Opulence droguée
Sa vie n’était pour elle qu’un banal échiquier grandeur nature, dont elle remportait chaque partie… Son existence toute entière n’était qu’une suite de victoires, de triomphes et de succès.
Si bien qu’aujourd’hui elle possédait tout ce qu’il était humainement possible de rêver, ou en tout cas elle se plaisait à le penser.
Elle se réjouissait chaque jour d’avoir épousé un bon parti, heureuse d’avoir trouvé un homme aussi riche qu’idiot, qui commettait la bêtise de l’aimer profondément.
Elle n'en était pas épris. Sa compagnie ne lui était pas désagréable, il avait quelques talents charnels qui feraient pâlir d’envie la plupart des hommes, mais elle ne chérissait pas les moments qu'ils passaient ensemble.
L’idée même de l’amour la faisait rire, elle n’y voyait rien de plus qu’un moyen amusant d’arriver à ses fins, d’obtenir aisément ce qu’elle désirait car, pour son plus grand bonheur, aucun homme ne lui résistait.
Elle était si belle que la définition même de la beauté, semblait fade en comparaison. Que ce soit par la douceur de sa peau, le rouge écarlate de ses lèvres, la pureté de ses yeux cristallins, ou l’éclat de ses boucles dorées, tout en elle irradiait de perfection.
Le soleil, à travers les immenses baies vitrées, envahit peu à peu la chambre luxueuse de la villa de Gregory, son mari. Elle sortit lentement de son sommeil, enlacée par la chaleur d’une journée estivale qui, par le bleu de son ciel, était déjà de bonne augure.
Aujourd’hui encore elle se maquilla avec soin, elle ne voulait manquer aucune occasion de jouer de ses charmes, et veillait à laisser s’exprimer à chaque instant, la femme fatale qu’elle était.
Elle descendit, s’installa dans la cuisine, tandis que son époux s’attelait déjà aux fourneaux, et lui apportait une assiette fumante d’œufs au plat accompagnés de bacon. Elle adorait petit déjeuner à l’anglaise, disant que la nationalité était la seule chose qui l’empêchait d’être élue reine d’Angleterre.
Elle avala son repas avec toute la bienséance que revêt une princesse, puis se leva de sa chaise et ne s’embêta pas à débarrasser son assiette. C’était indigne de son rang et de son statut.
- Bon il est temps pour moi d’y aller, je vais être en retard sinon, annonça-t-elle.
Gregory s’approcha pour l’embrasser, elle lui rendit son baiser, machinalement, sans sentiment, pour continuer de jouer son rôle d’épouse.
- A ce soir mon cœur, finit-il par dire alors qu’elle était déjà quasiment partie.
Elle n’avait pas de temps à perdre, ce soir un gala se tenait en son honneur au château du comte Philippe de Refret. Il fallait qu’elle achète de nouveaux atours luxueux, des chaussures hors de prix, et du maquillage haut de gamme pour être présentable.
Elle désirait également ne pas rentrer trop tard, se reposer avant les festivités était essentiel, car quand bien même resterait-elle la plus belle femme sur cette Terre, jamais elle n’oserait se présenter au gala les yeux cernés.
Elle rejoignit Monica et Sarah, ses meilleures amies, pour faire du shopping. Elle avait fini par apprécier leur compagnie, après tout elles voulaient tellement lui ressembler, qu’elles en étaient venues à l’idolâtrer encore davantage qu’une déesse.
Elles parcoururent les boutiques les plus prestigieuses du centre ville. Son compte en banque affichait tellement de chiffres, qu’elle ne daignait même pas regarder le prix de ce qu’elle achetait, et dépensait sans vergogne l’argent de son richissime mari.
Ainsi la valeur de son seul sac à main aurait suffi à nourrir une famille dans le besoin pendant un mois, mais elle n’avait guère l’âme charitable, et ne se plaisait que trop dans le faste train de vie des bourgeois.
Monica et Sarah bien que jolies, n’eurent droit à aucun regard de la part des hommes, leurs yeux étaient déjà occupés à contempler la beauté souveraine de leur amie. Elle se savait perpétuellement désirée, et comprenait l’émoi que provoquait sa perfection, après tout elle n’aimait personne d’autre aussi fort qu’elle-même.
Le soir venu, elle se présenta au gala, son mari au bras, tel un splendide bijou qu’elle arborait avec prétention. Elle était resplendissante dans sa tenue de soirée, faisant trembler de jalousie toutes les femmes magnifiques qui, à côté d’elle, ne valaient guère mieux que de vulgaires laiderons vêtus de guenilles.
Sa beauté paraissait irréelle, à tel point que certains la définissaient comme étant le chef d’œuvre de Dieu qui, jamais plus, ne pourrait reproduire pareille magnificence.
Elle dansa avec Gregory, enflamma l’assemblée, et la fit s’incliner devant la maitrise technique de son couple.
- Tu gâches la chance que je t’ai donnée… se lamenta soudain Gregory.
Elle ne comprenait pas ce qu’il venait de dire, les personnes présentes tout autour d’eux se figèrent, comme si le cours du temps venait de s’arrêter, tandis que Gregory continuait de la faire danser.
Il la fit tourner, virevolter, accélérer, ralentir, jusqu’à la renverser avant de l’embrasser tendrement.
Ce fut un véritable électrochoc, comme si elle s’éveillait d’une hypnose, ou qu’elle retrouvait subitement la vue. Les convives s’évaporèrent les uns après les autres, aussi subrepticement qu’une illusoire réalité.
Il ne resta bientôt plus que Gregory face à elle, il la regardait de ses yeux amoureux, sujet à la tristesse et à la déception.
- Désire-tu vraiment m’oublier Margareth ?
Cette simple question suffit à la faire définitivement revenir à la réalité, ses souvenirs refirent immédiatement surface et elle comprit ce qu’elle faisait là.
- Non Gregory ! Comment pourrais-je t’oublier mon amour ? – Des larmes inondèrent son visage, dessinant des trainées de mascara le long de ses joues. – Tu es l’homme de ma vie, ma seule raison de vivre, que puis-je faire sans toi ?
- Ma petite Lys, tu ne peux pas continuer comme ça ! Venir ici ne me fera pas revenir, et le gardien ne me laissera pas te retrouver encore très longtemps.
- C’est la seule chose que je puisse faire pour te revoir… Pourquoi as-tu fais une chose pareille ? Pourquoi ?
- Je ne regrette pas mon choix ma petite Lys, tu es ce que j’ai de plus précieux, tu es celle qui m’a redonné confiance en l’amour. Mais je t’en supplie, ne rends pas vain mon sacrifice, cesse de venir ici, vis ta vie et sois heureuse, sois heureuse pour nous deux.
- Je ne peux l’être sans toi, laisse-moi venir te rejoindre, laisse-moi me perdre encore pour mieux te retrouver.
- Il est encore trop tôt… mais je t’attendrai toujours, prends ton temps, nous aurons ensuite l’éternité devant nous.
- Tu me manques tellement mon amour, chaque jour qui passe est encore plus difficile que le précédent depuis que tu n’es plus là.
Gregory s’approcha d’elle, glissa une main derrière sa nuque, et l’embrassa avec toute la passion du désespoir.
Margareth pensa alors qu’elle aurait pu rester ainsi toute l’éternité, mais qu’elle aurait quand même trouvé cela trop court, il lui manquait tant.
Puis Gregory s’écarta et l’enlaça avec force et tendresse, comme s’il avait peur qu’elle disparaisse subitement.
- Tu dois partir ma petite Lys, et promets-moi de ne jamais revenir ici, je t’en prie, lui murmura-t-il dans le creux de l’oreille.
Tout devint noir, Margareth eut l’impression de se noyer dans les abîmes de l’océan, puis s’éveilla en sursaut.
Elle était allongée au milieu de son lit, la veine de son bras pulsait encore douloureusement, sans doute avait-elle été, une fois de plus, un peu trop loin sur la dose de son injection d’héroïne.
Elle caressa du bout des doigts, la cicatrice qu’elle avait au niveau du cœur, elle considérait cela comme une partie de son défunt mari.
Elle comptait les jours depuis l’opération, 387 pour être exact, ce jour là un mystérieux donneur lui avait sauvé la vie, et l’avait guérie de son insuffisance cardiaque.
Plus tard, elle apprit le lourd prix qu’elle dut payer en contrepartie…
Son mari, Gregory, l’aimait aussi purement et simplement, qu’un prince aime sa princesse dans les contes de fées, et elle l’aimait tout autant, plus que n’importe qui d’autre. Pour elle il avait littéralement donné sa vie.
Lorsqu’il sut que sa femme avait besoin d’une greffe du cœur, et qu’il était compatible, il n’hésita pas une seule seconde…
Il arriva un matin, et ordonna aux médecins de greffer son cœur à sa femme, s'il devait mourir. Devant eux, il sortit un revolver et se suicida d’une balle dans la tête.
C’est ainsi que Margareth devait vivre à présent, avec le poids de la culpabilité, qui lui donnait chaque jour davantage de raisons de rejoindre son mari dans l’au-delà.
Mais elle ne pouvait pas… A sa première overdose, Gregory était apparu et l’avait sauvée, et depuis il ne cessait de l’empêcher de mourir. Se droguer était bien vite devenu un réconfort qui lui permettait de revoir, ne serait-ce qu’un peu, l’amour de sa vie.
Encore allongée au milieu de son lit, elle sentit quelque chose dans sa main, l’ouvrit et y découvrit une magnifique fleur de lys, sa fleur préférée, accompagnée de myosotis, et elle pleura.
Elle pleura au souvenir de Gregory lui apportant un bouquet de ces fleurs, chaque dimanche matin, c’était de là que venait le surnom qu’il lui donnait : petite Lys… Elle pleura pour lui dire adieu.
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