Le kig ha farz

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Dès potron-minet, entre une tartine et une tasse de café,

Léo et moi coupons des saucisses, du lard et du jarret.

Il s’active en douceur, la cuisson est déjà entamée.

Du beurre salé fondu et quelques oignons rosés

Des lardons, pour bien préparer le lipig, c’est la clef

Afin d’avoir un kig ha farz bien assaisonné.

Les farz de froment et de sarrasin sont déjà préparés.

« Tom, va faire du bois pour la cuisinière, s’il te plaît.

Le kig doit mijoter, nous n’en avons pas assez ! »

J’entre dans le froid humide de cette matinée.

Posé sur le billot, un rondin attend ma hache aiguisée.

Des copeaux de bois à terre attestent d’un travail entamé.

Des brindilles triées avec soin, quelques cagettes fracassées

Tout est calculé pour une bonne flambée,

Ainsi que pour les casseroles de mon cuisinier.

Léo aime tant nos moments tendres d'intimité.

Je le vois cousant et lisant, le regard passionné,

Par les flammes changeantes du feu de cheminée.

À présent dans le froid, je me mets à transpirer

Sous mon pull-over outremer, à col roulé,

Mon torse est humide, chaud. Quelle suée !

Alors que mes joues sont rougies par le vent glacé,

Quelques flocons virevoltent. Il commence à neiger.

Je réajuste mon gilet ainsi que mon bonnet,

Heureux, plein entrain, je continue à besogner.

La campagne en automne, hiver, printemps ou été,

Les crissements de ma scie ou les coups secs martelés,

Se remplit, ainsi que mes souffles ahanés.

La Saint Martin est déjà passée.

Noël et la fin de l’année ne vont pas tarder.

La bille de grume de mille et un coups est marquée.

Un des haïku de Léo me revient en pensée:

― Le bois est coupé.

Le kig ha farz préparé.

La brume envolée ―

Je repose mes mains sur le manche de la cognée,

L’odeur du kig ha farz par la fenêtre s’est évadée.

Dans ce décor simple, la silhouette de Léo s’est découpée,

À contre-jour, dans la lumière que laisse passer la croisée.

Le penty embrumé ouvre sa porte d’entrée,

Léo sort pour vaquer à quelques plaisirs potagers.

Il jette à l’œil plein d’admiration dans mon atelier.

Il passe le plat de sa main sur le bois patiné.

Ce fripon, à quoi peut-il bien penser ?

Il a le regard de celui qui veut me déshabiller.

Après avoir cueilli des aromates tout frais,

Il me laisse sur ma faim de lui, il retourne cuisiner.

Une fois ma panière bien chargée,

Je rentre dans la tiédeur de notre maisonnée.

Je me sens héros du quotidien, tant je suis fêté,

Sur mon front, Léo dépose un baiser

Et m’enlace jusqu’à m’étouffer.

Qu'il est bon de se sentir aimé!

Je confie au poêle des brindilles d’églantiers,

Puis un morceau de cageot et des cotrets,

Quelques écorces odorantes de châtaigner.

Léo aime l’odeur du souffre de l’allumette grattée.

Dans la pénombre du lieu, son visage est éclairé.

Ses yeux brillent comme ceux d’un nouveau-né,

Il s’émerveille des flammèches ainsi formées.

Elles lisent les nouvelles du journal qui vont s'effacées,

Courent et lèchent les branchages du vieux poirier

Qui n’a pas la dernière tempête, supporté.

Une fumerolle s’élève dans une odeur de jambon fumé.

Je m’approche de lui et veux l’embrasser

Pour oublier les frimas et bien sûr me réchauffer,

Il se laisse faire et s’abandonne comblé.

Je lui demande un peu inquiet : « Puis-je t’aider ?

« Si tu veux, il reste des légumes à éplucher,

J’ai une confiance totale en tes doigts de fée ! »

Me répond-il d’un air coquin et léger.

Des échalotes, des carottes, des navets,

Un poireau et un chou attendent sur la toile cirée,

Les pommes de terre s’associent à ce délicieux projet.

L’économe et le petit couteau à lame fine sont prêts :

Le tas d’épluchures grandit : heureux gallinacés.

Durant mon travail de patience, je vois Léo déambuler.

Je contemple son cou et ses hanches contre l’évier.

Mes gestes sont utiles, vagabondent mes pensées.

Dans la chaleur, la lumière, la simplicité et la beauté,

Le bonheur en autarcie. Notre monde s’est refermé.

Plongeons de légumes dans la marmite. Table nettoyée.

Ingrédients et ustensiles lavés et rangés.

Il est temps de mettre les couverts argenté,

Ainsi que des assiettes de marly fleuri orné

Sur une nappe de damas blanc et doré.

Bon appétit et merci, mon amour adoré.

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