Chapitre 67 : Le Petit Minou

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Après avoir roulé une demi-heure dans la campagne et serpenté sur les routes sinueuses, longeant une mer peu agitée, Gwendoline et Erwann arrivent au port du Fret, au nord de la presqu’île, juste à temps pour grimper à bord de la vedette faisant l’aller-retour entre Crozon et la rade de Brest.

L’ambiance est au beau aujourd’hui, ce qui tranche avec le ciel sombre de la veille. Mais le photographe l’a prévenue d’un retour des orages avec la marée, en ajoutant, énigmatique, que cela n’en rendra leur expédition que plus savoureuse.

Gwendoline peine à le regarder en face lorsqu’il vient lui ouvrir la portière, mais Erwann, toujours aussi galant, lui tend la main en souriant, pour l’aider à descendre. Son attitude courtoise et naturelle incite la nantaise à passer outre son horrible moment de gêne, celui où elle s’est aperçue qu’il l’avait surprise en train de se masturber. A priori, rien ne semble faire trembler les fondations du beau breton, affichant quoi qu'il arrive cette nonchalance qui lui est propre. Il doit lui en falloir beaucoup à celui-là pour être troublé, ou pour le faire sortir de ses gonds, pense-t-elle, amusée. Mais, cela dit, c’est une des choses qui l’ont séduite dès les premiers instants.

La jeune femme se demande si cette décontraction et cette assurance ne lui servent pas d’armure, une carapace derrière laquelle il se rabat pour ne rien laisser paraître de ses émotions. Erwann ne se laisse pas facilement décontenancer, et elle ne sait pas à cet instant précis, si c’est une bonne chose ou une mauvaise pour elle, qui avait pour projet de lui faire tourner la tête…

A l'embarquement, le photographe a déjà les tickets en main et la conduit à l’intérieur de la navette, dans l’espace protégé des vents et des courants d’air, ainsi que des éclaboussures de l’océan. Assis côte à côte sur leur fauteuil en plastique, serrés l’un contre l’autre pour se tenir chaud, ils attendent le départ annoncé par le signal sonore caractéristique des bateaux quittant le port.

Au bout de quelques minutes, dans un roulement sourd, le Brestoa se met en branle et prend doucement le large tandis que Gwendoline regarde avec émerveillement les côtes s’éloigner peu à peu. Une mer d'huile, calme et limpide, leur tend les bras. Les paysages marins, avec leur étendue de bleu à perte de vue, l’ont toujours fait rêver.

Intriguée par l’endroit où il l’emmène, Gwendoline regarde tout autour d’elle en quête d’un quelconque indice. Gardant la destination secrète, Erwann refuse catégoriquement de révéler quelques informations à son invitée, qui s’impatiente de découvrir le fameux lieu magique.

« Magique », avait-t-il dit, comme dans ses souhaits. Elle se souvient avoir demandé maintes fois à l’Univers de lui envoyer un homme qui la fasse rêver et apporte de la magie dans sa vie. Elle veut qu’on la surprenne et qu’on enchante son quotidien. Elle n’a jamais aspiré à la sécurité d’une petite vie plan-plan et désire vivre des choses excitantes qui la font vibrer. Tout porte à croire qu’elle est sur le point d’être exaucée.

Voyant que la jeune femme s’agite, Erwann lui murmure à l’oreille :

— Encore un peu de patience, ma belle, on arrive bientôt et je te promets que tu ne seras pas déçue.

Ses yeux verts, dont la pupille se rétracte en pleine lumière, brillent telles deux émeraudes précieuses. Observant l’enthousiasme qu’elle contient depuis leur départ de la villa, il passe son bras par-dessus son épaule, la rapproche de lui pour la serrer plus fort, puis lui embrasse la tempe, un geste délicat que la modèle adore. Mais, à vrai dire, il n'y a pas grand chose qu'elle n'aime pas chez lui...

Elle est heureuse et cela se voit.

Le bateau fait une première escale à l’Océanopolis de Brest que Gwendoline connaît un peu pour y avoir déjà emmené sa fille. Puis reprend la mer et poursuit sa course jusqu’au terminus, celui de la gare, quelques minutes plus tard. Le mystère reste entier.

Au sortir du Brestoa, Erwann hèle un taxi et annonce une destination à laquelle elle n’entend rien.

« Le petit Minou », voilà où il l’emmène.

Perplexe, elle le regarde avec ses yeux de biche pour essayer d’en savoir plus mais il reste muet comme une tombe. Cette fois, c’est le conducteur qui lui ouvre la portière et la referme derrière elle, tandis qu’Erwann s’installe à ses côtés par l’autre entrée. Il glisse sa main dans la sienne et lui sourit, amusé de la savoir en proie aux interrogations concernant leur destination finale. Ensemble, ils observent le paysage de la côte défiler et se repaissent de cette beauté presque irréelle, de cette lumière qui transpercent les nuages gris s’amoncelant au-dessus de leur tête. Le soleil a à nouveau laissé place à un ciel sombre et à des rafales de vent de plus en plus fortes.

Le photographe s’en réjouit, cela sera encore plus apprécié là où ils seront pour la nuit.

Lorsqu’ils arrivent à proximité du lieu, Erwann regarde la jeune femme et lui fait un mouvement de la tête en direction d’un haut bâtiment en vue, droit devant eux et elle se penche vers le siège avant pour voir l’endroit indiqué. Son regard s’arrête sur un paysage de carte postale qu’elle connaît bien car il est collé sur son frigo depuis des années. Dubitative, elle interroge :

— Un phare ?

— On dirait bien oui, répond-il avec un clin d’œil.

La voiture s’arrête et l’homme au volant en descend puis ouvre la portière de la jeune femme, décontenancée par sa découverte, mais agréablement surprise par les lieux.

— Merci, ajoute Erwann à l’intention du chauffeur de taxi, vers lequel il se tourne pour payer la course. On y va ? demande-t-il à Gwendoline qui se tient droite, le regard tourné vers l’édifice maritime, les deux mains jointes au-dessus de ses yeux, pour se prémunir de la luminosité du jour.

Le phare se dresse, majestueux et sublime, au bout d’un ponton en pierre, le reliant à la terre ferme.

— C’est magnifique, dit-elle, conquise.

— Attends, ce n’est pas fini, ajoute-t-il en avançant et en lui tendant la main, avec un signe de tête l’invitant à le suivre.

Ils longent le pont en pierre, chahutés par quelques bourrasques, annonciatrices d’une météo moins clémente dans les heures à venir. Au bout de la traversée, ils tombent nez à nez face à une porte close. Erwann tape deux coups assez forts qui résonnent sur le métal dans un bruit assourdissant très désagréable.

Apparaît alors un vieux monsieur, muni de sa canne noire, d’un bonnet de pêcheur bleu marine sous lequel un visage brun, tanné par des années au soleil, se dessine.

— Salut Gaston. Comment vas-tu ? s’enquiert Erwann comme si le vieux bonhomme faisait partie de sa famille et qu’il le connaissait depuis toujours.

Ce qui s’avère en fait être le cas, comme le découvre Gwendoline lorsqu’elle lui est présentée.

Devant son visage incrédule, Erwann lui explique que Gaston est son grand-oncle, un ancien officier de la marine marchande, aujourd’hui gardien officieux du phare du Petit Minou.

— Un gardien pour la forme car le site est automatisé depuis des années et plus personne n’y travaille, précise le vieux bonhomme en tirant sur la pipe qu’il vient d’allumer.

— C’est génial, intervient la jeune femme, enchantée.

— Je possède les clefs, mais je ne fais que surveiller, ajoute-t-il en faisant teinter un gros trousseau auquel sont suspendues tout un tas de vieilles breloques à l’apparence rouillée.

Voyant le visage de la jeune femme toujours aussi circonspect, Erwann explique que l’édifice est inscrit au patrimoine de l’Unesco et que le lieu se visite dans l’année, aux périodes d’ouverture, principalement à la belle saison, entre mai et octobre.

— Gaston a été mandaté par la commune de Plouzané pour s’assurer que le public trouve et quitte le phare en parfait état, explique Erwann. La saison n’a pas encore commencé mais…

— J’y fais des rondes de temps à autre, le coupe l’ancien pêcheur, un tantinet bourru. Et je viens faire ma petite inspection quand ça me chante, conclut-il dans un nuage de fumée.

Grâce à son complice malicieux, Erwann a décidé d’offrir à sa belle une expérience mémorable qu’elle n’oubliera pas de sitôt. Haut de vingt-six mètres, le phare a un point de mire exceptionnel sur la rade de Brest, dans le goulet de l’océan Atlantique, que Météo France prévoit déchainé pour la nuit à venir. En plein week-end de grandes marées, le lieu sera idéal pour y passer deux nuits agitées au cœur de la tempête qui s’annonce, sans risque pour leur sécurité. La seule question qui vient en tête d'Erwann est : de quelle agitation va-t-il s'agir ?

— Et nous, on dort ici ce soir, annonce-t-il à une Gwendoline, qui en reste coite.

La jeune femme a l’impression de rêver… Erwann savoure sa petite victoire.

— On dort ici ce soir ? répète-t-elle, encore sous le choc de cette merveilleuse nouvelle, tandis qu’Erwann referme la lourde porte d’entrée, après le départ de son grand-oncle.

— Yep !

— Je n’ai rien pour me changer.

— J’ai prévu ce qu’il te faut, la rassure-t-il, en lui désignant le sac à dos qu’il a l’habitude d’emporter partout et qui contient toujours un appareil photo, au cas où.

Elle saisit ledit sac et fait un inventaire rapide de son contenu : démaquillant, coton, crème de nuit, brosse à cheveux et une tenue de rechange. Pas de pyjama.

— Pas de pyjama ?

— Pas besoin.

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