L’orphelinat de Fara

9 minutes de lecture

05:45, 16 juillet 2018, Île de Fair


Le réveil sonna timidement dans la petite chambre grise et en un instant une main s’approcha pour l’éteindre. La jeune fille était déjà réveillée depuis quelques minutes, comme toujours, réglée telle une horloge. En position assise sur le lit, elle s’étira et jeta un oeil au lit voisin : sa camarade semblait dormir. Après un rapide passage à la salle de bain pour enfiler un t-shirt à manches longues et un legging de sport, elle attacha négligemment ses longs cheveux et chaussa ses baskets. Tandis qu’elle allait franchir la porte, une petite voix endormie s’éleva de sous les couvertures :

_Bon running, Kristal.

_Merci, chuchota-t-elle. A tout à l’heure, Gena.

Il n’y avait personne dans les couloirs, seulement quelques bruits s’échappant des chambres ; les premiers murmures de la vie qui s’éveille, les premiers rires. C’était la raison pour laquelle Kristal se levait toujours tôt, profiter du calme de l’aube avant l’agitation de la journée.

Elle posa son casque sur ses oreilles, appuya sur play et passa la haute porte bleue qui menait à l’extérieur. La jeune fille pris une profonde inspiration, s'imprégnant de l’odeur de la mer, laissant le vent se perdre dans ses cheveux puis elle commença à courir. Doucement d’abord, prenant conscience que ses muscles avaient besoin de s’échauffer puis en accélérant pour enfin tenir son rythme de croisière.

L’Île de Fair n’était pas très grande pour une île Écossaise ; pas plus de huit kilomètres carré. Située au nord du Royaume-Uni à mi chemin entre l’archipel des Orcades et celui du Shetland, elle était très isolée. Kristal s'était toujours demandée s’ils avaient choisi cet endroit pour que personne ne connaisse l’existence de l’orphelinat, ou bien était-ce pour protéger du monde extérieur tous les enfants qui vivaient ici ?

L’orphelinat de Fara était une belle bâtisse blanche construite en 1911, inspirée par l’architecture d’un des deux Phares qu’on trouvait sur l’île. Kristal ne savait pas si l’endroit avait toujours été un orphelinat, elle avait lu tous les livres de la bibliothèque qui concernait l’île de Fair mais elle n’avait trouvé que très peu d’informations sur sa création. Ce dont elle était sûre, c’est qu’il accueillait des enfants depuis plusieurs décennies maintenant, et bien que personne ne lui ait jamais avoué, elle savait qu’on trouvait ici tous ceux dont les parents avaient disparus ou été tués dans des circonstances inconnues voir étranges.

Ce matin, le ciel était dégagé mais les températures étaient tout de même fraîches, l’île offrait toujours un vent émanant de la mer ce qui promettait, en été, une météo bien plus clémente que la canicule du continent. Kristal adorait cette île, beaucoup des enfants de l’orphelinat se plaignaient de son isolement mais pour elle, cet endroit était un paradis sur terre. Peu importe où elle posait ses yeux; sur l’étendue bleue qui ornait chaque rivage, sur les moutons, les falaises ou l’herbe verte, l’île respirait la beauté.

Kristal emprunta le chemin qui menait vers une presqu’île dont elle aimait faire le tour, elle longea les falaises sur leurs hauteurs et ne put s’empêcher de laisser échapper son regard vers l’horizon azur qui s’ouvrait devant elle. Le temps était encore frais à cette heure et, au bord de l’eau le vent s’avérait puissant, mais la jeune fille n’aurait manqué ces moments pour rien au monde. Cet endroit mettait tous ses sens en éveil, elle se sentait vivante.

Quand sa course la mena de nouveau vers le chemin de l’orphelinat, une jeune fille attira son attention; en tenue de sport elle aussi, il était en train de caresser un mouton. Kristal la voyait souvent courir en même temps qu’elle, elles avaient déjà échangé quelques fois mais leur relation s’arrêtait là. Elle savait juste qu’elle s’appelait Deryn. On pourrait croire que tous les jeunes qui vivaient ensemble sur cette petite île se connaissaient bien et pourtant c’était loin d’être le cas.

L’orphelinat comptait une cinquantaine d’enfants dont l’âge était compris entre 3 et 21 ans; les plus petits vivaient dans le bâtiment voisin et à partir de 10 ans ils rejoignaient les autres dans le bâtiment principal. Cependant, très peu d’enfants arrivaient si jeune, Kristal avait été l’une des seules.

Elle s’approcha de la fille qui tourna les yeux dans sa direction et lui lança un doux sourire.

_ Salut, lui dit-elle tout en enlevant le casque de ses oreilles.

_ Bonjour, répondit Deryn. Le temps est parfait pour courir aujourd’hui.

Evidemment qu’elle parlait de la pluie et du beau temps, que pouvaient- bien elles se dire ? Kristal acquiesça d’un signe de tête. Si sa mémoire ne lui faisait pas défaut, elle se souvenait que la jeune fille avait débarqué à l'orphelinat il y a environ deux ans avec son frère. Après ça, les nouveaux arrivés avaient été plus fréquents.

Deryn était une fille mystérieuse et elle la voyait souvent seule et perdue dans ses pensées. Elle n’était pas beaucoup plus grande qu’elle ; elle était sportive et athlétique, un corps parfait pensa Kristal. Ses cheveux étaient mi-long et bruns et, concernant ses yeux, la jeune fille ne l’avait jamais approché d’assez près pour voir nettement leur couleur.

Alors que l’attention de Deryn se reporta de nouveau sur le mouton, Kristal en profita pour remettre son casque sur ses oreilles et continuer sa route. Elle traversa les couloirs effervescents au son de sa musique, observant l’agitation autour d’elle comme une scène muette. Quand elle atteignit sa chambre, sa jeune camarade gribouillait dans un carnet.

_ Ah Kristal ! S’exclama-t-elle. Je t’attends pour le petit déjeuner ?

_ Oui, si tu veux bien. Je prends une douche rapide et j’arrive.

Kristal entra dans la petite salle de bain qui était adjacente à leur chambre , se dénuda et alla rapidement dans la cabine de douche. L’eau brûlante activa sa circulation sanguine et dénoua rapidement les contractions musculaires dues à sa course. Détendue, elle se surprit à se perdre dans ses pensées qui la ramenèrent vers son enfance dans l’orphelinat; les heures à parcourir l’île, à en découvrir tous les recoins, à faire les 400 coups et rendre folle Moyra, la directrice adjointe. Et ça, toujours en compagnie de Nora, toujours. Elles avaient grandi ensemble, les deux seules enfants à avoir passé autant de temps ici, à avoir été abandonnées à la naissance.

Elle sortit de sa douche, enroula une serviette autour de la taille et ses yeux s'attardèrent sur le coin cassé du miroir de la salle de bain : elle détestait ça, un miroir brisé et c’est sept ans de malheur qui s'abat sur elle. Elle ferma les yeux et passa sa main sur le miroir pour enlever la buée, quand elle les ré-ouvrit son regard lui fit face. Des pupilles vertes, un visage arrondi comme celui d’un bébé alors qu’elle avait 19 ans, une peau pâle avec des taches de rousseurs qu’elle avait du mal à accepter, de jolies fossettes et de longs cheveux épais et roux. Kristal prit le temps de se maquiller; un eyeliner noir, du mascara et un rouge à lèvres léger puis elle enfila la tenue qu’elle avait minutieusement préparée la veille : une robe à pois, un long gilet bordeaux et des collants noirs transparents. Bien qu’elle vive sur une île perdue dans la mer du Nord, elle aimait beaucoup la mode et prenait beaucoup de plaisir à confectionner ses tenues. Elle retourna dans la chambre, chaussa des bottines noires et entreprit de s’occuper de ses cheveux.

_ Tu veux que je t’aide à te coiffer ? S’amusa Gena devant l’air désemparé de Kristal face à sa longue chevelure.

_ Avec plaisir, soupira la jeune fille.

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Coiffée d’une tresse en épi, Kristal fit son entrée dans le réfectoire avec sa jeune amie à ses côtés et comme d’habitude, plusieurs regards se tournèrent vers elles. Tous les enfants de l'orphelinat connaissaient Kristal, ses nombreuses années passées ici l’avait presque rendues célèbre à leur yeux. Les deux filles choisirent leur petit déjeuner et s’installèrent à une table où Gena amorça une discussion à propos du dernier livre qu’elle avait lu et Kristal l’écouta avec attention. Elle appréciait Gena et elles avaient beaucoup en commun malgré le fait que cette dernière ai quatre ans de moins; elles aimaient toutes les deux lire, se promener sur l’île, écouter la musique et passer du temps ensemble. Gena était arrivée à l’orphelinat il y a moins d’un an, un peu après le départ de Nora, elle s’était retrouvée dans la chambre de Kristal et elles étaient devenus amies, aussi simplement que cela. C’était une jeune fille discrète et drôle qui rêvait de voyager, ses cheveux blonds foncés au carré lui donnait un air sage et timide mais elle avait beaucoup d’ambition; passionnée d’écriture, elle adorait créer des histoires pour enfants qui impressionnaient toujours Kristal.

Alors que l’heure du petit déjeuner arrivait à sa fin, deux personnes visiblement en retard attirèrent l’attention de la rousse. C’était Deryn accompagnée de son frère, et vu les regards qu’ils se lançaient, la matinée n’avait pas dû être cordiale entre eux. Kristal avait souvent eu l’impression qu’ils ne s’entendaient pas et que Deryn restait avec son frère et sa bande d’ami par défaut, mais la jeune fille s’était jurée il y a longtemps de ne pas s’occuper des affaires des autres. Elle reporta sa concentration sur Gena.

_ Il va bientôt être l’heure d’aller en cours, dit cette dernière.

_ Oui, on ferait mieux de se dépêcher.

Une fois la table débarrassée, elle filèrent à l’étage supérieur où se déroulaient les cours de la journée ; sur les cinquante deux enfants présents dans l’orphelinat, tout ceux qui avaient plus de 10 ans suivaient des cours de culture générale, quatre heures par jour au rythme de deux heures le matin et deux heures l’après-midi (alors que les plus jeunes n’avaient que deux heures le matin).

Elles arrivèrent dans une grande pièce jaune dont les deux fenêtres offraient un panorama impressionnant sur l’extérieur et s’installèrent en échangeant un peu avec leurs camarades. Kristal n’était jamais très à l’aise en groupe mais c’était une personne sociable qui attirait les gens malgré elle. Alors que les 19 élèves présents avaient pris place Monsieur Murray, leur professeur, entra dans la classe avec un sourire chaleureux.

Kristal était une élève modèle, elle comprenait l’importance de ces cours pour sa vie future et elle ne désirait rien de plus que d’être complètement indépendante lorsqu’elle partirait d’ici. Quand les jeunes atteignaient leur majorité, ils quittaient l’orphelinat pour prendre leur vie en main. Nora avait quitté l’île à ses 21 ans il y a un peu plus d’un an et plus aucune nouvelles d’elle depuis.

Après la fin des cours de l’après-midi, les deux jeunes filles décidèrent de profiter de leur temps libre pour se poser en bord de mer. Gena, pinceau à la main, était au milieu d’un dessin à l’aquarelle tandis que Kristal, à ses côtés, avait pris une position allongée et regardait le bleu du ciel. L’air doux qui lui caressait la peau l'apaisait et elle était proche du sommeil.

_ Je peux te demander quelque chose ? interroga doucement Gena.

_ Evidemment, chuchota Kristal sans ouvrir les yeux.

_ J’ai dessiné une grenouille toute mignonne et j’aimerais lui donner un nom en gaélique. Toi qui aime toujours l’étudier quand tu vas à la bibliothèque, tu ne saurais pas comment ont dit “grenouille” par hasard ?

Kristal passait beaucoup de temps au milieu des livres, la bibliothèque de l’orphelinat regorgeait d’ouvrages sur l’Ecosse et sa culture. Depuis plusieurs années, la jeune fille s’amusait à apprendre quelques mots en gaélique Écossais.

_ Désolée, je ne sais pas. Si je l’ai déjà vu dans un livre, je ne m’en souviens plus. Mais je pourrai aller voir ça pour toi demain si tu veux.

_ Oui, merci.

_ Je peux voir ton dessin ?

Les joues de Gena devinrent rosées, elle n’était pas très sûre de ses compétences et appréhendait toujours de les montrer. Pourtant Kristal adorait voir son travail et ne cessait de la complimenter. Gena lui tendit son carnet, elle avait dessinée une adorable grenouille verte et souriante, parapluie rouge à la main sous la pluie qui tombait.

_ C’est tellement joli ! S’exclama la jeune fille. Tu pourrais écrire des livres pour enfants, tu sais.

Gena lâcha un rire gêné et Kristal lui sourit avec douceur parce qu’elle savait que sa jeune amie en rêvait.

_ On devrait rentrer, lâcha-t-elle. C’est bientôt l’heure du dîner et on doit être dans nos chambres après ça.

_ Tu as raison. Allons-y.

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