Chapitre 24 : À table avec Voltaire

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Erwann tourne la cuillère dans son bol en la regardant intensément. Déroutée par son invitation directe, elle réfléchit quelques instants, avant de se lancer :

— Que pourrais-je te dire d’intéressant ?

— Tout ce que tu veux.

— Tu connais déjà certaines choses de moi, que tu as peut-être découvert par le biais de ma page Facebook ou de mon Instagram.

— Ce que tu veux bien partager sur les réseaux, oui. J’ai vu que tu aimes lire, méditer et les citations philosophiques.

— Eh bien voilà un parfait résumé ! s’esclaffe-t-elle en riant. Voilà une excellente épitaphe à inscrire sur ma pierre tombale : ci-gît Gwendoline, elle aimait lire, méditer et s’exprimer en proverbes. Passionnant !

— C’est surtout un peu succinct, dit-il avec une moue dubitative. Ta vraie vie doit être plus riche que ça. J’en sais quelque chose, je partage moi aussi sur les réseaux sociaux uniquement ce que j’ai envie de montrer…

— Comme le fait que tu aimes le billard, les tatouages et les paysages de la côte sauvage bretonne ?

— Voilà un autre bon résumé, sourit-il à son tour.

— Tu sais que j’ai une fille, que je suis célibataire, que j’ai 39 ans...

— Effectivement, c’est aussi ce que je pourrais lire dans ton livret de famille… La taquine-t-il en mangeant. Tu as l’art de ne dire de toi que les choses formelles.

— Question d’habitude, tu as raison.

— Pour te protéger ? demande-t-il alors qu’il sent qu’elle essaie de se dérober.

— Bien évidemment, Erwann. Je peux choisir de m’exposer en montrant mon corps plutôt que mes pensées. Mais il y a encore beaucoup de choses que personne ne sait sur moi.

Erwann remplit son verre d’eau et lui demande si elle a assez chaud désormais. Elle répond par l’affirmative. Il rebondit sur ce qu’elle vient de dire plus tôt :

— Ce que tu ne veux pas dire ou montrer, c’est ton jardin secret ?

— Exactement.

Elle réfléchit tout en avalant un peu de sa soupe et reprend :

— Tu veux du spirituel ?

— Pourquoi pas, répondit-il en prenant un air concentré.

— Avant de commencer à manger, j’ai récité dans ma tête une sorte de bénédicité. Je ne voulais pas le faire devant toi car j’avais peur que tu me penses complètement barrée.

— Tu es croyante ? l’interroge-t-il alors qu’elle a piqué sa curiosité.

— Oui et non. Je crois en dieu mais je ne suis adepte d’aucune religion en particulier.

— Intéressant.

— Comme les gens ne comprennent pas grand-chose à mes croyances, je ne me fatigue même plus à les expliquer. J'ai l'impression que je risque toujours d’être regardée de travers.

— Essaye avec moi, dit-il en penchant la tête, pour la prendre au mot. Je te regarde déjà de travers, tu ne risques plus rien désormais.

Elle éclate de rire et prend le temps de manger une autre cuillerée de soupe avant de continuer :

— Mon Dieu n’a pas de barbe blanche, ni de trident et ne vit pas assis sur un grand fauteuil céleste. Mon Dieu n’est pas jugeant, attendant la fin des mondes pour émettre sa sentence irrévocable d’un enfer ou d’un paradis. Mon Dieu n’est assimilé à aucun dogme, ne réclame aucun sacrifice et ne menace d'aucun châtiment en cas de mauvaise conduite.

— J’aime bien ton Dieu dans ces cas-là, intervient-il.

— Je dis Dieu, mais je peux aussi parler de l’Univers, de la Vie, de Dame Nature, peu importe le nom que tu veux lui donner. Ce n’est pas une personne, c’est une énergie, une entité. Mes croyances, ce sont tous les préceptes de n'importe quelle religion, sans en revendiquer aucune, tant que cela est joyeux et bienveillant : la générosité, la solidarité, le bonheur, la bienveillance ou encore le pardon.

— Pas de diable ou de Satan alors ?

Gwendoline lève les yeux au ciel en entendant cette idée.

— Oh Seigneur, non ! rit-elle. Pas plus qu’il n’y a de menace d’enfer ou de damnation. J’aime la douceur et la gentillesse, les bénédictions et les bienfaits. J’aime le bonheur et la joie. Nous sommes humains et donc faillibles, j’invite donc quiconque à faire preuve de bonté. Que serait la vie sans tolérance et ouverture d’esprit ?

— Effectivement, vu sous cet angle, Dieu a l’air franchement plus sympathique.

— Il l’est, crois-moi.

— Tu es donc une optimiste ?

— « J’ai décidé d’être heureux car c’est meilleur pour la santé », disait Voltaire. Je sais que cela n’est pas très bien vu mais… oui, je suis une optimiste, termine-t-elle en murmurant, comme si cela ne devait pas s’ébruiter. Définitivement.

Erwann la regarde en souriant, amusé.

Ils plongent leur cuillère dans leur bol et continuent à se régaler.

Gwendoline connaît l’opinion des gens à son sujet. On rit de sa positivité, à une époque où le cynisme est roi et où la télévision rappelle sans arrêt à ses ouailles combien tout est tellement difficile. Pourquoi faire preuve de douceur quand la méchanceté est gratuite ? Elle sait qu’on se moque d’elle et de son angélisme mais elle n’a jamais été aussi bien de sa vie que depuis qu’elle la regarde du bon côté. En se dévoilant avec franchise, elle prend un risque. Exposer sa vision au photographe lui semble soudain plus difficile que lorsqu’elle affichait sa nudité plus tôt dans la soirée…

A présent qu’elle a osé révéler un peu de son jardin secret, Gwendoline est dévorée par la curiosité :

— Et toi, Erwann ? Que peux-tu me dire à propos de toi ?

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