Le carton d'invitation

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Ville de Boston

La vie a repris son cours pour Johanna et l'énigme de la dernière théorie de son père n'accaparaît plus ses pensées. Le mercredi après-midi était son moment de libre et elle en profitait pour faire un footing au bord du lac.

Johanna respira profondément, s'imprégnant de l'air printanier alors qu'elle s'élançait le long du sentier bordant le lac. Chaque foulée était une libération, laissant derrière elle les énigmes qui avaient occupé son esprit ces derniers mois. Le soleil, chaleureux sur sa peau, semblait dissiper les dernières traces d'anxiété.

De retour à son appartement, une routine bienvenue s'installa. Elle attrapa le courrier, geste machinal, ne s'attendant à rien d'extraordinaire. Parmi les enveloppes banales, une arborait le logo imposant de l'université de Harvard. Elle pensa à une facture pour les travaux de recherche entrepris pour elle quelques mois plus tôt. Elle posa la pile de courrier sur la commode à l'entrée de l'appartement et se dit qu'elle aura le temps de traiter son courrier ce soir. Plongeant dans son jogging, elle se dirigea vers le parc. Le ciel azur étendait son manteau au-dessus d'elle, et le parc s'animait de l'énergie du printemps. Ses pensées dérivèrent vers la soirée à venir, une parenthèse artistique et gastronomique. Elle avait rendez-vous avec ses amies pour le vernissage d'une galerie de peinture contemporaine. Ils allaient ensuite déguster des spécialités italiennes dans un destaurant qui venait d'ouvrir. Le programme était parfait.

Lorsqu'elle rentra chez elle vers les 22 heures, la fatigue de la journée pesait sur ses épaules. Tout ce à quoi elle pensait était une douche réconfortante suivie d'un sommeil bien mérité. Passeant devant la pile de courrier, elle se dit que cela pouvait certainement attendre jusqu'au lendemain. Néanmoins, la curiosité l'emporta et elle ouvrit l'enveloppe de l'université qui contenait un carton d'invitation:

Université de Harvard

Centre de Recherche Science computationnelle et Intelligence Artificielle (SCIA)

Cher (ère) invité(e),

Nous vous invitons à assister à une démonstration qui sera faite dans nos locaux du Centre de Recherche.

Le nombre de places étant limité, nous vous prions de confirmer votre présence à notre secrétariat, dont les coordonnées se trouvent dans l'entête. Les coordonnées de nofre Centre se trouvent en annexe.

Prenez ce carton d'invitation avec vous comme laisser-passer dans nos laboratoires.

La démonstration sera suivis d'un apéritif dînatoire.

Dr J. Kissling, Directeur du SCIA

Un mot manuscrit de Dr Richardson au recto du carton ajoutait une note personnelle, renforçant le mystère: "Johanna, vous devez absolument assister à cette démonstration. Je vous attends avec impatience." Le ton du message, sérieux et attendri, éveilla sa curiosité.

Perdue entre l'excitation et l'incertitude, elle se demanda pourquoi elle était conviée à cet événement. L'idée d'une nouvelle installation ou la possibilité d'une publication dans une revue prestigieuse tournaient dans son esprit. Reconnaissante envers l'université, elle se promit de participer à cette démonstration énigmatique.

Allongée dans son lit, les yeux fixés sur le plafond, Johanna s'endormit, son esprit tourbillonnant autour des possibles que cette invitation apportait.

***

Centre de Recherche en Science Computationelle et Intelligence Artificielle

Johanna franchit l'entrée imposante du bâtiment du Centre de Recherche. À la réception, un panneau indiquait clairement : "Démonstration à 14h00 : suivez les flèches bleues. Entrée uniquement sur présentation du carton d'invitation."

Suivant le parcours tracé par les flèches bleues, elle traversa les espaces ouverts du bâtiment. Des postes de travail mobiles, des écrans, une myriade d'appareils scientifiques coexistaient dans une ambiance étonnamment décontractée. Des coins de détente, canapés, sofas, machines à café et distributeurs de boissons, tout était là pour encourager les échanges et les discussions. Un coin insolite, équipé de rameurs, de tapis de marche et de vélos d'appartement, se dressait à côté d'un espace de divertissement doté de babyfoots et même de deux flippers des années 1980. Il ne manquait plus qu'une piste de bowling pour transformer cet endroit en véritable centre de jeux.

Johanna, amusée par ce contraste avec les salles de classe austères de ses études, poursuivit son chemin. Elle atteignit enfin une grande porte conduisant à un vaste hangar qui occupait toute la largeur du bâtiment et s'étendait sur plusieurs étages. Présentant son carton d'invitation, elle reçut un casque avec visière et protection auditive.

Au centre du hangar trônait un grand caisson de 5 mètres de large sur 10 mètres de long. Des gradins équipés de sièges rudimentaires s'étendaient de chaque côté. Repérant le Dr Richardson assis à mi-hauteur, elle se dirigea vers les gradins à sa gauche, désireuse de rester discrète. À sa grande surprise, le Prof. Richardson la repéra et lui fit signe de les rejoindre. Les présentations furent rapidement faites, et tout le monde prit place. Face à l'interrogation évidente de Johanna, le Prof. Richardson prit l'initiative de lui avouer qu'il était aussi dans le flou. Deux cartons d'invitation mystérieux lui étaient parvenus, l'un suggérant énigmatiquement de transmettre le deuxième à la personne adéquate.

Excitée et curieuse, Johanna, la journaliste scientifique, laissa son regard scruter la maquette imposante au centre du hangar, son esprit en ébullition devant les possibilités de cette démonstration inattendue.

Les invités affluaient, créant un murmure d'anticipation dans la pièce. Johanna, saisissant l'opportunité, se pencha sur la maquette logée dans le caisson. À sa gauche, des montagnes s'étiraient en pente douce vers un paysage marin à droite. Au milieu, à mi-hauteur, des constructions regroupées semblaient former un village ou une ville. Les sommets enneigés étaient minutieusement recouverts de poudre blanche, représentant la neige. Une bande blanche, bordée de gris, descendait vers les habitations, simulant un glacier avec ses moraines. Les maisons, construites en pierre et en bois avec des jardins potagers adjacents étaient entourées de grands arbres. À travers les parois en verre du caisson, Johanna pouvait distinguer le sol qui dévalait en pente douce sous la surface marine.

Le souci du détail et des proportions dans la maquette captivait l'attention. Des semaines de travail devaient se cacher derrière cette œuvre. En levant les yeux, Johanna repéra un dispositif suspendu cinq mètres au-dessus de la maquette. Des étudiants, équipés de casques et d'habits de protection, s'activaient autour du dispositif.

Le directeur du Centre de Recherche se rapprocha de la maquette, imposant le silence dans l'assemblée. Après de brèves présentations et salutations, il remercia les invités pour leur présence, évoquant les démonstrations d'anthologie du Centre. Sans plus tarder, il invita le responsable du projet à prendre la parole.

Johanna fut stupéfaite de voir John Chesterfield s'avancer, les mains dans les poches, sans notes comme à son habitude. Après les remerciements d'usage, il annonça : "Je ne vais pas vous présenter la démonstration, je vais vous la faire vivre comme cela a été le cas pour nous. Vous aurez largement le temps de poser vos questions par la suite." Il s'approcha des gradins : "Pour votre sécurité, je vais vous demander de mettre votre casque et de vérifier que les protections auditives couvrent bien vos oreilles. C'est très important. N'enlevez vos protections que quand je vous ferai signe." Quelques étudiants passèrent dans les gradins pour s'assurer que chacun était bien protégé. Lorsqu'ils confirmèrent à John que tout était en ordre, il enfila son casque, se dirigea vers le pupitre de commande, tourna une clé, et après un dernier contrôle visuel, appuya sur un bouton.

Le souffle retenu des participants résonnait dans le silence, mêlant curiosité, anxiété et une tension extrême.

Le local s'immergea dans l'obscurité, ne laissant éclairées que les sorties de secours. Soudain, un orage artificiel éclata sur la maquette avec un fracas terrifiant. Des centaines de projectiles incandescents s'abattirent sur elle dans un tumulte assourdissant, perforant le sable et créant des cratères à chaque impact. Les habitations touchées explosaient en mille morceaux, heurtant les vitres protectrices du caisson. Étonnamment, celle qui avait captivé Johanna, avec ses arbres et son jardin, demeura indemne, résistante aux assauts.

Le tonnerre cessa brusquement, laissant place à un silence oppressant. Tous les sens étaient en éveil, marqués par cette apocalypse simulée venue du ciel.

La lumière revint graduellement. Bien que légèrement étourdi par ce cataclysme simulé, le Recteur tenta d'exprimer son impression, se demandant néanmoins quel en était le but. Avant qu'il puisse finir sa phrase, une plaque de deux mètres sur deux, épaisse de trente centimètres, se détacha lentement et glissa vers l'eau, emportant les constructions en surface. Accélérant son mouvement, la plaque s'enfonça profondément dans l'eau, créant une vague imposante. Johanna, absorbée par le spectacle, nota que l'habitation préservée des projectiles restait là, inchangée mais déplacée de plusieurs mètres et maintenant complètement submergée.

John signala que le public pouvait retirer son équipement de protection, suivant son exemple. Il expliqua que le plafond était équipé de canons à poudre projetant à grande vitesse des projectiles métalliques chauffés à blanc, simulant une pluie de météorites incandescentes. Les autres équipements se passaient de commentaires.

John, calme et serein, n'opta pas pour le sensationalisme outrancié, mais s'apprêta à donner des explications.

Un participant interrogea John sur la cause du glissement de terrain, et celui-ci répondit de manière énigmatique : "Avez-vous entendu parler de laves torrentielles et de pergélisols?" Face à une réponse négative, John expliqua l'existence de couches de terrain gelées en permanence dans certaines régions, agissant comme une colle entre les couches géologiques. Un réchauffement prolongé provoque la liquéfaction de cette colle, facilitant le glissement des couches supérieures. La pluie diluvienne rend le sol plus maléable et plus lourd, entraînant le glissement de la couche supérieure, connu sous le nom de lave torrentielle.

Pour la démonstration, ils avaient refroidi une couche de pergélisol avec de l'azote liquide. Les météorites incandescentes avaient provoqué des cratères, réchauffant ensuite le sous-sol. La combinaison du poids de la couche supérieure, de la gravité, et du terrain devenu visqueux avait reproduit le phénomène naturel. John répondit ensuite à plusieurs questions dans une série de dialogues instructifs.

John, se tenant devant l'auditoire, énonça avec assurance : "Il y a quelques années, un scientifique élabora une théorie audacieuse évoquant la possibilité qu'une civilisation très avancée ait pu disparaître dans l'océan sans laisser de trace à cause de la chute d'une grosse météorite. Mais il ne s'est trompé que dans un seul petit détail. Ce n'était pas une seule grosse météorite, c'était une pluie de petites météorites, rencontrant un terrain favorable." Pendant qu'il parlait à l'ensemble des participants, son regard se posa sur Johanna pour lui confirmer que cette théorie était bien celle de son père.

La démonstration se conclut par une salve d'applaudissements. Le Directeur du Centre de Recherche exprima sa fierté, annonçant que cette démonstration resterait dans les annales. Johanna flottait sur un petit nuage, décidée à écrire un "article d'antologie" sur la théorie de son père et le soutien exemplaire de l'université. Le Recteur, le Dr Richardson, et le Directeur du Centre de Recherche se montrèrent contents pour Johanna, exprimant leur satisfaction de manière paternaliste.

La scène se clôtura sur une note de triomphe, les protagonistes invités à l'apéritif dînatoire pour partager leurs impressions et échanger sur cette démonstration mémorable.

Johanna, débordant de curiosité, posa à John une multitude de questions, impatiente d'en apprendre davantage. Elle s'interrogea sur sa persévérance dans ses recherches malgré leur accord initial. Intrigué, John lui demanda si elle connaissait l'histoire du formulaire 238. Face à sa réponse négative, il lui conta l'anecdote d'une compagnie d'assurances qui avait lancé un concours informatique pour créer un formulaire de sinistre. Le team A avait reproduit fidèlement le formulaire papier en 10 jours de travail, remportant le concours, tandis que le team B avait développé un modèle générique permettant de créer n'importe quel formulaire en 12 jours.

Quelques semaines plus tard, la compagnie d'assurance très satisfaite revint vers l'école en proposant de développer le formulaire 239 qui était un peu plus compliqué que le précédent. Le team A estima un temps de développement de 15 jours, 10 jours pour le formulaire et 5 jours pour les fonctions supplémentaires. Le team B dit que le formulaire 239 était déjà développé et que un jour de travail au maximum suffisait pour le paramétrer. Tout le monde s'esclaffa de la bonne blague. Le soir même, le formulaire 239 était en fonction. Dans son développement du premier formulaire, le team B avait modélisé un formulaire générique avec des fonctions de base d'aide contextuelle et de vérification de saisie. Il suffisait ensuite de paramétrer les variables pour produire n'importe quel formulaire. La compagnie d'assurance pouvait elle-même créer ses prochains formulaires 240 et ainsi de suite.

Avec malice, John confia à Johanna que "sortir du cadre" était sa manière de travailler.

Johanna, animée par l'excitation, bombardait John de questions, révélant sa curiosité enfantine. Amusé, John répondait avec des énigmes, renforçant le mystère qui entourait son travail. Touchée par la générosité de John, Johanna lui proposa d'écrire un article élogieux sur ses travaux pour l'aider à retrouver un financement. Plein d'humour, John lui dit que ce n'était pas nécessaire pour l'instant, mais qu'il ferait appel à elle en cas de besoin.

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