Un vernissage inattendu

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Il était 9 heures du matin lorsque mon réveil résonna de son bruit strident. Le jour était déjà bien avancé, et seul le bruit assourdissant de l'alarme réussit à me tirer de mon sommeil profond. Je me sentais faible, groggy. La lumière du jour perçait à travers les rideaux, irritant mes yeux. Mon estomac criait famine, me rappelant la fin de la soirée passée. La honte marqua son retour dans tout mon être, un frisson parcourut mon dos.

Soudain, il y eut un léger coup à la porte. Mon mal de tête résonnait, rendant le moindre son douloureux.

  • Je vais rester au lit. Je suis totalement claqué, Adam, gémissais-je.

La porte s'ouvrit doucement, et je tournai la tête pour voir Julie se tenir dans l'encadrement. Elle avait un donut et une tasse de café. Son sourire amusé était le bienvenu, et elle me tendit ce petit-déjeuner béni des dieux.

  • Tu ne m'as pas laissé de mot pour que je rentre chez moi, alors je suis restée ici pour veiller sur toi, me confia-t-elle, laissant transparaître sa bonne humeur.
  • Merci, balbutiai-je en prenant la tasse de café tiède et le donut aux confettis multicolores. Tu as passé la nuit ici ?

Julie hocha la tête.

  • J'ai dormi sur le canapé, et Gwen a été ramenée chez elle par Matthew et Chloe. J'ai passé la nuit à veiller sur toi, tu avais l'air vraiment mal hier soir.

Elle s'était inquiétée pour moi ? C'était la première fois, en dehors de ma mère, que quelqu'un se souciait de mon bien-être.

  • Eh bien, que veux-tu faire aujourd'hui ? demanda-t-elle.
  • Je n'en ai aucune idée. Je vais probablement me terrer dans ma chambre pour l'éternité.

Julie secoua la tête.

  • Non, non, non. Je te propose de m'accompagner à un vernissage en fin de journée. Je suis disponible aujourd'hui, alors nous pouvons la passer ensemble, puis nous irons voir les nouvelles oeuvres d'art à l'évènement. Ce sera probablement organisé par un pseudo-artiste qui réfléchit à la façon dont le monde tourne, ajouta-t-elle en riant.
  • D'accord. Mais je n'ai rien à porter pour ce genre d'endroit.
  • Qui t'a dit que tu avais besoin d'une tenue particulière ? Nous n'allons pas jouer les mannequins bien habillés. Nous irons simplement en tant qu'amis à un vernissage.

"En tant qu'amis", c'était clair. Nous étions simplement des amis, rien de plus. La petite voix dans ma tête qui avait osé espérer autre chose en pris un coup. Je devais me rappeler de ne pas me faire d'illusions. Elle s'était simplement inquiétée de ma réaction honteuse à l'égard de la bière. Rien de plus.

Nous décidâmes de passer la journée à regarder des films, et quand je dis "nous", je veux dire qu'elle choisit. C'était un film mettant en scène deux personnes diamétralement opposées qui, bien sûr, tombaient amoureuses lors d'une rencontre miraculeuse. Une histoire peu crédible que je détestais, mais elle semblait l'adorer, et si cela lui plaisait, cela me convenait. Je voulais la remercier de m'avoir aidé après ma fin de soirée désastreuse. Je ne l'aurais jamais imaginée apprécier ce genre de films clichés. La journée passait, et nous en étions déjà à notre troisième film. Trois longs métrages, tous avec la même conclusion : "Ils vécurent heureux jusqu'à la fin de leurs jours," ou quelque chose du genre...

  • Il va falloir y aller, dit-elle en vérifiant l'heure sur son téléphone. Le trajet jusqu'à l'évènement prend environ une demi-heure.
  • Où se déroulera-t-il ? demandai-je.
  • À la Galerie Bartoux à Central Park.
  • Ah... Es-tu sûre que ma tenue ira ? dis-je en regardant mon t-shirt du film Aliens.
  • Bien sûr, ça ira très bien. Personne ne te fera de remarque sur ton t-shirt, si c'est ce qui te préoccupe. D'ailleurs, je l'aime bien, moi.

Nous prîmes donc la direction du vernissage, prêts à découvrir un nouveau pan de la culture moderne et branchée que je ne connaissais pas. Je n'étais pas habitué à sortir, encore moins à me rendre dans ce genre d'endroit, alors je me laissai guider par Julie, qui savait exactement où nous allions.

La salle d'art avait une apparence plutôt ordinaire, du moins par rapport à l'idée préconçue que j'avais d'un lieu comme celui-ci. Des tableaux étaient accrochés aux murs, et quelques sculpture occupaient l'espace entre les allées. Les murs étaient d'un blanc immaculé, sans doute pour mettre en valeur les œuvres, mais cela leur conférait une impression de vide et de monotonie qui ne m'inspirait guère. Je n'éprouvais aucune émotion en regardant les tableaux, et il semblait que je n'étais pas le seul, car Julie passa devant chaque toile avec une expression imperturbable. L'ennui commença à me gagner, et je me surpris même à bailler.

Un couple relativement âgé vint à notre rencontre. Ils étaient aux antipodes de notre style vestimentaire. La femme portait une longue robe noire probablement issue d'un grand couturier, ainsi qu'un sac en cuir estampillé Chanel. Il n'y avait aucun doute que ce n'était pas une contrefaçon. L'homme, quant à lui, arborait un costume sur mesure d'une sobriété typique d'un homme d'affaires ou d'un politicien. Ils n'avaient rien en commun avec moi sur le plan social, ils transpiraient la bourgeoisie.

  • Où étais-tu ? interrogea la femme en regardant vers moi.

J'étais déconcerté et ne comprenais pas pourquoi elle me posait une question si directe et cinglante.

  • Bonjour, maman, répondit Julie à mes côtés.

Je la fixai complètement incréduble. Je me trouvais face à ses parents, alors que j'étais vêtu de façon négligée, ne respectant clairement pas le code vestimentaire de cet endroit.

  • Tu n'as pas donné de signe de vie de la semaine, ajouta la femme, toujours aussi froide.
  • Je travaillais et j'étais occupée. Je vous présente Marc. Marc, voici mes parents.

Je n'eus pas le temps de répondre que sa mère continua sur le même ton.

  • Tu aurais pu nous appeler, reprocha-t-elle, sans même jeter un regard dans ma direction.

Je me sentais complètement déplacé, clairement hors de ma zone de confort, et les parents de Julie n'avaient aucun scrupule à me le faire sentir. J'ai pris la décision d'aller chercher deux coupes de champagne pour m'éloigner au plus vite de ces individus manifestement hostiles.

Un quart d'heure plus tard, Julie me rejoignit près de la table où j'attendais. J'avais fait le tour du vernissage deux fois déjà et j'avais décidé de patienter en grignotant quelques hors-d'oeuvre qui m'intéressaient bien plus que les oeuvres d'art exposées. Il aurait fallu me verser une certaine somme pour que je ramène l'une de celles-ci chez moi.

  • Désolée pour la rencontre avec mes parents et surtout pour leur comportement. Ils ont souvent tendance à se croire au-dessus des New-Yorkais, surtout si vous n'avez pas une Rolex à chaque poignet, s'excusa visiblement embarassée.
  • Peut-être que j'en avais une, après tout, dis-je en riant.
  • Ce serait impossible à cacher, ils ont des yeux de lynx. Tu n'aurais aucune chance. Veux-tu rentrer boire un verre chez moi ?
  • Tu veux me faire boire ? Hier soir ne t'a pas suffi comme leçon ?
  • J'ai du Pepsi, proposa-t-elle.
  • Ça me convient parfaitement.

J'ai ouvert la porte ordinaire de cet endroit tout aussi banal avec un plaisir dissimulé. Je pris un grand bol d'air frais.

  • Et tu habites où, au fait ?
  • Non loin d'ici, à cinq minutes à peine, répondit-elle.

Nous étions près de Central Park, dans l'Upper East Side, et elle venait de lâcher une bombe. Elle habitait dans l'un des quartiers les plus riches et les plus prisés de la ville.

  • Tu habites dans l'Upper East Side ? demandai-je encore sonné.
  • Oui, mes parents possèdent un immeuble, alors j'ai un petit appartement au premier étage, avoua-t-elle en rougissant.

Après cinq minutes de marche, nous arrivâmes devant un charmant immeuble de quatre étages. Sa porte ornée d'une poignée dorée avait fière allure, donnant l'impression d'un accueil chaleureux. Des lumières brillaient dans chaque étage, et les fenêtres grandes et élégantes, affichant un luxe que mes modestes carreaux ne pouvaient rivaliser.

Nous entrâmes dans le hall principal, où un plancher en chêne ciré était agrémenté d'une moquette rouge centrale. Un grand escalier en fer forgé aux détails délicats nous menait à l'étage supérieur. Il ne s'agissait pas simplement d'un immeuble ordinaire, mais d'une résidence noble. Cette impression se renforçait avec les tapisseries qui ornaient les murs et les lustres en cristal soigneusement disposés pour éclairer uniformément le couloir. Je suivais Julie en silence jusqu'au premier étage, où deux portes disctintes se présentaient à nous. La première était semblable à la porte d'entrée, avec les mêmes ornements délicats. La seconde, en revanche, avait des autocollants qui semblaient ternir sa noblesse. Julie l'ouvrit sans hésitation.

  • Bienvenue chez moi, dit-elle.

Nous pénétrâmes dans un salon lumineux, baigné par la lumière naturelle qui inondait la pièce à travers de grandes fenêtres. Une télévision était accrochée au mur, à côté de quelques étagères remplies de livres. En face, un canapé en velours orné de coussins trônait avec deux couvertures moelleuses. À gauche, deux portes étaient fermées, l'une d'entre elles était marquée "WC" en lettres dorées. À droite, une cuisine était ouverte sur le salon. Enfin, une dernière porte, cette fois vitrée, située près de la cuisine, donnant sur un petit escalier qui menait à une cour intérieure isolée du tumulte de la ville. Un petit coin intime que de nombreux New-Yorkais auraient rêvé de posséder.

  • Un Pepsi, du coup, me dit-elle en se dirigeant vers la cuisine.
  • Oui, je veux bien.
  • Je suis encore désolé pour mes parents, reprit-elle. Ils sont très maniérés. Disons que si tu ne fais pas partie de l'élite, tu n'existes pas à leurs yeux. Je n'existe plus trop non plus, d'ailleurs.
  • J'aurais préféré être le serveur, dis-je en regardant une vieille Une de journal encadrée sur le mur. Ce n'est pas trop difficile de porter ton nom par moments ?
  • Oui, c'est le cas, confirma-t-elle. J'ai de nombreuses portes qui me sont ouvertes non pas en raison de mes compétences et capacités. Je veux prouver au monde que je suis une bonne journaliste et non simplement l'héritière d'un nom. Dès que je dis comment je m'appelle, le comportement des gens change, sauf le tien, ajouta-t-elle en revenant dans la pièce.
  • Ah bon ?
  • Oui, tu me regardes différemment.
  • Comment je te regarde, alors ?
  • Comme cela, dit-elle en me tendant mon verre. Des bulles, mais pas d'alcool, je te promets.

Elle se dirigea vers une petite chaîne hi-fi et y mit de la musique douce et apaisante qui emplit la pièce, déjà très accueillante. La douceur de son visage semblait s'accentuer dans cet endroit idyllique pour un jeune étudiant clairement fauché de Lower East Side.

  • Tu es magnifique, laissai-je échapper sans m'en rendre compte.

Trois mots qui en disaient beaucoup sur ma pensée. Je me sentais terriblement gêné par la révélation que je venais de faire. Il n'y avait pourtant plus une seule goutte d'alcool dans mon organisme. Pourquoi avais-je laissé échapper ces quelques mots ? Elle se figea un instant, me regardant avec un léger sourire. Puis elle répondit, un simple mot.

  • Merci.

Je me demandai ce que je venais de faire ou de dire. Je n'aurais pas dû. Cette soirée passée me l'avait encore prouvée. Nous venions de deux mondes incroyablement différents. Elle était de l'Upper East Side, et j'étais un pauvre type de Danbury qui ne connaissait rien à la vie. Ces différences ne se limitaient pas à ces villes, elles reflétaient également des styles de vie diamétralement opposés. Je restai debout, immobile, mon verre à la main, le regard perdu dans le vide, craignant de croiser son regard.

Elle retira son manteau pour le suspendre près de la porte d'entrée, retira ses talons hauts, puis se dirigea vers le canapé.

  • Tu peux venir, tu sais, je ne mords pas, dit-elle.

Je quittai mes pensées pour prendre place à mon tour sur le canapé douillet. Cependant, fidèle à ma nature, je me retrouvai vite à court de mots et d'actions. L'appréhension m'envahissait de plus en plus. Malgré la musique douce, mon coeur battait la chamade, étouffant tout autre son.

  • Donc, je suis magnifique, dit-elle avec amusement. C'est-à-dire ?

"C'est-à-dire ?" Voulait-elle que je m'explique d'avantage ? J'avais déjà révélé une pensée qui m'avait habitée depuis notre rencontre, et je me sentais vulnérable en sa présence. Je n'étais pas comme Adam, capable de répondre avec assurance et peut-être avec un peu de flatterie. Non, j'étais simplement moi.

Après quelques secondes qui semblaient durer une éternité, j'osai enfin parler. Je choisis d'être honnête, de ne pas inventer de mensonges, car ce n'était pas dans ma nature.

  • Je ne sais pas trop comment l'exprimer.
  • Essaie, me pressa-t-elle.
  • Ce qui fait que tu es magnifique à mes yeux, c'est la manière dont tu me regardes. La façon dont tu regardes le monde, sans préjugés ni retenue. Tu ne veux de mal à personne, tu ne juges pas.
  • Donc, ce n'est pas une question de physique ? demanda-t-elle.

Je me sentis pris au dépourvu par cette question inattendue. Personne ne m'avait jamais préparé à répondre à une telle question. Mon père, qui brillait par son absence, ne m'avait pas enseigné comment gérer de telles situations.

  • Euh, ben...
  • Je plaisante, Marc, dit-elle.

Heureusement, elle ne prit pas ma gêne au sérieux. Mais je ne savais pas quoi dire de plus à ce moment-là. Pourquoi avais-je choisi de dévoiler mes sentiments ? J'étais vraiment maladroit.

Elle me poussa doucement contre le dossier du canapé, face à elle. Qu'était-il en train de se passer ? Elle écarta légèrement ses jambes, la jupe remontant près de ses hanches. Nos regards se croisèrent. J'étais paralysé, incapable de bouger. J'observai ses yeux ambrés. Elle posa ses mains sur mes épaules.

  • Qu'est-ce que tu...

Elle posa son doigt sur mes lèvres pour me faire signe de me taire. La musique enveloppait la pièce, la lumière s'atténuait, nous laissant sur le canapé, plongé dans la pénombre. Je ne savais pas comment réagir. Elle rapprocha son visage, ses lèvres se posèrent sur les miennes. Je restais immobile, partagé entre la peur et l'excitation. Etait-ce réel ? Sa peau rencontra la mienne. Elle était douce et chaude. Sa main glissa de ma nuque dans mes cheveux, et naturellement, je posai la mienne sur sa hanche.

Je goûtais à ce délice sucré, à ce fruit défendu. Elle s'interrompit et me fixa. Avais-je commis une erreur ? Mettais-je mal pris ? Mon coeur battait à tout rompre, la musique n'était plus qu'un murmure au loin. Je brûlais du désir de l'embrasser à nouveau, de caresser sa peau, de me perdre dans le parfum enivrant qu'elle portait, de passer la nuit à ses côtés. Une nuit de passion, de complicité, peut-être de pêchés partagés par deux jeunes issus de milieux si différents.

  • Veux-tu... commença-t-elle.
  • Oui, répondis-je, encore sous le charme.
  • Un autre verre, acheva-t-elle, amusée par ma confusion.
  • Euh, oui je veux bien, dis-je déconcerté.

Un simple baiser avait déjà fait naître en moi des pensées de passer la nuit ici. Qu'était-elle en train de penser à cet instant ? Pourquoi m'avait-elle embrassé ? Etait-ce un moyen de me remercier pour le compliment maladroit que j'avais formulé ? Cela semblait peu probable. Ces mots étaient dignes d'un enfant de cinq ans qui complimente sa maîtresse sur sa beauté. C'est ainsi que je me percevais en sa présence, un jeune homme campagnard ignorant des complexités de la vie, tandis qu'elle était citadine, expérimentée dans les mystères de la ville.

Je sortis mon téléphone. Cinq appels manqués de ma mère. J'ouvris Messenger, et il n'y avait qu'une personne qui pouvait me conseiller, pour le meilleur ou le pire : Adam.

Mec, Julie vient de m'embrasser. Qu'est-ce que je devrais faire ?

Ma bouée de sauvetage se devait d'être Adam. J'avais une confiance aveugle en sa capacité à me conseiller. J'espérais une réponse rapide de sa part. Julie réapparut dans le salon, tenant mon verre à la main. Mon téléphone vibra. Un message : "FAIS-LE". C'était amusant, car je n'avais jamais embrassé une fille auparavant, et voilà qu'Adam me poussait à franchir le cap.

Je me levai, le coeur battant, fébrile. Je pris le verre qu'elle me tendait, le déposai sur la table basse, puis me tournai à nouveau vers elle pour l'embrasser une seconde fois. Elle mordilla doucement ma lèvre inférieure tout en me guidant vers sa chambre. J'entrai dans cette pièce, le ventre noué, à peine capable de croire à la réalité de la situation.

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