Chapitre 44 : Sur un pied d'égalité

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— Dis-moi, l’encourage-t-elle avec douceur.

— Je suis fumeur. Et... je sais que tu n’aimes pas ça. J’ai grillé ma dernière clope hier en t’attendant sous le pont. Ensuite, plus rien. J’ai jeté le paquet neuf qu’il me restait ce matin. Mais tu sais… j’ai déjà essayé d’arrêter de fumer par le passé alors… En toute honnêteté, j’ai peur de ne pas réussir, tout simplement. Et, si jamais je n’y parviens pas, j’aurais l’impression de te flouer… Je préférais t’en parler pour ne pas qu’il y ait de… mauvaises surprises.

— Les échecs font partie du chemin… Tomber sept fois, se relever huit, tu connais peut-être cette maxime… Il y a une grande différence entre se donner les moyens de faire quelque chose et rater, et ne rien tenter du tout. Je suis admirative de ton courage et de ta volonté. Comment te sens-tu ?

— Comme un drogué en manque, répond-il avec une grimace. Enfin, j’imagine, je ne me suis jamais drogué, hormis quelques joints quand j’étais ado… Je me sens tendu… mais c'est encore tout récent, donc je ne devrais pas tarder à ressentir les premiers effets, comme récupérer davantage de goût et d'odorat, ou retrouver plus de souffle, tout simplement. Cela me motivera sûrement à ne pas replonger. En dehors de ça, je vais plutôt bien.

Erwann se retient d'évoquer la sensation d’urgence qui l’oppresse par moments, comme s’il avait oublié quelque chose d’important mais dont il ne souvenait plus. Son esprit est parfois occupé par une petite voix qui le rappelle à l’ordre et l’incite à recommencer. Il préfère se concentrer sur les aspects positifs.

Gwendoline ose à peine lui poser la question qui lui vient immédiatement en tête : « pourquoi ? »

Elle croit savoir pourquoi.

Pour qui plus exactement.

Elle se lance quand même, désireuse d’avancer vers plus de sincérité dans leur relation.

— Pourquoi as-tu décidé d’arrêter ?

Honnête, il lui répond sans détour, en toute simplicité :

— Parce que j’ai fait une belle rencontre.

C’est elle désormais qui pose sa main sur la sienne, lui signifiant par ce geste qu’elle comprend ce qu’il veut dire, qu’elle ressent aussi la même chose.

Après un moment de silence où tous les deux savourent ce contact peau à peau, Erwann change de sujet et lui demande, un grand sourire aux lèvres :

— Parle-moi d’Emma.

Ils n’ont pas assez du repas pour se parler de leurs deux princesses. Entre anecdotes et histoires drôles, chacun partage ses petites aventures du quotidien en tant que parent solo. Même si leurs filles ont cinq ans d’écart, elles ont l’air de se ressembler beaucoup et d’avoir toutes les deux une belle âme et une jolie personnalité, d’être gentilles et volontaires.

Arrive le moment du dessert à partager à deux. Le chocolat encore fumant se répand délicatement sur les choux fourrés de crème glacée à la vanille de Madagascar.

— Honneur aux dames, annonce-t-il en lui montrant l’assiette comme si c’était lui qui venait juste de la préparer.

— Par pitié, ne me laisse pas tout dévorer, j’ai une séance photo la semaine prochaine et je ne veux pas avoir l’air d’un éléphant sur les images.

— Promis, dès que tu as commencé, je me jette dessus aussi, conclut-il avec un clin d’œil.

Gwendoline pioche dans la montagne de choux et en prend une belle bouchée, surmontée d’un petit monticule de chantilly.

— Ah oui, mais tu aimes vraiment les profiteroles, en fait ! la taquine-t-il tout en approchant sa main de sa bouche.

Du bout de son pouce, il lui retire une petite trace de chocolat chaud au coin des lèvres et la porte aux siennes, suçotant le nappage sucré.

Ce geste intime surprend agréablement la jeune femme. Elle décide de suivre son élan et lui rend la pareille, portant une pleine cuillère du délicieux dessert aux lèvres du jeune homme. Ce dernier ouvre grand la bouche, lui recommandant de viser juste, pour éviter de lui en mettre dans la barbe, ce qui la fait rire.

Elle s’étonne de la confiance quasi-instinctive qu’il a en elle. Et elle-même est troublée de s’adonner à ce genre de choses avec un homme qu’elle connaît à peine, qu’elle n’a, à vrai dire, pas même embrassé.

Au bout de quelques échanges de cette nature, se donnant mutuellement à manger, ils calent tous les deux et laissent le reste des profiteroles, la glace fondue se mélangeant à la chantilly devenue molle.

De concert, ils refusent le café, prétextant être repus et terminent leur repas en se délectant du paysage nocturne et des illuminations qui défilent autour d’eux.

Erwann lui propose d’aller prendre l’air et de marcher un peu sur le pont du bateau-navette, pour digérer leur copieux repas, ce qu’elle accepte avec joie.

L’atmosphère de la salle bondée où résonne une musique entêtante mêlée aux conversations des convives commence à la saturer. Un peu de d'air frais lui fera le plus grand bien.

Tandis que le serveur vient débarrasser leur table, Erwann passe son bras autour de ses épaules et la conduit aux vestiaires, puis l’aide à remettre son manteau.

Avec délicatesse, il enroule son foulard en cachemire gris autour du cou de la jeune femme qui relève le menton pour lui laisser le champ libre. Le contact de ses mains chaudes sur sa peau la fait frissonner et enflamme son imaginaire. Ses bijoux massifs et élégants brillent de leur éclat argenté, ce qu’elle trouve séduisant et viril tout à la fois.

Elle aime son style, son allure et sa mentalité.

Après avoir relevé le col de son manteau au niveau de ses oreilles, Erwann la prend par la taille et l’attire vers l’extérieur, où quelques personnes fument une cigarette. Il détourne le regard et se concentre sur sa belle, stoïque face aux sollicitations de ses démons intérieurs.

Elle se saisit de sa main et la serre ostensiblement, comme un encouragement silencieux que lui seul peut percevoir.

Erwann la regarde et lui sourit en retour.

Gwendoline imagine très bien ce qu’il peut ressentir à l’instant présent. Le sevrage, elle connaît bien, elle aussi. Pleine d’empathie pour la difficulté dans laquelle il vient de se lancer, elle sait à quoi il est confronté. Qu’importe l’addiction dont il s’agit, changer un comportement toxique du jour au lendemain est toujours une épreuve à surmonter.

Bras dessus, bras dessous, ils marchent silencieusement jusqu’au premier niveau, d’où ils découvrent une vue magnifique sur la Loire éclairée. Les reflets argentés de la Lune viennent se déposer sur l’eau qui, tel un miroir, renvoie l’image tout en rondeur de l’astre de nuit.

Il fait relativement doux ce soir et il n’y a pas trop d’humidité, ce qui rend la traversée sur le pont agréable, surtout après avoir passé deux heures confinés dans une salle surchauffée.

Quelques passants ont eu la même idée qu’eux et traversent le pont dans un silence religieux, désireux de ne pas rompre le charme de cette douce fin de soirée.

S’accoudant à la balustrade, la modèle fait face à son photographe, qui la contemple, hésitant… Après quelques instants, il comprend que c’est une invitation et n’a pas envie de la refuser…

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