chapitre 1 : Trop, c'est trop.

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Nantes, le 24 décembre 2021.

Seigneur, cette fois-ci, je jette l’éponge.

Je viens de plaquer Konrad.

Ce mec est une plaie.

J’aurais dû le faire plus tôt, je sais, mais que veux-Tu, je ne voulais pas me retrouver seule et j’espérais vraiment que les choses s’arrangeraient.

Pourtant je sais bien qu’on ne change pas les gens. Sinon, cela ferait des années que j’aurais réussi à transformer ma mère.

Bref, me revoilà célibataire. Encore. Cette étiquette me colle à la peau plus que n’importe lequel de mes tatouages.

Foutu karma. Je ne sais pas ce que j’ai fait dans une autre vie pour mériter cette situation mais j’ai vraiment dû être une vraie connasse pour le payer aussi cher aujourd’hui.

Et voilà les fêtes de Noël qui arrivent à grands pas et je suis encore et toujours seule pour le fêter, comme une année sur deux depuis bientôt neuf ans.

Si seulement Emma avait été avec moi, je suis sûre qu’on aurait passé une merveilleuse soirée. On se serait maté un super film sous nos plaids bien chauds avec nos plateaux repas remplis de bonnes choses…

Ah ! Ça aurait été le bonheur. Mais cette fois, c’est au tour de papa de profiter de sa princesse et je n’ai d’autre choix que de m’incliner devant ce partage équitable du temps de présence de notre fille. Le jugement de divorce a été clair à ce sujet : garde principale chez maman, un week-end sur deux chez papa, ainsi que la moitié des vacances scolaires et comme de coutume, répartition de ladite enfant entre Noël et le premier de l’an… Je n'ai jamais regretté d’avoir divorcé mais les conséquences sont parfois lourdes à porter, pour elle comme pour nous. Plus elle grandit, plus elle souffre de notre séparation, ayant souvent l’impression d’être coupée en deux, allant de l’un à l’autre, dans un va-et-vient incessant.

J’ai vraiment l’espoir de retrouver l’amour afin de reconstruire cette petite cellule familiale dont Emma aurait tant besoin. Elle n’arrête pas de me demander de retrouver quelqu’un, mais j’ai beau essayer, et essayer encore, me voilà de retour à la case départ.

Et à bientôt quarante ans qui plus est.

Plus les années passent et plus j'ai l'angoisse de voir ma principale peur se réaliser : finir seule comme ma mère. Un comble quand on sait que j'ai passé la moitié de ma vie à tout faire pour ne pas lui ressembler.

Seigneur, promets-moi de m'aider à tout faire pour éviter cela. Permets-moi d'offrir à ma fille une autre vie que celle que j'ai connue.

Envoie-moi un signe, un encouragement, parce que je te jure qu'il en faut du courage pour sans cesse tout recommencer…

Gwendoline range son journal intime dans son sac et boit sa dernière gorgée de café au lait. Après avoir payé sa consommation et salué le patron de son bistrot préféré, elle s'arrête devant une femme entre deux âges, assise par terre. Devant elle est posée une petite coupelle à moitié remplie.

Elle la voit de temps en temps et lui donne régulièrement de l’argent.

Comme les fois précédentes, Gwendoline s'accroupit à hauteur de la mendiante à la tenue bariolée. Réalisant qu'elle a donné toute sa petite monnaie au cafetier, elle sort un billet de son portefeuille et le dépose directement dans la paume ouverte de l'indigente. Avec un grand sourire, Gwendoline resserre ses deux mains sur celle, gracile et abimée, dans laquelle elle a glissé le billet.

La pauvre femme la remercie amplement et, dans un élan de gratitude exacerbée, embrasse la main de Gwendoline, tout en lui parlant dans une langue que cette dernière ne comprend pas. Son discours s'apparente à des bénédictions d’où émane une profonde sincérité.

Spontanément, la jeune femme fait la même chose en retour et pose ses lèvres sur la main douce et ridée. À son grand étonnement, celle-ci sent très bon. Gwendoline n’avait jamais fait ça avant, mais le geste lui vient sans réfléchir.

Cet échange ne dure pas plus d'une minute mais une connexion invisible les unit.

Dans le froid et la dureté de la ville, leurs humanités se rencontrent.

Puis, Gwendoline continue sa route, et alors qu’elle s’apprête à regagner sa voiture, un groupe d’hommes d’une trentaine d’années l’alpague comme un poissonnier haranguerait des clients :

— Hey, Madame, Madame, vous êtes stylée pour votre âge !

Pour votre âge ? Mais il est sérieux ce corniaud ?

La jeune femme a envie de s’enfoncer dans le bitume, avec le sentiment que du haut de ses trente-neuf ans, elle est déjà bonne à mettre à la casse.

Vexée comme un pou et honteuse d’avoir été la victime de ce compliment maladroit, elle trace sa route et s'engouffre dans le petit magasin dans lequel elle n’avait nullement l’envie de s’arrêter, afin de se dérober au regard de ces malotrus.

Tout en furetant dans les rayons d'un œil distrait, à la recherche de quelque chose dont elle aurait besoin, elle pose les yeux sur un beau brun barbu, à l’allure de bûcheron citadin. Davy Crockett en personne, la toque de fourrure en renard mort en moins, les tatouages sur les bras en plus.

Elle ne saurait dire pourquoi, mais l’homme lui apparaît sauvage, tout juste apprivoisé. On dirait qu’il s’apprête à fuir la civilisation, son panier chargé de provisions lyophilisés et de soupes en sachets qu’il jette en quantité sans même regarder ce qu’il fait.

Puis, elle le suit des yeux tandis qu’il se dirige vers la caisse d’un pas rapide, apparemment pressé de quitter cet endroit qu’il semble exécrer.

Gwendoline continue sa quête d’un article qui pourrait lui être utile, dans l’espoir que le temps passé à l’intérieur permettra aux trois jeunes de quitter le parking où elle les avait laissés. Les yeux fixés sur le pain noir allemand dont elle est friande, elle tend une oreille attentive, interpellée par les paroles d'une célèbre chanson de Johnny Hallyday : "Je te promets..."

Repensant à sa demande quelques dizaines de minutes plus tôt dans son journal intime, elle sourit.

OK, Seigneur. Reçu cinq sur cinq.

Le message de l’Univers est passé. Saura-t-elle le décoder ?

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