Chapitre 47 : Parfait ?

6 minutes de lecture

Camaret-sur-mer, presqu’île de Crozon, 3h57 du matin.

Erwann vient d’appuyer sur « envoi » et balance son téléphone sur le fauteuil en cuir. Rincé, les vertèbres douloureuses d’avoir roulé le corps crispé par l’angoisse, il s’allonge enfin sur le canapé pour quelques petites heures d’un sommeil qui ne saurait être suffisamment réparateur. Son réveil est enclenché et à la première heure, il ira voir sa mère.

Autour de son cou, il s’est noué le foulard en cachemire qu’il portait à son arrivée à la soirée. Ayant eu peur que Gwendoline ne prenne froid en sortant à l’extérieur après deux heures passées dans une salle surchauffée, il le lui avait passé pour la protéger. A présent, le morceau de tissu est imprégné de son odeur envoûtante et Erwann ne peut s’empêcher de plonger le nez dedans pour en respirer le souvenir.

Ses yeux le brûlent d’avoir été trop longtemps ouverts, luttant sur la route pour éviter l’endormissement. Et ses remords ne veulent pas le laisser en paix. Il s’en veut d’être parti aussi vite de la soirée sur le bateau-péniche, même s’il sait qu’il n’avait pas le choix. Son beau-père étant en déplacement dans le sud de la France, sa mère s'était retrouvée seule avec Manon-Tiphaine, lors de son malaise. Il n'était pas envisageable de les laisser sans soutien, quand bien même son retour à Crozon ne pouvait pas plus mal tomber.

Sur la route, armé de son café serré dégoté dans une station-service et de sa fréquence habituelle, RFM, pour l’accompagner, il avait plongé dans ses pensées, sans retenue. Il avait eu de quoi réfléchir avec ce qu’il avait appris ce soir-là, au sujet de Gwendoline.

Les mains sur le volant de sa puissante BMW, la première chose qu’il lui était venue à l’esprit était qu’il avait grandement apprécié sa confession concernant son métier, et le fait qu’elle s’était montrée sincère et franche. Elle n’avait pas tourné autour du pot pour amenuiser l’impact qu’allaient provoquer ses propos et il en avait été soulagé.

Étonnamment, rien de ce qu’elle lui avait confessé ce soir-là ne l’avait perturbé, car Erwann connait la vie. Il sait que parfois nos choix nous blessent mais qu’ils ont une raison. Gwendoline, dont il s’était aperçu qu’elle était une mère dévouée, voulait le meilleur pour sa fille et il le comprenait. Comment aurait-il pu le lui reprocher ? Elle avait préféré offrir à son enfant un train de vie confortable plutôt que prendre le risque de vivre la galère que certaines mères célibataires subissaient.

Rien de ce qu’elle lui avait dit ne l’avait choqué, ni ne l’avait rebuté, pas même ses sous-entendus lorsqu’elle avait précisé qu’elle « ne voulait pas entrer dans les détails, sauf s’il le lui demandait ».

Les choses étaient claires pour lui, la modèle se prostituait.

Même si cette révélation arrivait tôt dans leur histoire, il s’était suffisamment fait un avis sur elle pour vouloir en changer à présent. Il ne pouvait pas balayer d’un revers de la main tout ce qu’elle lui avait montré de sa personnalité.

Et il était maintenant sous le charme, conquis.

Elle était douce, optimiste et souriante. Elle dégageait une belle énergie et était pourvue de précieuses qualités que son activité professionnelle ne pouvait pas effacer.

Erwann était lucide, personne n’était parfait. Lui-même ne l’était pas. Lui aussi préférait taire certaines choses à son propos, comme le comportement lâche qu’il avait eu envers la mère de sa fille durant leur mariage. Lui aussi avait honte de certaines expériences de son passé, comme ce jour où il avait trompé sa deuxième petite amie, Solvène, parce qu’il avait rencontré Alice, celle qui allait devenir sa future femme. Ce n’était pas quelque chose dont il était fier car on lui avait enseigné de belles valeurs à l’égard de la gent féminine mais la chair était faible et la tentation trop grande. Solvène l’avait appris par hasard, en les surprenant sur le fait et avait énormément souffert de les retrouver au lit. Elle avait frôlé la crise d’hystérie et l’avait supplié de la reprendre, se jetant à ses pieds comme une âme en peine. Erwann, convaincu d’avoir rencontré la femme de sa vie et la future mère de ses enfants, n’avait pas daigné l’écouter, ni se montrer patient ou compréhensif, deux traits de caractère dont il se prévalait pourtant.

Un comportement qu’il avait regretté, longtemps après, quand son mariage avait pris l’eau de toutes parts. Il avait alors songé au karma et à sa mauvaise action, qu’il avait l’impression de devoir expier. La trahison de sa femme lui était apparue comme une juste punition pour ce qu’il avait infligé à Solvène, qui ne méritait pas la façon dont il l’avait traitée. Une sorte de retour des choses, par vases communicants.

Alors juger Gwendoline était bien sa dernière idée. Il avait essayé de se mettre à sa place un instant et s’était demandé comment il aurait fait si sa situation financière n’avait pas été aussi facile grâce à sa famille. Peut-être aurait-il lui aussi pris une voie marginale pour vivre plus aisément et mieux s’occuper de son enfant.

Un jour, son beau-père, Yvonnick, lui avait dit : il faut marcher dans les chaussures de quelqu’un avant de le juger. Cette tolérance, c’est ce qu’il avait toujours essayé d’avoir, et à présent, il préfère se concentrer sur les qualités de la jeune femme : son courage, sa détermination et sa volonté à braver les obstacles pour s’offrir une vie confortable.

Tout n’était pas tout blanc ou tout noir. La vie était faite d’une infinité de nuances de gris. Il n’avait pas voulu en savoir davantage, car l’endroit ne lui paraissait pas approprié pour en discuter, mais il se doutait que les raisons de ce choix devaient être multiples. Et complexes.

Une, en particulier, lui était venue à l’esprit. Celle que la jeune femme avait peut-être été abusée dans son enfance ou son adolescence. Il avait déjà entendu parler de ces travailleuses du sexe qui avaient vécu un viol ou une agression sexuelle, et qui, pour reprendre le contrôle de leur corps, avaient choisi de l’utiliser comme bon leur semblait. La prostitution avait été, pour certaines, une forme de thérapie, visant à retrouver le pouvoir qu’elles avaient perdu en subissant la volonté d’un autre. Cela leur avait permis de surmonter partiellement ou de guérir de leur traumatisme.

Prenant conscience de cette possibilité, le photographe s'était fait la promesse de prendre le temps nécessaire avant d’aller plus loin et de lui faire l’amour. Même si l’évènement en question était ancien, il ne voulait pas le réveiller et sentait qu’il était préférable de ne pas mettre le sexe au premier plan dans leur relation naissante.

Il avait remarqué que Gwendoline luttait pour ne rien montrer de ses fragilités, mais Erwann l’avait senti par moments déstabilisée et à fleur de peau. Ses larmes timides lors de ses confessions soulignaient une profonde blessure qui ne cherchait qu’à s’ouvrir pour la libérer. Sa modèle avait beau se montrer forte, ce n’était sûrement que le vernis d’une carapace qu’elle avait dû se forger pour se protéger d’un monde qui l’avait malmenée.

Ne trouvant pas le sommeil malgré la fatigue et la nuit bien avancée, le photographe continue à cogiter et se projette désormais dans le futur. Il sait d’ores et déjà que si Gwendoline décidait un jour de tout arrêter, il serait derrière elle pour la soutenir de toutes les façons possibles, sans lui imposer quoi que ce soit. Ce serait son choix à elle, pas le sien.

Cela allait peut-être rendre leur relation plus compliquée, sauf s'il se montrait patient et compréhensif et prenait tout son temps pour la connaître, avant de la découvrir plus intimement.

Le défi lui plait et il est prêt à le relever.

N’ayant pas été exemplaire par le passé, Erwann a envie de rattraper ses fautes, grâce à une personne qui, à ses yeux, en vaut la peine. Il a envie de l’aider, au même titre qu’elle aussi lui a apporté de nombreux bienfaits. Son entrée dans sa vie s’est accompagnée de changements significatifs et il s'est reconnecté à une belle énergie à son contact. Sans le savoir, elle le porte et lui donne envie de s’améliorer.

Aux premières lueurs du jour, alors que les oiseaux commencent à pépier, Erwann est résolu. Il veut donner une chance à cette histoire, et a envie d’inviter la jeune femme dans sa villa pour faire plus ample connaissance.

A présent, Gwendoline l’intrigue autant qu’elle le fascine.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 13 versions.

Vous aimez lire Caroline Rousseau (Argent Massif) ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0