Chapitre 29 : Savoureuse tournure de soirée

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Erwann comprend ce que Gwendoline voulait dire au restaurant quand elle lui parlait de son optimisme. La jeune femme semble avoir surmonté quelques déconvenues mais affiche néanmoins une belle énergie. Sa positivité est communicative et il se sent à son tour porté par sa luminosité.

Dans un même geste, ils portent à leurs lèvres leur chocolat crémeux, légèrement tiède à présent, et le sirote tous les deux enfoncés dans les coussins accueillants du canapé.

Malgré la foule d’habitués au bar et aux tables autour d’eux, ils semblent être seuls au monde. Qu’importe le bruit environnant, la musique d’ambiance ou le son de la pluie qui tambourine désormais sur le toit de l’établissement, rien ne les détourne l’un de l’autre.

Ils sont là, se regardant droit dans les yeux, se souriant, en silence.

Erwann la fixe malgré lui et remarque qu’elle est maquillée avec savoir-faire et n’a nullement eu la main lourde, ce qui lui apporte beaucoup de fraîcheur et de simplicité. Elle est attirante sans effort, naturelle et pétillante. Lorsqu’elle sourit de ses dents blanches et bien alignées, son regard émeraude se pare d’un éclat dont il ne se lasse pas.

Captivés l’un par l’autre, ils s’observent intensément et l’espace entre eux paraît se résorber. Pourtant, ils ne sont pas collés l’un à l’autre, se touchant à peine, se frôlant un peu.

Il n’ose pas. Il a peur de la brusquer, d’aller trop vite, de se tromper. Il a peur de trop parler, de se dévoiler plus que nécessaire. Il a peur de s’imaginer des choses et d’être déçu.

Même si elle en a envie, elle ne veut pas faire le premier pas et espère qu’il prendra également son temps. Elle aime les hommes entreprenants mais patients. Elle le sent perturbé par moments, mais ne veut pas se montrer trop curieuse. Son passé semble le hanter comme une ombre qui assombrit son regard. Il lui plaît mais elle n’ose pas le lui montrer ouvertement, ne voulant pas paraître empressée.

Chacun de leur côté, ils doutent, d’eux-mêmes et de leur intuition. L’amour est une faiblesse qui les rend vulnérables. Pourtant, ils sentent tous les deux qu’ils aimeraient davantage. Mieux se connaître, se toucher, s’embrasser.

Leurs regards en disent long du désir qui les animent.

Mais à quoi bon se précipiter ?

Ils profitent juste de cet état de grâce dans lequel ils sont plongés.

Un peu plus tard, l’infatigable Fred revient débarrasser leur table et les informer de la fermeture imminente des lieux :

— C’est l’heure d’aller se coucher, les p’tits loups !

Ils n’ont pas vu l’heure passer, comme cela arrive souvent lorsque le plaisir que l’on prend dans l’instant présent nous fait oublier le temps écoulé. Comme lorsqu’Erwann fait des photos ou court le long du sentier des Douaniers. Comme lorsque Gwendoline s’éclate sur un shooting, qu’elle lit ou médite. Tous les deux connaissent ce sentiment d’oubli de soi et du monde extérieur lorsque quelque chose les captive au point d’en oublier l’heure.

Erwann remercie chaleureusement Fred, tout en se mettant debout, tendant une nouvelle fois la main vers sa modèle pour l’aider à se relever. Il saisit son manteau sur le bras du sofa et attend qu’elle se tourne pour lui permettre de l’enfiler.

Gwendoline est enchantée. Sa galanterie lui fait tourner la tête de plaisir. Il est si prévenant et attentionné envers elle qu’elle se laisse faire avec délectation. Groggy par la chaleur du bar et l’heure tardive, elle en a complètement oublié Konrad.

Lui, en revanche, n’a cessé de les observer. Toujours entouré de ses potes et de plus en plus alcoolisé, son ex se montre aussi discret qu’un feu d’artifices tiré un soir de 14 juillet.

Lorsque les quatre agités s'avancent vers la sortie, poussé par un Fred qui ne semble pas gêner de s’en débarrasser ouvertement, Gwendoline se fait bousculer.

Sans réfléchir, Erwann s’interpose pour protéger la jeune femme.

Konrad s’en offusque :

— Arrête de jouer au héros, Yohann, on connait ta combine. J’ai toujours soupçonné Gwen d’allumer tous ses photographes. La preuve ! J’avais raison. Séance photo, mon cul, ouais, vocifère-t-il à toute l’assemblée.

— Mais qu’est-ce que tu racontes, t’es pas bien ? s’énerve la jeune femme, choquée.

— C’est bon, Konkon, laisse tomber, intervient Jocelyn, en essayant de tempérer l’agressivité de son pote.

Gwendoline a toujours trouvé Jocelyn gentil et le découvre ce soir dans un rôle de modérateur qu’elle apprécie. Aux abois, elle le remercie du regard.

Greg, quant à lui, reste plus en retrait, la défiant du regard. Gwendoline le sent prêt à monter au créneau pour défendre son meilleur ami. Konrad et lui sont très proches et leur amitié a des fondations solides. Elle commence à craindre le pire.

La jeune femme se souvient que, du temps de sa liaison avec Konrad, Greg ne la portait pas vraiment dans son cœur. Observant le regard noir qu’il lui jette et vu la façon dont il la dévisage, elle devine qu’il partage les pensées de son ex, concernant son activité de modèle photo. Activité que Greg avait résumée, avec son franc-parler habituel, ainsi :

— Ah mais en fait, tu te fous à poil et tu montres ton cul sur Internet !

Gwendoline n’avait pas été étonnée d’entendre ce genre de propos à son encontre et n’avait pas pris la peine de relever le raccourci qu’il en avait fait. Greg a un tempérament dur et vindicatif, qu’elle retrouve aujourd’hui dans son attitude froide et hautaine.

— Je suis sûr qu’elle draguait et se tapait tous ceux qu’elle rencontrait ! A faire ses photos de putes…

— Bon, ok, on a compris l’idée, le coupe Erwann, excédé. Maintenant, toi et tes potes, sortez. C’est pas le meilleur endroit pour faire un scandale.

— Tu te prends pour ma mère, Yohann ?

— Erwann, rectifie la jeune femme, outrée par les insinuations de Konrad. Avance et laisse-nous passer.

D’un signe de tête, Fred demande à Erwann s’il a besoin d’aide en montrant le petit groupe de supporters qui sort enfin du bar. Erwann lui répond par la négative, partagé entre l’envie d’éviter les problèmes et celle de se défouler dans une échauffourée.

Soudain, Konrad loupe la dernière marche et s’étale de tout son long sur la chaussée trempée. Ses trois camarades l’entourent et l’aide à se relever. Jocelyn et Greg, tous les deux dotés d’une belle stature, le tirent par un bras de chaque côté et n’ont aucune difficulté à le remettre sur pieds.

C’est ce qui s’appelle tomber plus bas que terre, pense Gwendoline pour elle-même, en souriant intérieurement.

François, le plus gentil de la bande, un gros nounours que la jeune femme a toujours apprécié, se retourne vers elle et lève les mains au ciel, en signe de résignation.

La modèle comprend qu’ils ont essayé de calmer leur pote depuis leur arrivée à la soirée, mais que Konrad, de plus en plus éméché, cherchait la confrontation. Elle lui répond d’un signe de tête et lui souhaite quand même une bonne soirée, laissant les quatre acolytes se diriger vers la vieille bagnole de son ex, garée de l’autre côté de la rue.

Erwann le salue également, et dans un nouveau geste protecteur, resserre son bras autour de la taille de la jeune femme.

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