Chapitre 27 : Jalousie bien ordonnée commence par soi-même

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Pris au dépourvu, Konrad saisit la main tendue à contrecœur, le visage toujours fermé, et le salue à son tour d’un hochement de tête discret.

La poignée d’Erwann est franche et son regard appuyé.

Les deux hommes se toisent dans la pénombre de l’entrée mal éclairée.

En aparté, Gwendoline explique à Erwann les raisons de la présence de son ex ici :

— Il y avait un match ce soir à la Beaujoire.

La Beaujoire est le stade de football de Nantes et se trouve à proximité du bar. Konrad, féru de ballon rond, est venu en bande supporter le FCNA, une de ses équipes préférées, l'autre étant l'Olympique de Marseille. A l'époque de leur histoire, Konrad avait proposé à Gwendoline de l’accompagner, mais passer toute la soirée à entendre des mecs beugler sur des multimillionnaires courant derrière un ballon, était au-dessus de ses forces. Elle préfère le calme à l'agitation.

Malgré le déplaisir que lui procure cette rencontre, la jeune femme reste cordiale et souhaite une bonne soirée à Konrad. Puis, elle avance en cherchant une place où s’installer dans la salle bondée. Un soir de match, les bars sont pris d’assaut et celui-ci ne fait pas exception.

Erwann lui attrape délicatement le bras et demande, légèrement inquiet :

— Tu veux qu’on aille ailleurs ?

— Il existe d’autres bars ouverts à cette heure et proposant autre chose que des boissons froides ?

— Je ne crois pas. Je n’en connais pas en tout cas.

— Restons là Erwann, cela ne me dérange pas.

— Tu es sûre ?

— Absolument, confirme-t-elle, bien décidée à profiter du reste de la soirée.

— Comme tu veux. Tiens, il y a un canapé au fond qui vient de se libérer. Tu peux y aller, je te rejoins, je vais commander. On reste sur l’idée du chocolat chaud ?

— C’est parfait.

Tandis qu’il passe leur commande, Gwendoline s’installe à la place du groupe de supporters, habillés de jaune et vert, les couleurs des célèbres Canaris, ainsi que sont surnommés les joueurs du FC Nantes. Ils se dirigent bruyamment vers la sortie.

Elle prend place sur le large canapé Chesterfield, une pièce vintage dont la qualité et l’élégance n'ont pas leur pareil. Même usé comme il l’est, il reste un incontournable de n’importe quel café qui se veut un peu cosy. Il est moelleux à souhait et son cuir souple, tanné naturellement par les années, lui confère un aspect chaleureux et racé. Gwendoline s’enfonce à l’intérieur, déposant son manteau sur l’accoudoir, la chaleur de la salle l’envahissant de bien-être.

Erwann revient vers elle et, voyant qu’elle s’est mise à son aise, la rejoint en prenant soin de s’asseoir suffisamment près, sans pour autant lui voler son espace.

Dieu sait pourtant s’il aimerait se lover contre elle, la frôler davantage, la toucher. Et ce n’est pas la présence de son ex qui peut l’en dissuader. Au contraire, cette situation cocasse l’émoustille et réveille en lui un sentiment qu’il n’a plus ressenti depuis longtemps. Est-ce son instinct animal qui lui dicte de se montrer un peu plus démonstratif, comme pour afficher « chasse gardée » ?

Même s’il ne s’attendait pas à se retrouver dans une sorte de scène de ménage à trois, Erwann jubile intérieurement, bien qu’il s'efforce de le masquer.

Il n’a jamais été du genre bagarreur mais savoir que ce soir, tout pourrait dégénérer, n’est pas pour lui déplaire. Il s’étonne lui-même de percevoir dans son cœur une pointe de jalousie à l’idée que la modèle a partagé un temps, le lit de ce Konrad.

Tout en discutant beaucoup trop fort avec ses potes, ce dernier les observe toujours du coin de l’œil, à la dérobée.

Ce qui a surpris le photographe, au premier abord, en découvrant Konrad, c’est qu’il lui a paru très jeune. Il s’étonne que Gwendoline, qui approche la quarantaine, ait pu être séduite par un minet tel que lui. Pour le reste, Erwann le trouve plutôt bien fait de sa personne, encore que sa bedaine naissante ne laisse rien présager de bon pour la suite. Rien de tel que la bière pour se retrouver avec une bouée autour de la taille, passée la trentaine.

Erwann est rassuré par l’attitude sans équivoque de Gwendoline à l’égard de son ex. Leur histoire est clairement terminée et la jeune femme est sans nul doute passée à autre chose.

— Un peu bizarre comme situation, désolée, lui glisse-t-elle à l’oreille.

— Au contraire, je trouve cela plutôt… intéressant. Vu les regards que ton ex me jette, je crois qu’il ne t’a pas crue et qu’il me prend pour ton mec.

— Et bien… Laisse-le croire ce qu’il veut. Cela m’est égal.

— A moi aussi, lui assure-t-il, complice.

Plus la soirée avance, plus Erwann ressent le besoin d’un rapprochement physique, comme aimanté par le corps de déesse de la jeune femme qu’il ne cesse de regarder. Bien qu’essayant de se montrer discret, il profite de chaque occasion pour l’observer avec plus d’attention. Le visage de Gwendoline est doux et solaire, légèrement arrondi, et ses yeux d’un vert intense le captivent. Il se perd dedans lorsqu’elle se penche à nouveau vers lui :

— J’ai remarqué que tu n’as pas commandé d’alcool tout à l’heure au restaurant, pas plus qu’ici. Je me demandais…

La présence alcoolisée de son ex n’est pas étrangère à sa réflexion. Voyant qu’elle tourne son regard vers lui et sa bande de potes, il comprend directement où elle veut en venir.

— Je ne bois pas. Ou plus, en réalité. Je n’ai jamais été un grand amateur de vins ou spiritueux…

Erwann n’a jamais aimé l’alcool. Pourtant, à l’époque de son mariage, il buvait régulièrement, habitude qu’il a perdue dès sa séparation. Il s’était alors rendu compte qu’il acceptait de boire principalement pour accompagner sa femme et lui faire plaisir, mais sans en ressentir le besoin, ni l’envie. Arrêter l’alcool a été libérateur pour lui. Cela avait été comme couper un lien toxique qui l’unissait à Alice contre son gré. En faisant cela, il avait le sentiment d'avoir repris peu à peu son pouvoir et se sentait davantage autonome et libre de ses choix. Son dernier verre remonte à la soirée du nouvel an où il avait accepté de trinquer avec ses amis, sans quoi, ils ne l’auraient pas lâché. Et il faut dire que question picole, Quentin et Richard font honneur à la réputation des bretons.

— Et toi ? Tu n’as rien commandé non plus, et je n’ai pas pensé à te le proposer, regrette-t-il soudain.

— Je ne bois pas du tout. Je n’en ai jamais eu envie et je ne crois pas que cela soit une bonne chose pour la santé, alors…

— Jamais d’alcool ? répète-t-il, surpris de sa réponse.

— Jamais, non, conclut-elle avec un large sourire, se sentant sur la même longueur d’onde que lui.

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