Chapitre 20 : Une dernière pour la route
L’heure du rendez-vous approche et Erwann s’est garé au pied du pont de la Jonelière comme convenu avec Gwendoline.
Nerveux, il pianote de ses doigts tremblants sur le volant de son imposant SUV. La peur lui vrille l’estomac, comme avant un examen. Profitant de quelques minutes d’avance, il sort de son véhicule et s’allume une cigarette, sur laquelle il tire frénétiquement en longeant le bord de l’Erdre.
Heureusement qu’il s’est aspergé d’une bonne dose de parfum avant de partir. Il n’aime pas que ses vêtements sentent la clope, d’autant plus qu’il sait déjà que Gwendoline ne fume pas. Elle non plus ne doit pas apprécier l’odeur du tabac froid.
Dans la foulée, il envoie un message à Richard, son pote coiffeur, le seul qu’il a informé de cette rencontre avec la jeune femme. En parler avec cet obsédé de Quentin aurait été au-delà de ses forces.
— Je suis arrivé et je l’attends, envoie-t-il en textotant aussi vite que possible, comme si sa vie en dépendait.
Cela fait effectivement des semaines qu’il attend ce moment avec impatience. En réalité, depuis qu’il a vu la publication que la modèle a postée sur le groupe Facebook, il n'a pas arrêté de penser à elle. Son regard franc et ses yeux verts limpides ont immédiatement retenu toute son attention.
— Arrête de stresser, Gaz, elle va pas te bouffer.
— Je sais… je ne sais pas pourquoi cela me met dans tous mes états.
— Tu le sais très bien au contraire. Elle te plait. Ça fait trois mois que tu m’en parles, cela ne t’a quand même pas échappé ?
Richard a raison. Plus les images défilaient et plus Erwann tombait sous le charme de cette jeune femme au profil atypique, aux courbes délicieuses et au visage d’ange. Elle l’avait littéralement captivé.
— Je me fais des films, c’est sûr. C’est juste une collaboration…
— Essaie de t’en convaincre si tu veux. Mais à moi, on me la fait pas. T’inquiète mon chou, je viens juste de refaire ta coupe, t’es beau comme un épouvantail, dit-il pour le taquiner… Sois naturel et tout se passera bien. Détends-toi, Gaz.
— T’as raison. Et merci de m’avoir pris au dernier moment dans ton planning surchargé, Bud, je te revaudrai ça…
— Mais j’espère bien ! Je te laisse, il y a un apollon qui vient de rentrer dans le salon, je ne te dis pas le canon !
Erwann sourit malgré lui en imaginant Richard façon Tex Avery, la langue pendante se déroulant jusqu’aux pieds du beau gosse en question. Ce bref échange a au moins eu le mérite de lui avoir fait oublier son stress un moment.
Déjà échaudé lorsque son message, envoyé la nuit de la Saint Sylvestre, est longtemps resté lettre morte, le photographe a peur de se bercer encore d’illusions.
Erwann se doutait bien que Gwendoline avait croulé sous les demandes et espérait que c’était là l’explication de son silence. Néanmoins, cela l’avait questionné. Lorsqu’un mois et demi plus tard, il avait enfin reçu une réponse positive de sa part, il en avait été à la fois agréablement surpris et soulagé.
Mais le soulagement avait été de courte durée lorsqu’Erwann avait compris qu’il allait devoir encore patienter plusieurs semaines avant de la rencontrer. Planifier ce shooting n'avait pas été chose aisée. Entre leurs contraintes familiales, leurs vies professionnelles bien remplies et la météo aléatoire de la région nantaise, le photographe et la modèle ont dû se montrer patients pour réussir à caler cette séance.
Vivant en Bretagne, sur la presqu’île de Crozon, une partie de l’année et à Nantes, le reste du temps, Erwann s’organise en fonction de la garde de sa fille, qu’il partage en alternance avec son ex-femme, Alice. Pour profiter de Manon-Tiphaine, Erwann vit à Camaret deux semaines par mois, dans la magnifique villa qu’il a hérité de son père, une splendide demeure avec vue sur la mer.
Les deux semaines suivantes, tandis que sa fille reste avec sa mère sur la presqu’île, dans une propriété à l’intérieur des terres, Erwann séjourne à Nantes.
Sa fille suit un enseignement à distance. Quand il est en Bretagne avec elle, il surveille son travail scolaire d’un œil attentif et travaille sur ses projets professionnels de l’autre. Maintenant qu’elle est autonome, elle ne le sollicite plus beaucoup, consciente que son père a des obligations professionnelles à honorer de son côté.
Très indépendante et mature, Manon-Tiphaine, surnommée la plupart du temps Manon, se consacre sérieusement à sa scolarité, tout en pratiquant assidûment le surf en compétition. Plusieurs fois couronnée de succès par des titres de championne junior en individuel et en équipe, elle s’épanouit dans sa branche et rêve d’en faire carrière pour vivre de sa passion. Ambitieuse et volontaire, cette grande liane d’un mètre quatre-vingt fait la fierté de ses parents, qui, malgré leurs divergences d’opinion sur bien des sujets, sont tombés d’accord pour la soutenir financièrement dans cette discipline.
Il faut dire que pour Erwann, l’argent n’est pas un problème. Jeune et unique héritier de la superbe villa familiale qui domine de toute sa hauteur la baie prestigieuse de Camaret, il est à la tête d’un joli patrimoine immobilier. Lequel s’est encore accru lorsqu’il a investi ses économies dans un superbe appartement-terrasse, au nord de la cité nantaise. Ce dernier, situé tout en haut d’un immeuble de standing, avec ascenseur et portier, possède une vue magnifique sur la Loire. Niché en plein cœur du quartier huppé de la Jonelière, l’immeuble fait office de quartier général des joueurs du FCNA, logés là gracieusement par le célèbre club au palmarès légendaire. Le voisinage d’Erwann se compose de futures stars du ballon rond et de retraités millionnaires coulant des jours heureux bien à l’abri dans leur tour d’ivoire.
Erwann a toujours été séduit par cette grande ville dynamique qui lui a offert de nombreuses opportunités.
D’ailleurs, la voilà qui arrive, cette jolie opportunité, se dit-il, lorsqu’il voit une jeune femme aux cheveux argentés garer son SUV sur le parking, à côté de lui…
Elle est rayonnante, encore plus belle que sur les photos !
Troublé, il sent son ventre se contracter lorsque cette très belle femme descend de sa voiture et s’avance vers lui, lumineuse et souriante. Les doigts de sa main gauche triturent les deux bagues en argent qu’il porte à la main droite. Intimidé, Erwann tente vainement de paraitre décontracté. Il regrette déjà d’avoir écrasé la cigarette qu’il était en train de fumer lorsqu’il l’a vue se garer. À cet instant précis, alors que la jeune femme s’avance vers lui d’un pas assuré pour lui faire la bise, il en aurait bien grillé une pour se calmer…
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