Virée en Louisiane

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 Quelque part, en Louisiane, alors que les lucioles s’illuminent, que les crapauds croassent, une muscle car surfe à toute vitesse sur l’asphalte au rythme endiablé du rock’n’roll que joue la sono. Sur la banquette arrière dort un renard aux oreilles rondelettes sur un poncho en laine des plus confortable, son meilleur ami, derrière le volant, s’amuse sur la route nocturne. Cette pauvre boule de poil se fait balloter de gauche à droite, mais garde son sommeil lourd. Le chauffeur, ivre de la bonne ambiance, et non d’alcool, travers les marécages en chantant à tue-tête.

 Secouant la tête dans tous les sens en rythme, il finit par remarquer une femme sur le bord de la route. Que diable fait-elle ici ? Se demande-t-il. Heureusement qu’avec sa radio aussi forte que la sonorité de son V8, on l’entend à des kilomètres à la ronde. Faisant fuir au passage les crapauds et lucioles.

  • Que faites-vous ici ? Vous vous êtes perdu ? Vous voulez que je vous raccompagne dans la ville la plus proche ? demande-t-il avec un geste de son pouce à sa hauteur.

 Elle ne répond pas, se contentant d’ouvrir la portière et de s’installer sur le siège passager.

  • Je vais prendre ça pour un oui alors. Par contre, vous pouvez indiquer la route ? Je ne viens pas du coin, et j’ai l’impression que suis légèrement perdu depuis que j’ai emprunté une mauvaise sortie.

 Elle tend le bras droit devant.

  • Merci bien, moi c’est Nick au fait.

 Le chauffeur repart, cette fois-ci avec plus de douceur, pour éviter l’arrêt cardiaque à cette femme, dont l’aspect est déjà pâle, ce qui n’interpelle pas plus que ça le conducteur. Cette fille revêt une apparence blanche sur elle, en plus de la peau qui pourrait servir de réflecteur si on l’éclaire.

  • Bonbon ? demande Nick, en portant le paquet à la jeune passagère.

 Mais elle ne bouge pas d’un cil, « aussi froide que la Mort celle-ci », songe-t-il. Pas grave, au moins il fera sa bonne action et sera content d’avoir pu aider en la ramenant à la civilisation. La passagère sans voix pourrait donner la chair de poule à plus d’une personne, mais pas à lui, ayant déjà vu bien pire.

  • Et donc, vous faites quoi ici ? Dans cet endroit perdu ? Une petite fête ? demande-t-il avec indiscrétion en mastiquant une sucrerie.

 Toujours rien.

  • D’accord…

 Lui qui pensait pouvoir s’inviter à cette potentielle fête privée en forêt, c’est raté. La route défile sous les indications de la demoiselle, qui devient d’ailleurs de plus en plus blanche, ce n’est plus son aura maintenant, mais carrément ses habits qui passent à la javel. Plus la voiture roule, plus elle mue avec ses vêtements dans une lividité inquiétante.

  • Ça va ? Vous avez l’air… Écoutez, si vous avez un peu trop bu, j’aimerais le savoir, histoire que je puisse m’arrêter en urgence.

 Aucune réponse.

  • Vous pouvez parler, je ne vais pas vous manger, voire même, ça me rassurerait, parce que là, ça devient vraiment glauque. Vous me rappelez une connaissance, vous savez ?

 La demoiselle daigne enfin ouvrir la bouche en montrant la route du doigt, mais, elle ne parle pas, à la place, un hurlement, si puissant qu’il en fait résonner la carlingue, retenti. Nick tourne la tête, un virage très étroit se dresse devant lui. D’un coup de frein, à en être physiquement debout sur les pédales, la voiture se stoppe et dérape avec le coup de volant.

  • Mais c’est pas possi… Elle est où ?

 La femme s’est volatilisée. Le laissant seul avec son ami renard dans la voiture, qui ce dernier vient d’ouvrir les yeux avec ce hurlement à faire réveiller les morts. D’un regard à travers la vitre, Nick aperçoit un SUV. Celle-ci est complètement détruite de l’avant, le moteur fume, les feux de détresse automatiques se sont allumés. La mangrove semble ne pas avoir bronché face à ce carrosse de métal bien élancé.

 Nick descend de sa Shelby, coupant le contact et l’ambiance joyeuse qui allait de mèche. Son ami à quatre pattes s’étire et le rejoint, tous deux désirant comprendre cette scène. Le chauffeur s’avance dans la boue, arrivant avec deux enjambées à l’arbre aux racines qui gisent hors du sol, comme une gueule prête à manger tout chaque offrande. Sur le côté gauche du SUV, une femme repose sa tête contre la vitre, il reconnait son auto-stoppeuse, mais cette fois-ci avec un visage d’effrois figé pour l’éternité. En se penchant un peu, il remarque qu’elle est compressée par une partie du moteur. Rapidement, sa rencontre lui parait plus lucide. Les esprits ne peuvent parler qu’avec une personne, la Mort elle-même.

 En faisant le tour, un homme repose sa tête dans l’airbag du volant, à croire qu’il aurait disparu. Qu’importe la vitesse à laquelle, ce couple roulait, c’était bien trop rapide. Ice, le renard sur l’herbe non boueuse, glapit.

 Nick vérifie si le conducteur vit toujours. Le corps semble encore posséder son âme, décèle Nick avec sa clairvoyance. Il dégaine son smartphone, mais la barre de réseau reste vide, même les appels de secours ne passent pas.

  • Tu peux encore le sauver si tu es assez rapide, avertit la voix dans le dos de Nick.
  • Putain !

 Nick sursaute, s’il n’était pas aspiré par la vase de la mangrove, il serait sur la lune à l’heure actuelle.

  • Scynthia, tu fais chier ! dit-il en se tournant. Vraiment, faut que tu arrêtes de faire des frayeurs comme ça !
  • Ce n’est pas de ma faute, lui répond le squelette féminin dans son suaire avec sa faux.
  • Pardon. Désolé de m’emballer, mais tu me fais peur à chaque fois que tu apparais dans l’ombre. Mon cœur a failli exploser.

 Nick passe sa main sur son visage.

  • Bon… Tu m’as dit que je pouvais encore le sauver. Tu peux m’indiquer la route de l’hôpital le plus proche.

 Scynthia ne répond pas.

  • Je sais bien que tu es la faucheuse, et que ton taf c’est de faire le contraire, mais tu pourrais bien m’aider, non ? Sa copine s’est donné tant de mal pour ça. D’ailleurs, elle est où ?
  • Parti.
  • Parti ? Parti… parti ?!
  • Oui. Je l’ai accompagnée.
  • Du coup maintenant que tu es disponible, tu peux m’aider ?
  • D’accord.
  • Merci, prends place sur la banquette arrière. Je me charge de lui.

 Nick arrache la portière avec facilité, bien qu’elle soit coincée par le choc. Mais ce n’est qu’un maigre obstacle face à la force de ce dernier quand il la concentre. Le sauveur extirpe l’homme en faisant attention de ne pas le froisser plus qu’il ne l’est.

 Nick dépose l’accidenté sur le siège passager et lui attache la ceinture.

  • Ice, évite de toucher notre amie, bien qu’elle montre un visage sympathique, commence-t-il en se tournant… Ou presque. Elle peut te tuer au contact.

 Le renard s’assied sur les genoux de l’accidenté pour prévenir tout problème.

  • Alors, cet hôpital, où il est ? demande Nick en démarrant.
  • À trente minutes d’ici.
  • Parfait… J’y serais dans dix ! rigole le chauffard en écrasant l’accélérateur.

 La seule personne qui roulait dans ce coin isolé devait être Nick, une âme qui a déjà senti le souffle frigorifique de la mort dans son cou. Une âme imperturbable au paranormal et aux coulisses du monde dans lequel il vit, ou plutôt revit. Une aubaine pour cet esprit perdu. Avec quelqu’un d’autre, la virée aurait peut-être bien mal fini.

 Ce qui deviendrait fort sympathique, ce serait que toutes ces dames blanches puissent avertir du danger, mais sans repeindre les sous-vêtements du chauffeur. Les gens en seraient étrangement reconnaissants, et ça éviterait aussi bon nombre d’accidents (dont des cardiaques) sur la route. Ne sont pas les lampadaires les plus lumineux ces esprits.

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