. Les cimes des arbres étaient maintenant bien loin au-dessus d’elle et plongeaient l’endroit dans une douce pénombre où le murmure du vent et le chant des oiseaux étaient les seuls bruits audibles. Adieu cris des hommes et machines infernales. Ici, c’était le Règne de la Nature qui prédominait.
Le son d’une rivière qui s’écoule monta jusqu’à elle et, peu après, elle déboucha sur ce qui aurait pu être une clairière à quelques détails près. La forêt ne s’ouvrait pas d’un coup sur un espace dégagé. Non. Au lieu de ça, les arbres se faisaient plus épars, laisser enfin pénétrer les rayons du soleil qui réchauffaient l’endroit. L’eau traversait toute la zone en plusieurs ruisseaux issus de cascades tombant de plusieurs côtés de la percée. Et, à la jonction de tous ces ruisseaux en un petit lac, un arbre et un puits se dressaient sur ce qui semblait être une petite île.
Les bords du puits étaient haut, ils devaient excéder le mètre, pourtant le diamètre de celui-ci n’était même pas égal au quart de la moitié de celui du tronc de l’arbre. C’était un géant, un titan de plus de quarante mètres de haut. Un arbre qui ne devait pas se trouver là et qui, pourtant, y était. Un colosse régnant sur une forêt plusieurs fois centenaire, dépositaire de la mémoire du temps. C’était le Roi présidant sa cour de seigneurs eux-mêmes protégés par de jeunes arbres, solides et courageux, dressés à la bordure du monde des hommes. Le Président bienveillant protégeant son peuple.
Et au pied de ce séquoia géant, était assis un chien. L’absurdité de la chose fit rire la jeune fille, restée bouche-bée devant la majesté de l’arbre.
Le chien était un golden retriever au cou orné d’un foulard vert. Le chien regardait l’intruse, l’humaine qui se trouvait là où personne ne venait plus depuis des années, d’un regard doux et profond, emplis de sagesse.
Elle chercha ses maîtres des yeux, appela, mais elle était seule avec le chien. Elle essaya bien de lui parler, mais il ne répondit pas.
Au bout d’un moment à la regarder dans les yeux, le golden se mit debout et traversa l’eau à la nage pour passer devant elle et rejoindre le chemin par lequel elle était venue. Il s’assit et la regarda de nouveau.
Elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il voulait. Puis elle tenta de l’approcher pour voir s’il se laissait caresser et le chien s’enfuit pour s’asseoir un peu plus loin. Elle tenta à nouveau de l’approcher et le manège recommença jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’il voulait juste qu’elle le suive.
Alors elle le suivi et il la ramena à sa voiture juste avant le coucher du soleil. Elle se retourna un instant vers la forêt qu’elle venait de quitter et quand elle voulut examiner le chien de plus près, celui-ci c’était déjà évanoui dans la nature.
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Voici le récit quelque peu modifié et romancé d'une rencontre que j'ai fait durant le printemps 2018, dans une forêt du Calvados.
En réalité, le chien (bien un golden qui agissait exactement comme celui de l'histoire) m'a conduit à un centre équestre. Ce qui est cocasse, c'est que j'en cherchais justement un ! Malheureusement, je l'ai trouvé juste avant mon départ...
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