Lorsque Manuella la quitte en cette fin d’après-midi-là, Gwendoline est sonnée. Même si elle a essayé de ne rien laisser paraître, sa discussion avec sa meilleure amie lui a, comme souvent, mis les nerfs en pelote.

Elle monte l’escalier quatre à quatre, pour rejoindre la salle de bain et lance sa playlist, énervée. Profitant de sa douche pour se calmer, elle laisse l’eau chaude bienfaisante s’écouler sur son corps, tout en chantant à tue-tête le refrain de « Don’t stop me now » de Queen. Le rythme saccadé de la chanson convient parfaitement à son humeur. Le titre parle pour elle.

Même si Manuella agit ainsi pour la préserver, Gwendoline se sent incomprise. Cela ne fait qu’exacerber le sentiment de solitude qu’elle a parfois du mal à endiguer. Comme toujours, elle est seule à croire en elle et à se battre pour ses rêves. Enfant déjà, elle ressentait cela.

Pendant longtemps, Gwendoline a été trimballée par les aléas de la vie, se sentant comme une bouteille à la mer que l’on aurait jetée dans un océan déchainé. Ses parents ayant bridé sa confiance en elle et en un avenir heureux, elle a longtemps eu une attitude défaitiste.

L’arrivée d’Emma dans sa vie, il y a dix ans, a été un bouleversement, lui faisant prendre conscience de l’importance de modifier sa façon de penser, soucieuse de l’héritage qu’elle souhaitait lui laisser. Pas en termes financiers, s’entend, mais en termes de valeurs et d’exemples. Que voulait-elle transmettre à sa fille, à cette future adulte ? Quelles clefs voulait-elle lui donner ? Contrairement à ce qu’elle-même avait connu, elle ne souhaitait pas que sa fille soit soumise à des injonctions subjectives ou des peurs irrationnelles. En tant que mère, Gwendoline souhaitait laisser le champ libre à son enfant, pour lui permettre de devenir la personne qu’elle déciderait d’être et non pas celle que la société voulait qu’elle soit.

De ces réflexions avaient découlé de nombreux changements dans le style de vie de la toute nouvelle maman. Elle ne pouvait pas tout modifier, mais Gwendoline avait fait un grand tri, prenant conscience que chaque pensée, chaque acte et chaque décision avaient une répercussion sur le quotidien et l’avenir.

Sa bibliothèque avait, en premier lieu, radicalement changé. Elle ne pouvait plus lire de romans glauques, tristes ou parlant de choses moroses car elle s’était aperçue que cela avait un impact sur son moral et sur son énergie. A la place, elle préférait dévorer des biographies inspirantes et motivantes, qui défendaient l’idée que tout était possible à celui qui s’en donne les moyens.

Elle s’était délectée de celles de J.K. Rowling, de Freddy Mercury ou encore d’Elton John. Elle avait adoré lire les trajectoires exemplaires de Nelson Mandela, du Mahatma Gandhi, de Sœur Emmanuelle ou encore de Mère Teresa.

Aujourd’hui encore, Gwendoline adore passer la soirée en tête à tête avec toutes ces vies plus extraordinaires les unes que les autres. Qu’importe le domaine de compétence de la personnalité dont elle dévore l’histoire, ce qui compte, c’est la puissance de leur état d’esprit. A chaque lecture, elle tente de s'imprégner des rouages de leur mentalité, dans l'espoir que cette dernière déteigne sur elle et sur ses routines journalières.

Au cinéma, elle ne manque pas d'aller voir tous les biopics inspirants, de personnalités hors du commun, qui ont réalisé un parcours incroyable. Elle en ressort toujours plus motivée et déterminée à réussir.

Ses nouveaux choix ont engendré de réelles transformations dans son état d’esprit et Gwendoline a troqué son pessimisme d’antan pour une vision plus joyeuse de la vie.

A l'instar de ses artistes fétiches dont elle connait par coeur la vie passionnante, elle aussi veut vivre des choses qui sortent de la banalité. Rien ne la dégrise plus que la perspective d’une existence ordinaire, comme celle de monsieur et madame tout le monde, regardant les années défiler, en attendant la fin. Et pour cela, elle veille à se nourrir de bonnes ondes et pas seulement d’un point de vue alimentaire, mais aussi intellectuel, spirituel et émotionnel.

Depuis qu’elle a rayé de sa vie toutes les sources potentielles de stress comme la télévision, les journaux et la radio avec leur flot d’inepties, de mensonges et de propagande pour une monde toujours plus catastrophiste, elle ne s’en porte que mieux. Son esprit est de plus en plus occupé par des pensées optimistes et par la vision d’un avenir prometteur. Cela contribue à augmenter et à maintenir son énergie élevée.

Au lieu de laisser la conversation avec son amie l’affecter plus longtemps, Gwendoline prend une profonde inspiration et se rappelle que tous ces obstacles sur son chemin ne sont là que pour renforcer sa détermination.

Plus on lui dit non, plus elle se sent emplie d’une nouvelle motivation.

En sortant de sa douche, Gwendoline s’aperçoit qu’elle a un message d’Erwann. Ce dernier lui propose une nouvelle rencontre. En lisant le sms, la jeune femme ne se doute pas une seconde que le photographe a passé une partie de la journée à se torturer l’esprit pour trouver une idée originale pour ce second rencard...

***

Cette après-midi-là, en haut de sa tour d'ivoire, Erwann s'est mis un coup de pression. Bravant sa timidité et son manque de confiance en lui, le photographe a décidé de se lancer et d'inviter la jeune femme le soir-même. Pour marquer le coup, il a pris l’initiative de réserver une table sur une péniche qui fait la traversée de la Loire au coucher du soleil. Un cadre somptueux pour une soirée magique.

Sur le site internet de la compagnie, le repas est annoncé gastronomique, la balade sur l’eau enchanteresse et l’ambiance romantique à souhait. Avec cette soirée, qu’il espère inoubliable, il met les petits plats dans les grands.

Certes, l’objectif premier est de lui montrer les photos en personne pour en discuter mais il est évident que, pour tous les deux, cela cache plus qu’une simple collaboration désormais. Erwann désire à présent la surprendre, voire même l’impressionner un peu. En d’autres termes : la séduire.

En son for intérieur, Erwann espère qu’elle a les mêmes envies et les mêmes attentes que lui. Il a perçu au cours de la soirée de la veille que la modèle avait un certain intérêt pour lui et n’était pas indifférente à ses charmes. Quoique rouillé, il peut encore reconnaître lorsqu’une femme est attirée. Il se met à croire que tout est possible.

Il ne peut pas rêver mieux pour se relancer dans une quête sentimentale. Bien que refroidi par la trahison de sa femme, il sent qu’avec Gwendoline, il peut s’ouvrir à nouveau. Il est temps pour lui de passer à autre chose et de changer son discours intérieur. L’envie est là, tapie au fond de lui, telle une petite graine prête à éclore et à germer pour donner de magnifiques récoltes.

Pour mettre toutes les chances de son côté, dans son message, il lui a expliqué qu’il a fini de retoucher les photos qu’il a présélectionnées et qu’il attend son opinion avec impatience. Craignant de s’y être pris un peu tard et qu’elle refuse son invitation, il lui a proposé de passer la chercher directement chez elle pour l’emmener dîner.

Croisant les doigts, il prie pour une réponse positive.

Dans le cas où elle refuserait son invitation, il retentera sa chance dans quinze jours, bien que l’idée ne l’enchante guère. Il sent déjà que cela lui paraîtra interminablement long.

En attendant la réponse, Erwann se met à douter… Il a peur qu’elle s’imagine autre chose, qu’elle pense que son empressement est d’un autre genre. Lui sait bien qu’il n’en est rien. Aussi séduisante et attirante qu’elle soit, il est hors de question qu’il tente d’aller plus loin ce soir.

Peut-être qu’en la sollicitant ainsi, il a pris un risque mais son instinct l’a poussé à agir.

Son instinct ou son coeur ?

Lorsque Gwendoline lui répond enfin, il prend quelques secondes pour souffler avant de découvrir ce que le message contient…