Chapitre 11
Pour tenter de se distraire en attendant son compagnon de route, Elanne entreprit de se fabriquer une cible en taillant des cercles sur le tronc épais d’un arbre. Elle avança ensuite de dix mètres et y déposa une longue branche qui trainait par terre. Cela formait un pas de tir de fortune, mais cela suffisait à Elanne pour pouvoir s’exercer un peu au tir à l’arc en attendant que Grëals revienne.
Elle prit une flèche dans son carquois et arma son arc avec. Elle le banda ensuite tout en se concentrant pour viser au mieux le plus petit cercle qu’elle avait gravé sur l’arbre, celui au centre de sa cible improvisée. Elle bloqua ensuite sa respiration et lâcha précautionneusement la flèche tout en lui donnant de l’impulsion pour qu’elle puisse franchir les dix mètres qui la séparaient de la cible. La flèche fusa en direction de cette dernière et alla se planter dans le rond du centre, ce qui arracha un sourire à Elanne.
Mais soudain, une main se posa sur l’épaule d’Elanne, qui se retourna vivement en encochant une autre flèche sur son arc, prête à tirer. Mais elle se détendit aussitôt quand elle découvrit qu’il s’agissait de Grëals. Celui-ci, non impressionné par la flèche d’Elanne, qui aurait pu lui donner la mort si elle l’avait tirée, se contenta de féliciter la jeune elfe :
« Bien joué Elanne, espérons que tu sois aussi adroite avec nos ennemis. »
Elanne ne répondit pas au compliment et se contenta de jeter un regard lourd de reproches au sorcier, tout en le sermonnant :
« J’aurais pu vous tuer. Ne surgissez plus comme cela la prochaine fois. »
Un sourire se dessina sur les lèvres pincées de Grëals
« Je n’aurai jamais pu mourir à cause de cette flèche. Je vois bien que tu ne te doutes pas de l’étendue de mes capacités » rétorqua-t-il avec calme.
-Si nous allions à Cumon, maintenant que vous êtes là. J’ai réservé une embarcation.
-Nous avons du temps devant nous, reposons-nous un peu. Cet endroit est désert et idéal pour faire une sieste. »
En effet, avec le soleil et la légère brise qui l’accompagnait, le climat était idéal. Chaud mais toujours rafraichi par le vent, sans toutefois le rendre froid. Les plaines vertes remplies de fleurs de toutes les couleurs, en particulier violettes et rouges, les champs et les sous-bois aux alentours rendaient l’endroit accueillant.
Mais Elanne, insensible à cette beauté naturelle, demanda à Grëals, curieuse :
« Et si vous me parliez d’abord de la personne que vous êtes allé voir ?
-Oh, Lornh m’avait demandé d’aller rendre visite à cette personne.
-Qui est Lornh ?
-Une vieille connaissance vivant en pays Lornenne. »
Elanne fronça les sourcils et ses oreilles tremblèrent, signe d’incompréhension chez les elfes.
« Et pourquoi ce Lornh voulait-il voir quelqu’un du pays des plaines ?
- Cette personne avait quelque chose à transmettre à Lornh. »
Elanne hocha la tête et ne posa pas plus de questions à Grëals, sachant qu’elle n’obtiendrait pas plus de réponses de la part du sorcier. Il en avait déjà bien assez dit. Elle alla donc s’installer au bord du sentier vers le sous-bois, à l’ombre de l’arbre dans lequel elle avait gravé une cible. Sa flèche figurait toujours en son centre, étant donné qu’elle n’avait pas eu l’occasion de l’en enlever. Elanne se leva donc et tira sur la flèche pour la dégager de l’arbre si bien qu’au bout de trois tentatives, elle parvint à l’extraire du tronc. Cela eut pour effet de l’envoyer rouler dans l’herbe sous le coup de la pression. Elanne vit Grëals sourire, probablement amusé par cette scène qu’il jugeait comique. La jeune elfe l’ignora puis remit la flèche dans son carquois. Elle s’allongea ensuite sous l’arbre et ferma les yeux, la main campée sur son arc au cas-où une quelconque attaque se produirait.
Elle fut réveillée par Grëals, qui se contenta de murmurer :
« Il est l’heure de partir pour Cumon, on doit probablement nous attendre. »
Elanne se leva donc en vitesse, rassembla ses affaires et suivit Grëals sur le sentier qui menait au triste village des plaines.
Ils marchèrent silencieusement durant leur trajet. Elanne ne voulait pas lancer la conversation avec Grëals car il avait l’air occupé à griffonner dans son grimoire. Elanne aurait bien voulu y jeter un coup d’œil mais elle savait qu’elle se ferait rabrouer par le sorcier.
Quand ils aperçurent les portes de la ville de Cumon, Elanne passa devant Grëals et lui intima :
« Laissez-moi faire, je connais le passeur. »
Grëals ne répondit rien et se contenta d’un bref hochement de tête, ce que Elanne interpréta comme un « d’accord ». Elle avança donc vers la porte et reconnut Murdan, toujours à son poste. Elle n’eut pas le temps de parler car il ouvrit aussitôt la porte en l’apercevant tout en lançant :
« C’est un plaisir de te revoir jeune elfe. Qui t’accompagne ? »
Murdan ponctua ses paroles d’un regard appuyé vers Grëals. Elanne voyait qu’il était intrigué par le sorcier. Elle répondit donc :
« C’est un ami se nommant Grëals, nous voyageons ensemble. »
À la grimace que lui fit Grëals, Elanne comprit qu’elle n’aurait pas dû révéler le nom du sorcier. Elle fit néanmoins comme si de rien n’était et se laissa entrainer par Murdan dans la ville de Cumon.
Le paysage était aussi triste qu’avant. Seul le soleil brillant haut dans le ciel apportait un peu de gaieté au paysage. Pourtant, Grëals semblait indifférent à la misère aux alentours. Ses yeux étaient rivés sur le port, droit devant lui. Elanne grimaça devant l’insensibilité de son compagnon de voyage.
Quand ils furent arrivés au port, Elanne ne vit aucun voyageur. Personne n’avait vraiment envie de se risquer à sortir de chez soi ces temps-ci. Elle suivit machinalement Murdan et Grëals vers l’embarcation qu’elle avait réservée.
Grëals avait l’air de s’en contenter même si Elanne savait qu’il était très difficile en terme de choix. Il monta d’ailleurs dans l’embarcation et fit signe à Elanne de le rejoindre. La jeune elfe s’exécuta et saut a dans la barque.
Grëals remercia ensuite Murdan :
« Nous partons dès à présent, et je vous remercie pour votre aide et votre accueil. Ce bateau sera de retour ici dans une semaine environs, si tout se passe pour le mieux. »
La fin de la phrase de Grëals fit frémir Elanne. Il était vrai que la jeune elfe était un peu angoissée à l’idée de prendre une barque pour moyen de transport étant donné qu’elle avait toujours vécu dans la forêt et par conséquent, jamais navigué.
Néanmoins, elle n’en fit pas part à Grëals car ce serait une preuve de faiblesse et son compagnon de voyage lui avait bien expliqué ne jamais afficher ses faiblesses en public. Il n’aurait donc pas compris si Elanne lui avait transmis sa peur.
Plongée dans ses pensées, Elanne s’aperçut au dernier moment que Murdan lui faisait un signe de la main pour lui dire au revoir. Elle s’empressa donc de lui rendre son signe puis se saisit de la rame la plus proche d’elle et commença à ramer en prenant exemple sur Grëals, qui avait déjà sa rame en main depuis une bonne minute.
Ils quittèrent ainsi le port de Cumon pour s’engager sur les eaux bleu marine du fleuve Lorjah. Au grand soulagement d’Elanne, le fleuve n’était pas agité et elle parvint à ramer facilement. Elle savait qu’en cas de remous ou de forts courant, elle aurait paniqué.
Ils ramèrent encore un bout de temps au cours duquel Elanne se rendit compte qu’elle ne se débrouillait pas trop mal pour ramer, elle avait enfin pris le coup de main.
Le ciel commençait à s’assombir, en raison de l’heure. Cela faisait déjà un bon après-midi qu’ils ramaient sans pause et Elanne commençait à ressentir de la fatigue. Ses bras la faisaient légèrement souffrir et ses paupières se fermaient toutes seules.
Elle jeta un discret coup d’œil à Grëals pour guetter un signe de fatigue mais son expression était plus concentrée que fatiguée, au grand désespoir d’Elanne.
Pourtant, au bout d’un quart d’heure, Grëals arrêta de ramer et proposa à la jeune elfe :
« Et si nous nous arrêtions ici pour la nuit. Nous avons passé une longue journée et nous avons besoin de prendre des forces pour le lendemain.
- Je suis de votre avis, répondit calmement Elanne malgré son impatience d’enfin se reposer. Il ne fallait pas qu’elle montre à Grëals à quel point elle était éreintée.
- Bien, alors aide-moi à amarrer la barque à la berge. »
Elanne hocha la tête et rama jusqu’à la rive est du fleuve.
Quand l’embarcation fut calée sur le bord, Elanne en sauta pour atterrir sur la berge.
Grëals lui lança ensuite de la corde et une amarre. Elle planta donc l’amarre dans le sol. La terre y était humide en raison de la proximité du fleuve. L’objet s’y enfonça donc bien. Elanne fit ensuite un nœud solide avec la corde pour l’attacher à l’amarre puis elle fit de même avec la barque. Elle était donc reliée à la terre ferme.
Elle sauta ensuite dans l’embarcation pour rejoindre Grëals. Celui-ci lui donna un bout de jor. Elanne allait protester face au peu de quantité de nourriture mais Grëals la coupa :
« Sais-tu que j’ai ensorcelé la farine de lorï, dans laquelle a été façonné ce jor ? Je lui ai donné la capacité de remplir un estomac en une seule bouchée et de lui apporter les nutriments nécessaires à l’organisme, et ce pendant toute une journée. »
Elanne ne trouva rien à répondre à Grëals, qui afficha simplement un air satisfait. Elle finit sa bouchée de jor tout en la savourant, car elle savait qu’elle ne mangerait rien d’autre au cours de cette soirée.
Puis elle demanda à Grëals :
« Où dormons-nous ce soir ?
- Nous sommeilleront chacun d’un côté de la barque. Ne t’inquiète pas, j’ai dressé un champ de protection autour de l’embarcation à l’aide de ma magie. Nous ne risquons pas d’être attaqués ou volés, si c’est ce que tu craignais. »
Elanne ouvrit grand les yeux. En effet, elle allait demander à Grëals ce qui se passerait en cas de vol ou d’attaque, mais il avait deviné ce qu’elle allait dire.
« C’est comme s’il lisait dans mes pensées ! » pensa-telle.
Elle se raisonna en se disant que c’était tout bonnement impossible mais elle conservait quand même quelques doutes sur les pouvoirs de Grëals.
Elle se mit à réfléchir :
« Déjà, c’est un sorcier. Ce qui explique son grimoire et ses capacités à invoquer des sorts ou encore des champs de protection. Mais pourquoi est-il si mystérieux ? Et d’où sort-il au juste ? Je croyais que la magie était réservée à seulement quelques elfes à la naissance. Or, Grëals n’a rien d’un elfe. On dirait même un humain. »
Elanne avait, petite, entendu une légende sur les enchanteurs du monde d’Endoy. On racontait qu’ils n’étaient pas comme les elfes aux dons magiques. Car les elfes, eux, avaient besoin d’une pierre pour y canaliser leur magie, comme par exemple la pierre bleue de la Dame d’Argent, la célèbre reine de Shabila.
Mais les enchanteurs, eux, renfermaient leur magie dans leur grimoire personnel, y écrivaient des sorts ou toutes sortes d’incantations. Selon la légende, ils descendaient de l’union d’un homme vivant et de sa femme décédée, étant revenue le hanter.
Elanne n’avait jamais cru à ce genre d’histoire. Elle savait très bien que les morts ne revenaient pas auprès des vivants. Sinon, elle aurait déjà revu ses parents.
Et pourtant, Grëals existait bel et bien, ce qui était la preuve que cette histoire pouvait être vraie. Ou peut-être descendait-il seulement d’un elfe au don magique et d’un humain.
En tout cas, Elanne n’avait pas vraiment envie de le questionner au sujet de ses origines. Elle ne connaissait même pas son nom de famille ni son âge.
La jeune elfe fut soudain tirée de sa réflexion par Grëals lui-même :
« Tu réfléchis trop, jeune elfe. Dors maintenant, il ne t’arrivera rien. Il faut que tu sois en forme pour demain. »
Elanne hocha la tête tout en se demandant, prise d’un accès de panique :
« Sait-il ce que j’étais en train de penser ? A-t-il vraiment lu dans mon esprit ? »
Mais elle sombra bien vite dans le sommeil, rattrapée par l’épuisement de son après-midi à ramer.
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