Chapitre 3
Je m'éveillai au milieu du brouhaha des occupants du dortoir, pressés et surexcités. Stella se penchait sur moi, me tendait un café brûlant.
- On doit se dépêcher. Tiens, j'ai mis la main sur un muffin. Mange un peu, la journée sera chargée.
Je me redressai, pris le gobelet de styromousse, et jetai un œil dubitatif sur l'emballage de plastique où collait la pâtisserie pâlotte et moite. Je murmurai un merci, souris.
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Le dortoir se vidait, les sons s'atténuaient. Je me savais en retard. Une halte rapide aux toilettes, le reflet de mon visage défait dans la glace des lavabos. Ma robe de coton s'était chiffonnée dans mon sac. Quelle bêtise ! J'avais cru pouvoir la suspendre, lui donner un coup de fer.
Je descendis, trouvai les portes de la salle de conférence fermées. Un agent de sécurité m'expliqua que Dave ne tolérait aucun manquement à la discipline.
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J'avais presque deux heures à poireauter avant la pause. Je me demandais si mon absence me serait reprochée. Je décidai de profiter de la situation pour aller m'enquérir auprès de l'administration des modalités d'inscription à la formation qu'on m'offrait. Je suivis un couloir désert, aux murs immaculés. La nuit avait répandu une fraîcheur incertaine dans la maison. D'ici peu, la chaleur deviendrait écrasante.
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Jade m'accueillit d'un sourire de Miss Florida. Elle baragouinait le français avec une grâce toute mercantile. Elle m'expliqua que le mieux serait que je prolonge mon séjour, histoire d'accélérer les étapes de mon développement personnel. J'hésitai. Côté travail, ça allait, j'étais en arrêt maladie. Côté couple, il fallait voir. La seule idée de devoir téléphoner à Bertrand m'anéantissait.
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Je tranchai, acceptai l'offre. Mieux valait en finir. Une fois le séminaire terminé, m'expliqua Jade, on respirerait tous. Elle ajouta que Dave ne tolérait pas les retards, et encore moins les absences. L'énergie consciente reposait sur une discipline quasi-spartiate.
Elle me tendit un contrat, me conseilla de prendre le temps de le lire avec soin avant de le signer. Je le pliai et le glissai dans mon sac. Je la remerciai, et sortis.
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J'avais du temps. Je remontai et me dirigeai vers les douches. Un mince filet d'eau nargua mes velléités de revigoration. Tant pis. Je refis mon chignon devant la glace, camouflai mes cernes, et mis du rouge. Ça allait, je donnais le change, j'avais de nouveau vingt-huit ans.
Je tentai de défroisser ma robe en l'étalant à plat sur le lit. Le coton se détendit quelque peu.
Moi aussi.
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Je courus vers le lac pour m'y plonger les pieds. Les arbres murmuraient à mon passage, les oiseaux célébraient ma liberté.
Je m'engageais sur le quai quand une voix m'arrêta. Un garde en uniforme, surgi de nulle part, se tenait près de l'eau et me regardait d'un air sévère.
- Le lac est interdit. Question de sécurité.
- Je suis désolée, je ne savais pas.
- À présent, vous savez.
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À la pause, je retrouvai Stella qui m'expliqua que le périmètre du lac et de la maison de Dave étaient gardés jour et nuit. Je ne lui dis rien de ma baignade, l'interrogeai sur la séance que j'avais ratée. Une femme était tombée en transe quand Dave lui avait imposé les mains sur le crâne. Trop d'émotion. Elle avait par la suite témoigné de son incroyable regain d'énergie après l'expérience.
On avait fait la vague sur l'air de Rocky Balboa.
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Je lui montrai mon contrat.
- Signe. Et reste pour la suite. J'en serai aussi.
- Mon mari...
- Tu ne l'as pas appelé ? Dave t'a pourtant dit...
Stella m'observait comme si elle doutait de ma bonne volonté. J'en fus légèrement irritée. Cet immense privilège qu'on m'octroyait, la facture salée qui m'attendait, mon état de stress permanent qu'aucun massage ne pouvait apaiser, tout ça me minait l'intérieur. Et puis Bertrand. Plus tard, Bertrand.
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Une sonnerie marqua la fin de la pause. Je m'engouffrai dans la salle à la suite des autres. Le thème de Flashdance, joué à tue-tête, nous accueillit. Ce ver d'oreille tiendrait compagnie à mes pensées désordonnées tout au long de la journée.
Dave fit son entrée sur scène au pas de course. L'assistance, aussi surchauffée que la salle, l'acclama.
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Il fallait masser le dos de son voisin de gauche. Le mien transpirait sous une chemise synthétique. Je sentais les plis sous ses omoplates, la chair gonflée des excès alimentaires. Ma voisine s'activait dans mon dos de façon presque suggestive. Sentait-elle sous ses doigts à quel point ses chatouillements me hérissaient ?
Dave nous demanda ensuite de nous recueillir, de sonder nos zones d'inconfort.
Facile.
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