Chapitre 37 : Des œufs pas frais
Après avoir réalisé ses trois prestations de massage, Gwendoline regarde enfin son téléphone.
Auparavant, elle aurait gardé l’œil rivé sur l’écran de son portable toute la journée, dans l’attente et l’espoir d’un message de la part d’Erwann. Mais elle a appris à ses dépens que se mettre en disponibilité pour l’autre était la meilleure façon de s’oublier soi-même. Ce qu’elle ne veut plus faire désormais.
Elle ne veut plus se comporter ainsi et prendre le risque de n’être plus que l’ombre d’elle-même. Aussi charmant et attentionné que soit ce gentleman, Erwann ne doit pas devenir le centre de sa vie. Il est une option dans le champ des possibilités et la seule personne qui doit avoir toute son attention aujourd’hui, c’est elle.
Plus jamais elle ne se fera passer en second, plus jamais elle ne s’abandonnera pour que l’autre se sente aimé. Sa mère lui reproche cette attitude qu’elle qualifie d’égoïste, mais c’est tout le contraire : en œuvrant à son bien-être, elle n’oblige personne à s’en occuper à sa place.
Alors que la journée est déjà bien entamée, Gwendoline est satisfaite. Elle a amassé un beau petit pactole. Quoi que son job de masseuse érotique ait pu provoquer dans sa vie par le passé, aujourd’hui, elle garde en tête que son métier est au service de son plan, qu’il lui permet d’être son propre patron, de gérer son agenda comme elle l’entend, tout en ayant du temps pour sa fille, qui reste sa priorité. Elle sait qu’un jour ou l’autre, il lui faudra tout arrêter. Bientôt, elle l’espère, cette partie cachée de sa vie sera terminée.
Il est 16h30 lorsque l’on sonne à la porte. Gwendoline range ses billets dans une sacoche qu’elle glisse dans un placard, tout en se demandant qui est à l’origine de cette visite inopinée. Le livreur Amazon étant déjà passé, elle n’attend plus personne pour la fin de cette journée.
— Coucou ma belle, qu’est-ce que tu fais là ? demande-t-elle, surprise, en découvrant sa meilleure amie dans l’embrasure de la porte.
Cela fait quelques jours que les deux femmes ne se sont pas croisées, chacune étant occupée par une vie bien remplie. Manuella n’a pas l’air dans son assiette. Son regard azur est surmonté d’un froncement de sourcils qui n’a pas échappé à son hôtesse. Il est rare que son amie s’invite sans prévenir, car elle sait que Gwendoline reçoit ses clients chez elle. Heureusement, cette dernière a terminé sa journée.
— Tu es disponible pour m'offrir un café ?
— Bien sûr, entre. Ça tombe bien, j’ai des choses à te raconter, commence Gwendoline.
Elle est en effet toute excitée à l’idée de ce qu’elle va lui confier au sujet de sa soirée de la veille, dont elle a hâte de lui faire le récit. Cela fait longtemps que la jeune femme n’avait pas quelque chose d’aussi intéressant à raconter.
— Cool, moi aussi, répond Manuella un peu sèchement, en s’asseyant bruyamment.
— Okayyy. A toi l’honneur.
Gwendoline sent que son amie est d’une humeur massacrante et sur le point d’exploser. D’ordinaire joviale et boute-en-train, Manuella affiche aujourd’hui sa mine des mauvais jours.
— Tu te souviens du mec avec qui j’ai discuté pendant des heures sur Insta, le gérant du bar-karaoké ?
— Le beau brun qui rêvait de se marier ? Parfaitement, confirme-t-elle en lui préparant un café allongé.
Vu l’état de nervosité dans lequel se trouve Manuella, elle préfère ne pas en rajouter avec un expresso très serré.
— Je l’ai croisé hier au cinéma. C’était lui, je l’ai reconnu à sa photo, cet enfoiré.
— D’accord, continue Gwendoline qui ne comprend pas très bien où sa meilleure amie veut en venir. Et tu es allée lui parler ?
— Non, parce que, je te le donne en mille, il était accompagné.
— Ouch…
— Oui, ouch, comme tu dis… Célibataire ? Mon cul ! s’exclame une Manuella enragée.
— Bon. Au moins, maintenant tu es fixée, tente-t-elle de la réconforter.
Les deux femmes se connaissent depuis le lycée et ne se sont jamais perdues de vue malgré les changements liés aux années passées. Gwendoline regrette que son amie ait encore à subir cela. C’est une jeune femme qui a de nombreuses qualités et bien des hommes seraient chanceux de l’avoir pour compagne. Manuella, dont le physique a toujours été très remarqué, travaille comme hôtesse d’accueil à la Cité des Congrès.
Grande brune aux yeux bleus, à la silhouette menue et longiligne, elle séduit comme elle respire, même si elle ne s’en rend pas toujours compte. Ses histoires d’amour avec les hommes ont toujours été chaotiques, ce qui n’a fait qu’exacerber son ressentiment envers la gent masculine. Son attitude très directe à tendance à les faire fuir, surtout depuis qu’elle s’est mise en tête qu’il était grand temps pour elle de se caser. Se marier et avoir des enfants est devenu une telle obsession qu’elle n’arrive plus à faire preuve de légèreté dans ses relations. Et cela ne s’est pas arrangé depuis qu’elle a dépassé la barre fatidique de ce qu’elle appelle « sa date de péremption » : ses quarante ans.
— J’en ai marre des hommes, reprend Manuella, comme une mélopée.
— Je sais, mais je suis sûre que les choses vont s’améliorer… essaie de la rassurer Gwendoline en brassant le sucre et le lait dans son café fumant fraîchement préparé.
— Bon, assez de s’apitoyer sur mon triste sort. Et toi, raconte-moi !
— Du coup, je ne suis pas sûre que cela te plaise… soupire Gwendoline.
L’idée de se pavaner comme un paon qui fait la roue la rebute à présent. Son enthousiasme est refroidi par l’état d’abattement dans lequel est plongée son amie. Mais cette dernière insiste :
— Accouche, ordonne-t-elle, sur un ton mi-péremptoire, mi-intrigué.
— Bon, puisque tu me le demandes si gentiment ! la taquine la jeune femme. Hier, j’avais une séance photo prévue au coucher du soleil. Je t’en ai parlé. C’était avec Erwann, le photographe breton avec qui j’ai échangé sur le groupe Facebook.
— Ouais, je me souviens. Le canon tatoué. Alors ?
— Eh bien, ça s’est carrément bien passé. Je dirais même que cela a été une super soirée. Il m’a invité à diner ensuite.
— Il t’a draguée ? l’interroge Manuella, étonnée.
— J’en ai l’impression, oui. Si ce n’était pas le cas, c’était bien imité.
— C’est pas très pro de sa part, souligne la jolie brune en fronçant ses sourcils arqués, d’un air désapprobateur.
— Il est resté très correct, rassure-toi. Il ne s’est rien passé.
— Bien. Au moins, il ne fait pas partie des affamés. Et du coup, puisque vous avez dépassé le stade de la séance photo, hier soir, tu l’as mis au courant pour ton métier ?
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