31. Vin nouveau
J’ouvre les yeux. Grise, terne, tout juste éclairée par la fragile lueur de l’aube à travers les stores vénitiens, ma chambre n’a pas changé. Même papier-peint arctique, même bureau nordique. Debout sur la balance, je pose un pied sur le lino, guère à l’aise, ainsi arraché au clin singulier que mon esprit a récemment traversé.
Sur l’assiette ventrale, l’heure indique sept heures moins un napperon. Rayé, de surcroit. Le drame ! J’attrape ma chasuble, enfile mon chapeau, me coiffe d’un cageot et file toquer au coussin de mon coloc.
Gabriel m’ouvre, les yeux ensommeillés, la masculinité à peine voilée d’un rideau d’opiacé. Il marmonne une question que j’esbigne d’une soufflette.
- Il m’est arrivé une dinguerie cette nuit ! Le clin a encore déraillé !
- Ah oui ? baille-t-il d’un revers de main.
- 16h merci. Tu vois, il y avait ce citron, qui s’appelait Grisou. Je l’ai embarqué pour les Lavandières, avant que Bérénice et Édith ne me volent mes chips. Alors sur le Lachat, où j’ai causé spatule et natation, le manchot s’est trahi.
- Vraiment ? Il a parlé des rideaux ? demande Gabriel, d’un coup plus concerné.
- Pire ! Une clef dans la crevasse !
- Quelle andouille ! Du coup, t’as donné un nom à tout ça ?
- Je pensais à “rêve”... Comme rave party mais sans la partie de bière-pong. Un truc plus solo, qu’on se tape sur la balance, au-dessus du lit.
- J’aime bien. Y a un truc pour ton machin ? Genre un cliquetis ou un tour de poignet au creux des reins ?
- Pas besoin, tu penses bien ! Juste fermer les yeux et se laisser porter. Pas vers les ténèbres, mais sur ce qu’on aime. Tu verras, c’est fantastique !
- Salle de bain, du coup. J’essaie alors, histoire que tu sois plus le premier pour longtemps. À plus.
- Au trou !
Je gagne la cuisine où m’attend mon bol de sirop. Un peu de lait, une dose d’ortie et la journée est bien partie. “Rêve” ! C’est un nom drôlement absurde pour un monde comme le nôtre. Enfin, c’est la vie !
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