Chapitre 10 : Bas les pattes !

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La thérapeute attend quelques instants, puis voyant sa patiente submergée par la colère et la tristesse, elle s’approche d’elle et se saisit de sa main. Silencieuse, elle accompagne la détresse qui s’exprime par le corps de Gwendoline, qui peine à respirer, comme asphyxiée par ses paroles douloureuses.

Tout en continuant à laisser couler le trop plein de larmes qui déborde, des images apparaissent dans l’esprit de la patiente. Gwendoline se rappelle cette époque maudite où elle était tombée enceinte d’un autre tocard du même genre que Konrad, le fameux Stéphane, qui l’avait plaquée dès l’annonce de sa grossesse, l’obligeant à avorter à contrecœur. Se retrouvant seule, elle avait été contrainte de subir un I.V.G douloureux physiquement et psychologiquement, alors que Stéphane, dont elle était encore très éprise à l’époque, s’en sortait sans aucune égratignure.

Au souvenir de cet épisode pénible, ses larmes redoublent, intarissables. Véronique garde toujours sa main entre les siennes, chaudes et rassurantes et l’encourage à respirer et à lâcher ce lourd fardeau qui l’accable.

Lorsque son souffle redevient plus fluide et sa gorge moins sensible, Gwendoline reprend son récit, essuyant ses larmes avec le mouchoir tendu par sa thérapeute :

— Quelques jours après le début de notre relation, avec Konrad, je me suis retrouvée avec une mycose vaginale, moi qui n’y suis jamais sujette. Et pourtant, avec mon métier, on pourrait penser que cela arrive souvent. Mais pas du tout, car bien évidemment tous mes rapports sont protégés. De mémoire, je n’en avais pas eu depuis très longtemps… J’ai tout de suite pensé à Konrad et à son manque d’hygiène. Je vous en ai déjà parlé, vous vous souvenez ?

— Oui, je me souviens très bien. Il ne se lavait pas les dents, ajoute la psy pour confirmer ses dires.

— Exactement ! Rien que cela, ça aurait dû me faire fuir ! Pensez-vous ! Quand j’ai découvert cette mycose, j’ai tout de suite su que c’était de sa faute. Je m’en suis rendue compte car lorsque je dormais chez lui, il venait se coucher après avoir rentré sa chienne dans le garage, sans passer par la salle de bain. Vous voyez le tableau ?

Gwendoline agite ses deux mains comme pour mieux imager ses propos, en y ajoutant une moue de dégoût.

— Les mains qui caressaient mes zones intimes et délicates depuis des jours étaient les mêmes que celles qui papouillaient la bestiole faisant des aller-retours dehors. Une folie. À aucun moment, le mec ne s’est dit qu’il fallait qu’il fasse attention ! J’enrageais de me retrouver avec mon intimité en feu et ravagée par le manque de propreté de celui à qui je pensais pouvoir accorder ma confiance. J’ai essayé de relativiser, de dédramatiser la chose, je lui ai même trouvé des excuses, ce qui est vraiment le comble. Mais en réalité, cela m’a mis hors de moi de devoir me soigner, à base d’ovule et de crème antifongique deux fois par jour, alors que Konrad, le vrai responsable, ne souffrait d’aucun désagrément, lui. Je lui en voulais vraiment. Et c’est à peine s’il a réalisé ses torts et s’est excusé.

La vérité, c’est que Gwendoline s’en veut tout autant. Comme tant d’autres avant lui, Konrad s’était permis de la toucher sans aucune précaution et elle n’avait rien dit. Pourquoi n’avait-elle rien dit à ce moment-là, exactement comme elle n’avait rien dit lorsqu’on l’avait obligée à dormir dans le lit de son oncle nu ? Pourquoi ne disait-elle rien lorsqu’on la traitait avec désinvolure ?

Cette constatation la rend dingue. Elle a envie de hurler.

— Une fois encore, j’ai payé pour les fautes des hommes, vitupère-t-elle encore, toujours très énervée. Je trinque toujours pour le bon plaisir de ces messieurs. A cause de leur irresponsabilité, de leur inconscience, de leur insouciance… Et la liste de leurs défauts est longue !

— Qui a été inconscient, insouciant et irresponsable avec vous auparavant, Gwendoline ?

— Tous ! Tous sans exception ! Mon père qui a fait des enfants mais ne s’en est pas correctement occupé. Mon oncle qui avait quand même vingt ans à l’époque et qui n’a pas trouvé utile ou correct de s’habiller lorsque j’étais une petite fille ! Mon frère, qui s’est tué dans un accident de voiture après une soirée beaucoup trop arrosée. Et puis tous les autres… Le mec qui m’a mise enceinte lorsque j’avais vingt-et-un ans, avant de me larguer comme une merde une fois que j’avais avorté. Puis celui qui m’a mise enceinte à trente-trois ans, avant, je vous le donne en mille, de me larguer comme une merde, lui aussi. Sans parler de Guillaume, mon ex, celui qui s’est donné la mort…

À ces mots, elle fait une pause, la gorge étranglée par la rudesse de ses confessions. Guillaume. Le beau brun barbu aux yeux noirs, à la peau mate et au sourire triste. Il lui manque toujours autant, et elle y repense constamment avec le cœur lourd. Malgré la douleur de sa disparition, elle lui en veut comme aux autres, car son départ précipité l’avait laissée pantelante de chagrin et désorientée. Lorsque Gwendoline reprend son discours, sa voix se fait plus basse, plus douce :

— Jamais il ne m’en a parlé. On couchait toujours ensemble pourtant. Dix jours avant d’en finir, il était chez moi et me faisait l’amour, mais à aucun moment, il n’a évoqué ses envies suicidaires. Vous voyez… l’histoire se répète sans cesse, même si c’est de différentes façons. Tous, tous m’ont abandonnée et trahie d’une manière ou d’une autre, Véronique.

— Tous ces hommes vous ont abimée Gwen, vous avez raison. Ils vous ont trahie, ont trahi votre confiance et se sont montrés insouciants, inconscients et irresponsables vis-à-vis de vous, alors que vous aviez placé votre confiance en eux… aveuglément.

— Oui, aveuglément, c’est bien le terme…

— Aujourd’hui, les choses ont changé et vous êtes en capacité de discerner ce qui vous fait du bien de ce qui ne vous en fait pas… avec les hommes comme avec le reste d’ailleurs. Vous avez les ressources nécessaires en vous et les outils pour vous aider à vous protéger et à prendre soin de vous. Notamment, en choisissant les bonnes personnes pour vous. Celles qui vous traiteront avec respect, douceur et délicatesse.

— Vous avez raison. J’en suis capable désormais, répète-elle, comme pour s’en convaincre réellement, en hochant la tête.

— Vous en êtes capable, Gwen, soyez-en sûre. Moi, j’en suis sûre en tout cas. Toutes ces prises de conscience que vous avez eues récemment grâce à votre histoire avec Konrad vont vous permettre d’attirer un homme mature et responsable, qui saura répondre à vos attentes et se montrer respectueux envers vous.

— Oui, c’est exactement ce que je veux. Je n’ai jamais connu cela. Ce serait vraiment merveilleux, Véronique. À bientôt quarante ans, il serait temps que ça arrive, non ?

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