Chapitre 57 : L’océan
Face à la mer déchaînée, Gwendoline se sent vivante.
L’air marin fait son œuvre de grand et profond nettoyage intérieur. Ce qui ne lui appartient plus s’en va. Ce qui l’encombre est drainé par la houle et semé aux quatre coins. L’iode qu’elle respire renouvelle son oxygène et son corps tout entier est soumis à un nouveau flux vivifiant.
Erwann lui tient la main, s’assurant que le vent ne s’engouffre pas entre eux pour les séparer. Il lui tient la main, parce qu’il tient à elle. Depuis qu’elle est entrée dans sa vie, il respire lui aussi à nouveau.
Elle est son souffle neuf, sa bouffée d’oxygène.
Son invitée nantaise était arrivée, comme convenu, pour le déjeuner, ponctuelle comme à son habitude. Il était venu à sa rencontre sur le chemin dallé bordé de fleurs et lui avait ouvert la portière pour l’aider à descendre. C’est à ce moment-là qu’il avait pris son visage entre ses mains et dégagé quelques mèches de cheveux charriées par le vent. Puis l’avait embrassée longuement, tendrement.
Erwann n’en menait pas large, feignant l’assurance de celui qui maîtrise toutes les situations. Il pouvait pourtant sentir son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Ses jambes flageolantes semblaient vouloir se dérober sous lui.
Collée contre son torse puissant, peut-être Gwendoline s’en était-elle rendue compte ?
Elle aussi était fébrile en descendant de la voiture, ayant passé les trois heures et demi de route à se repasser en boucle les images du début de leur histoire, au son envoûtant d’Evanescence, "My immortal". Les yeux fixés sur la route, son esprit, lui, ne tenait pas en place et voguait vers d’autres horizons. La peur au ventre tout au long du trajet, Gwendoline s'était demandée comment leur premier week-end de trois jours allait se dérouler, s’inquiétant de ne plus retrouver la magie de leur rencontre, dans un cadre différent.
Mais la magie opérait toujours depuis son arrivée et ses doutes avaient fondu lorsque Erwann avait posé ses lèvres sur les siennes, comme une évidence, après ces deux semaines de séparation.
Il lui avait souhaité la bienvenue en présentant la large bâtisse derrière lui d’un grand mouvement du bras.
Ses grands yeux verts s'étaient écarquillés de plaisir en découvrant la ravissante demeure ancienne, complètement rénovée. Au premier coup d’œil, la propriété lui avait parue grandiose et pleine de charme à la fois. Sous les yeux ravis d’Erwann, elle était tombée en admiration devant cette somptueuse villa pleine de caractère. Avec ses belles façades en pierres brutes recouvertes de lierre grimpant, l’habitation avait un cachet indéniable, une identité propre.
Erwann lui avait expliqué que cette maison appartenait à sa famille paternelle depuis plusieurs générations. Malgré les nombreuses années qui s'étaient écoulées, l’endroit n’avait pas souffert du passage du temps. Au contraire, la demeure avait bénéficié de nombreuses améliorations intérieures, de divers travaux de remise à neuf pour l’électricité et la plomberie, et de plusieurs agrandissements. On y trouvait désormais tout le confort d’une habitation moderne en plus de son charme pittoresque, typique de la presqu’île.
Le terrain alentour n’était pas en reste et était entretenu avec soin, comme Gwendoline avait pu le constater en posant son regard sur les espaces verdoyants et fleuris, magnifiquement agencés. Un homme d’un certain âge était justement en train de tailler une haie et les avaient salués lorsqu’il les avait aperçus.
— Roger, avait alors précisé Erwann en lui rendant son salut. C’est le jardinier et avec l’arrivée du printemps, il ne chôme pas. Il possède des mains en or et transforme n’importe quel bout de terre laissé en jachère en jardin versaillais.
Ainsi, avait-il un jardinier, et probablement d’autres personnes à son service, avait noté Gwendoline intérieurement. Conquise par ce qu’elle avait découvert au fur et à mesure de sa visite, elle était enchantée par le dépaysement que lui offrait sa nouvelle villégiature, tout en contraste avec l’ambiance citadine qu’elle avait quittée quelques heures plus tôt.
Au comble du bonheur, elle avait ensuite aperçu la vue dégagée sur la mer et apprécié le bruit des vagues non loin, ainsi que le passage des mouettes au-dessus de leurs têtes.
Puis, Erwann l’avait escortée jusqu’à la maison, se chargeant de sa valise et de son grand sac duquel émergeaient un ciré bleu marine et des bottes de pluie Aigle toutes neuves.
Voyant l’heure du déjeuner bien avancée et son visage légèrement fatigué par le trajet, il l’avait emmenée manger au restaurant pour leurs retrouvailles.
Ensemble, ils avaient partagé et dégusté un savoureux plateau de fruits de mer et une tarte tatin en dessert. Gwendoline avait repris des couleurs et de la vitalité. Après le café, Erwann avait réglé la note et lui avait proposé une balade digestive, qu’elle avait accepté avec joie, ravie de pouvoir redécouvrir cette région qu’elle aimait tant.
En sortant du restaurant, ils étaient tombés nez à nez avec un des meilleurs amis d’Erwann, Quentin, ainsi qu’il lui avait été présenté. Gwendoline se souvenait de lui, car Erwann lui en avait déjà parlé à l’occasion. C’était son tatoueur, ce qui n’était pas difficile à deviner car lui aussi possédait une belle collection de dessins encrés sur ses avant-bras dénudés, ainsi que sur ses mains et ses doigts. Ses yeux étaient cachés derrière une paire de lunettes de soleil Ray-Ban et il portait un casque de moto à la main.
— Gwendoline, enchantée, avait dit la jeune femme en lui tendant une main qu'il avait serrée sans enthousiasme.
Quentin l’avait dévisagée avec un certain mépris doublé d'une indéniable férocité, lorsqu’il avait ôté ses lunettes pour mieux la regarder fixement. Elle avait senti poindre chez lui une réelle hostilité, notamment, lorsqu’il lui avait demandé :
— On se connaît, non ?
— Ah ? euh… non je ne crois pas, avait-elle répondu, légèrement sur la défensive.
— Je t’ai déjà dit que tu avais dû la voir sur sa page Facebook ou sur son profil Instagram, avait persiflé Erwann, entre ses mâchoires serrées.
Il était aussi interloqué que Gwendoline par la réaction cavalière de son ami, à la limite de l’irrespect. Ses yeux avaient viré au noir et la jeune femme l’avait senti bouillir de l’intérieur, sous son calme apparent. Son attitude lui avait rappelé celle qu’il avait eue lors de leur altercation avec Jérémy, avant que ce dernier ne finisse par se rétamer au sol comme une crêpe.
Malgré les avertissements silencieux de son ami, Quentin n’avait pas changé de comportement et était resté distant et froid comme un bloc de glace.
— Si tu le dis, Gaz, ça doit-être ça. Je vous laisse, de toute façon, j’ai des choses à faire. Il y en a qui doivent bosser. Tout le monde n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, ou avec d’autres sortes de… facilités. Et puis, vous devez avoir beaucoup de choses à vous dire…
Quentin les avait plantés comme deux piquets dans un champs, avant d’enfourcher son énorme cylindrée noire et rugissante et de s’évaporer dans un nuage de fumée.
— C’était quoi ce sketch, sérieux ? s’était écrié un Erwann, ulcéré, en direction de la machine pétaradante qui s’éloignait déjà.
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