Chapitre 6
J'avais droit à une suite climatisée dans l'aile des riches. Cette annexe au bâtiment principal répondait aux exigences des hôtels modernes. À l'opposé de la vétusté étouffante de la vieille demeure, on y respirait un air frais, mais en boîte. Aucune des larges fenêtres ne s'ouvrait.
La femme me désigna la penderie. Mes rares vêtements s'y trouvaient, lavés et pressés.
Je me retournai pour dire merci.
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Stella se tenait devant moi. Elle congédia l'Épouse immaculée.
- Et puis ? Wow ! Madame a même un boudoir. Un récamier !
- Stella...
- Regarde, je t'ai trouvé une robe pour ce soir. J'ai vu la salle de bal : splen-di-de !
- J'ai du mal à partager ton enthousiasme. Tout me semble si bizarre.
- Toi, tu es bizarre !
Mon amie me lança le vêtement, un truc lamé ultra-court à bretelles spaghetti, puis se jeta de tout son long sur mon lit.
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- As-tu des chaussures ? Sinon, reste pieds nus, ce sera sexy.
- J'aimerais me reposer. J'ai très mal dormi depuis mon arrivée. Ce dortoir...
- Sans compter tes excursions au lac.
- C'est drôle qu'on m'ait laissée me baigner. On m'en a chassée hier matin.
- C'est que tu étais sûrement très mignonne, toute nue sous la lune.
- Ouais... c'est ce que j'ai pensé.
- Sans blague ?!
Nous pouffâmes d'un seul cœur.
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- Je m'en vais demain.
- Comment feras-tu ? Les autobus sont repartis. Le village est à huit kilomètres.
- Ça se marche. J'appellerai mon mari.
- Vous vous êtes rabibochés ?
- On n'était pas en froid. J'avais eu des problèmes au travail, ça l'ennuyait. Je crois qu'il ne souhaitait que mon bien, malgré son humeur. Et puis il a approuvé le séminaire.
- Tu as à ce point besoin de son assentiment ?
Stella marquait un point.
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Dans le mille, Stella, là où ça fait mal ! Depuis qu'un collègue m'avait fait subir un harcèlement odieux au vu et au su de tout le bureau, j'appuyais ma chétive âme contre celle de Bertrand, rassurante de virilité. Je me sentais nulle. J'avais obtenu un congé pour maladie, ébranlée par les commérages. Le pire émanait des mensonges de Gaëtan, mon harceleur. Une seule phrase m'avait transformée en vipère de soap opera.
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Restée seule, j'inspectai les lieux, cherchai des yeux des caméras. Je me ressaisis. Le manque de sommeil biaisait ma raison. Je me fis couler un bain, m'enfonçai dans l'eau jusqu'au menton. Pour la première fois depuis ma baignade au clair de lune, mon esprit se détendait.
Je traverserais l'épreuve de la fête, et je trouverais une solution. Je me séchai, gagnai mon lit, m'étendis dans l'empreinte laissée par Stella, et fermai les yeux.
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Elle ira loin, Mariloup.
Faut aimer les crânes luisants et les fesses molles.
Si elle ferme les yeux...
Tu crois qu'ils le font dans son bureau ?
Dans le stationnement aussi.
Sous les caméras ?
Une seule phrase avait tout déclenché :
Mariloup, elle sait s'y prendre avec M. Bégin.
Tout ça parce que j'avais refusé de coucher avec lui, Gaëtan.
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Je restais là, les yeux ouverts, je ressassais. Stella avait réussi à raviver ce que j'essayais d'enfouir. Mon témoignage l'avait titillée, j'en étais sûre. Insouciante, elle écoutait les autres comme si elle occupait une loge au théâtre. Elle était bon public.
Je me sentais injuste. Elle m'avait offert un Mars, et son lit.
Mon malaise, quant à tous ces gens, persistait.
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La vérité était qu'ils m'attiraient, et qu'ils me faisaient peur, comme si leur pouvoir de séduction, celui de Dave, surtout, cachait un machiavélisme primaire, axé sur leur appât du gain. Pas une seconde je n'avais cru à ce spectacle pathétique et populaire. Si, un peu.
Mais soixante personnes, c'était peu, aussi. On m'avait dit que Dave accueillait des milliers de participants à ses séminaires. Bizarre, comme eux tous.
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Encore une fois j'intellectualisais. Je scrutais de façon maniaque la physionomie de Stella, de Jade, de Dave. J'essayais de dessiner aussi la personnalité du jeune homme, dont l'œil avait lui rouge lors d'un déjeuner sur l'herbe avec ma sémillante amie. J'avais entendu deux femmes dire qu'il faisait partie des coachs fraîchement gradués. De quoi ajouter à ma déprime.
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Stella s'enthousiasmait de tout, vibrait au chant des cigales, suait dans l'amour de son prochain. Première à se jeter nue dans le lac, sous le soleil de la Thaïlande, à danser nue sous le ciel de la Thaïlande, son rêve à fleur d'espoir aussi mince qu'une carte de crédit.
Sa foi en gage, son avenir en poche percée.
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Et le mien ? Je me laissai aimer par la quiétude et la beauté des lieux, les murs d'un blanc pur, la délicatesse des draps. Je fermai les yeux.
Le lac, le corps d'une femme bercé, ballotté. Le mien ?
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À mon réveil, je constatai qu'on avait déposé une carafe d'eau et un verre sur la table de chevet. L'idée qu'on pénètre dans mon intimité m'horripilait. Cela dit, on avait tant joué de mon intégrité que cette incursion paraissait bien bénigne.
On frappait à la porte. Une Épouse immaculée m'offrait ses services d'habilleuse, de coiffeuse et de maquilleuse.
Pourquoi pas ?
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Ce n'était pas la même qui m'avait accueillie, mais elle lui ressemblait étrangement. À l'instar des femmes du lac, toutes deux arboraient une coupe au carré dont la frange cachait les sourcils. Les servantes de l'après-midi étaient blondes, celles du soir brunettes.
J'essayai d'entamer la conversation pendant que la femme soulevait mes mèches à l'aide d'une brosse ronde.
L'Épouse immaculée semblait avoir fait vœu de silence.
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Un frisson me parcourut l'échine. J'observai le reflet de ma coiffeuse dans la glace. Concentrée sur un épi, elle se laissa détailler. Le col de son uniforme brillait d'empois. La robe donnait un effet de percale, blanche, lisse et fraîche. Le visage, très peu fardé, tranchait avec le mien où un savant assemblage de couleurs faites pour vibrer dans le soir me donnait un air de vampire.
Je me dégageai, me levai.
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Pieds nus, dans ma robe lamée d'or, je descendis à la rencontre de mon destin.
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