Confession
Protocoles activés. Vous pouvez nous exprimer une sensation ?
« Heu… je me sens… faible, comme s’il manquait une partie de ma masse musculaire. Mon corps flotte bizarrement. »
C’est normal, vous devriez vous y accoutumer dans une minute. D’autres sensations ?
« Une gravité anormale. Changeante. »
Réajustement.
« C’est bon, j’ai l’impression que le haut et le bas se sont stabilisés. »
Bien. Êtes vous à l’aise madame ?
« Ça va. »
Le monde prit des couleurs, vagues, diffuses, tout comme l’était la silhouette curieusement blanchâtre du sacristain.
« Revenons rapidement sur les points centraux. Fixez un contexte et une image pour moi, voulez vous ? N’importe quel contexte pour l’instant.
- Je vais essayer. »
Les premières images à apparaitre furent un fourmillement humain d’uniformes blancs, de bérets et de logos minimalistes peints sur des badges de promotion. Tout était de noir et de blanc, et des écrans faisaient fuser des quintillions de mégaoctets de données brut résumées sous forme de symboles éclectiques.
« Pouvez vous me résumer le contexte madame ?
- C’est la fin de l'école d'officier. J’ai été parmi les dix premiers au concours des premiers rangs de la marine du commonwealth. J’ai été incroyablement fière ce jour là. J’ai célébré avec des amis en faisant un jeu de métacryptage avec près d'une vingtaine de participants. Je crois que les images sont un peu mélangées, et je ne reconnais aucun visage.
- L’année où vous avez passé le concours était la première année où il était ouvert aux non-humains, non ?
- Effectivement. Je me souviens qu'Aldrazarxès, un de mes amis d’enfance était arrivé juste après moi. Il a été le premier de la race Endyoscorus à obtenir un rang d’officier dans la flotte. Pour lui c'était la preuve ultime que même sans être un humain, il faisait partie de l'humanité. »
Et comme elle disait cela, la forme d’un être semi-bipède dont le corps aplati présentait un cuir gris sur le dos et une fourrure rosée sur l’avant apparut devant elle, agitant des tentacules faciaux pour exprimer sa joie. Un reflet de la jeune officière discutait avec lui, remuant une tablette de métacryptage pour lui proposer une partie.
« Je vois que vous êtes acclimatée au système. Nous allons pouvoir en venir à ce qui nous intéresse. Je vous laisse me l’exprimer avec vos mots et vos images. »
Angevine laissa un silence s’installer, silence qui se retranscrit aussi visuellement par une disparition graduelle de l’image et des couleurs au profit d’un gris métallisé qui finit par envahir tout l’espace.
« J’ai servi dans la marine pendant un certain temps. » finit-elle par dire, et la structure des machineries, cogitateurs et télécrans d’une salle de commandement de la marine commença à se dessiner dans l’horizon maintenant gris bleu. « Ma première campagne fut contre les pirates du Cartel dans les régions frontalières. Pas de grands combats par là bas, mais ça m’a permis de passer capitaine rapidement après quelques décennies de traque. Puis des missions de répression contre l’empire primitif de Clamarya. Avec quelque efforts, nous avons détruit leur satellite sacré de Thraczmine, et ils ont fini par abandonner leurs superstitions pour embrasser le positivisme et la technocratie. Une belle victoire pour le Commonwealth, mais pas pour moi. Lors de la dernière bataille j’ai été encerclée et obligée d’ouvrir le feu sur des cibles vivantes. Il y a eu sept cent quarante morts chez les Clamaryens. En soi, je ne regrette pas de l’avoir fait, mais la victoire du Commonwealth eut été encore plus éclatante si nous n’avions pas eu à tuer autant de gens dans l’action. Quoi qu’il en soit, mon sang froid m’a valu d’être mutée sur une mission autrement plus dangereuse. La campagne du secteur Cancri.
- Je vois. »
Une structure plus claire se fit voir, avec une foule d’agents, d’officiers et de soldats du Commonwealth qui entouraient une image fixe d’Angevine elle même, aux postes de commande du vaisseau, analysant des cartes.
« Vous avez donc combattu l’Église du Basileus ?
- Pas qu’un peu. Ça a été une campagne très violente contre les fanatiques. Il y a eu des combats hybrides, notamment pour Rho1 Cancri (A)e, alias Janssen. L’Église prétendait que la planète était sacrée car des reliques des premiers missionnaires spatiaux s’y trouvaient. Plusieurs unités des couvents guerriers avaient débarqué et massacré des civils. J’ai dû faire de l’acheminement de matériel pour l’infanterie au sol, et participer à un combat contre la Sainte Armada de l’archevêque Anktôs d’Agia Galini. On a cru qu’on les avait repoussés, mais juste après la bataille, mon vaisseau est tombé dans une embuscade. On a été encerclés, nos armes neutralisées, et des sœurs des ordres militants ont abordé notre navire. J’ai tout tenté pourtant ! »
Les couleurs du vaisseau étaient maintenant dénaturées par les clignotements des alarmes. Des capteurs et des cogitateurs s’agitaient, et les camarades d’Angevine qu’on pouvait voir tremblaient d’appréhension.
« Vous n’étiez pas seule ?
- Non, j’étais avec mes meilleurs officiers. Je leur faisais confiance. Mais j’avais tort.
- N’émettez pas encore de jugement. Exposez moi d’abord les faits le plus succinctement possible. »
Les visages se précisèrent, les proches de la capitaine, portant des uniformes à insignes désignant des fonctions précises. Le timonier, le chef des tourelles, le commissaire technocratique, le chef fourrier, l’archiviste principal, le vice capitaine…
« Vous n’avez pas cherché à prendre contact avec vos adversaires ?
- Non, mais je n’en ai pas eu besoin. Ils nous ont immédiatement contactés pour nous demander de nous rendre. J’ai refusé.
- Je vois. »
L’Angevine de la vision fixait ses écrans de commande avec le visage le plus froid et le plus placide possible. Elle ordonnait le repositionnement des troupes de fusiliers marins, la redirection des flux d'énergie entre les différents secteurs, le détachement de segments complets du vaisseau… tout ce qui était possible pour ralentir la progression de l’ennemi. Mais les sœurs de combat de l’Église étaient de redoutables combattantes, expertes dans toutes les disciplines de combat, équipées d’armures de mastodonte et d’un armement de pointe. À chaque minute une escouade de fusiliers de marine se faisait souffler dans un déluge de balles et de tachyons parfaitement millimétré, les survivants étant immédiatement immobilisés et faits prisonniers, quand il y avait des survivants. Angevine ravalait sa salive, et ne démordait pas. Autour d’elle, les officiers ne pouvaient pas aussi bien camoufler leur inquiétude.
« Certains ont paniqué ?
- Tout le monde paniquait, moi compris. Regardez, Firmin ! Comme il trépigne d’un pied sur l’autre. Firmin Juvier était Mon major fourrier, qui m’a accompagné depuis la campagne de Clamarya, rien qu’à sa posture je voyais qu’il était désespéré. Et Rufus Belfort, une tête brûlée d’ordinaire, mais là il suait à grosses gouttes sans oser ouvrir sa bouche. Et Ganelon Césare, mon chef timonier… »
Elle se tut. Le sacristain patienta quelque instant. Le vrombissement des alarmes recouvrait un chuintement de voix humaine qui résonnait depuis les canaux de communication.
« Je le répète… immobilisés… moteurs… Traitement pour t… humains »
Le sacristain demanda d’un ton flegmatique.
« Que vous ont-ils proposé ?
- Ils ont dit que si on se rendait, il n’y aurait aucun morts et on serait traités avec humanité, pour ce qui était des humains, et de façon à peu près correcte pour les non-humains. Par contre, la condition c’était que tous nos robots seraient détruits. »
Comme Angevine finissait sa phrase, le son s’éclaircit et les mots du capitaine adverse qui résonnaient dans le canal de communication devinrent plus net.
« Nous ne voulons aucun morts. Nous ne chercherons même pas à vous convertir, car il nous est interdit de convertir de force. Vous n’avez aucune raison de refuser. Tout ce qu’on fera c’est désactiver définitivement vos IA. Ça, ce n’est pas négociable. Votre vaisseau est immobilisé, vos moteurs hors service, et nous vous proposons le meilleur traitement pour tous les humains sous vos ordres. Comment pourriez vous refuser ça ? »
Angevine grimaça. Son regard parcourut la foule des officiers.
« La plupart son déjà morts, madame. » fit Rufus Belfort. « Et, si je puis me permettre, tous se sacrifier ne sauvera personne…
- C’est non ! »
Le regard de la capitaine effleura Firmin, qui n’osa pas parler. Il bégaya un mot…
« M… madame… je…
- Silence ! Je réfléchis ! Il doit forcément y avoir une solution. »
Le regard de la capitaine retourna vers son écran, mais un mouvement sur le côté attira son attention. Le chef timonier venait de dégainer son pistolet à tachyons.
« Ganelon ! Qu’est-ce que vous… »
Sans attendre une seule seconde de plus, Ganelon pointa son pistolet sur Firmin et ouvrit le feu. Le rayon ignescent fusa et transperça l’abdomen de la cible qui explosa dans un foisonnement d’étincelles. Les circuits flambèrent en une fraction de seconde, et les restes du module central furent dispersés à l’état d’atome.
Les restes fumants de Firmin Juvier n’avaient pas encore fini de s’écraser au sol avec un fracas métallique que la capitaine avait déjà dégainé son arme et la braquait sur l’officier meutrier.
« Ganelon, espèce de salopard !
- Je suis désolé madame, vraiment désolé, mais maintenant au moins on n’a plus aucune raison de ne pas se rendre. Il n’y aura pas plus de morts. »
- Il y’en aura un de plus ! »
Et elle pressa la détente. Une explosion de feu et de sang s’ensuivit, puis le corps de Ganelon s’en fut gésir au sol.
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