Chapitre 8 : Victor "Visite à la ferme."
Après une collation , je redémarre en direction de Chartres. Pour l’heure tout roule, la circulation est relativement fluide, tous les parisiens ont déserté la capitale pour les bords de mer, des bancs de sardines, collés-serrés prêts à se jeter à l’eau. Je songe alors à mes dernières vacances à New York, voyage en première classe tout confort. Je garde de bons souvenirs de cette escapade aux States, l’expérience fut sympa. Au départ, surpris que ma mère m’accompagne, j’ai vite déchanté, une fois sur place je ne l'ai quasiment pas vue. J’ai arpenté les rues de la mégapole muni de mon cahier pour décrire cette fourmilière en action. Le soir au retour à l’hôtel, mes nuits ont été courtes, j’ai détaillé chacun de mes personnages et rempli des pages de mon carnet .
Sur cette route de campagne, de grandes étendues de champs de blé agrémentent mon voyage.
Je roule sur de faux plats qui me demandent peu d’efforts. Finalement, William avait tort, je suis bien plus en forme qu’il le supposait. Il s’agit seulement de mon premier jour et j'ai l'enthousiasme d’un enfant au matin de noël. Je suis impatient de parcourir les kilomètres pour atteindre mon but. Cette période était le seul moment de l’année où mes parents daignaient être présents. Ma grand-mère s’est battue pour qu'il en soit ainsi. La seule grâce qu’elle leur avait demandée. Ils s’étaient pliés à cette tradition, sauf l’hiver dernier juste avant qu’elle ne parte pour toujours. Mes deux ingrats de géniteurs s’étaient soi-disant accordés des vacances bien méritées, enfin chacun de leur côté. Ils considéraient que j’étais devenu trop grand pour de tels enfantillages. Ce souvenir décuple mon énergie, j’expulse à chaque coup de pédale, la colère enfouie au fond de moi depuis trop longtemps. Je leur en veux de ne pas avoir été là. Pas pour le tort causé, mais pour Joséphine dont l'absence m’avait semblé plus criante. Elle m’ avait donné tant d’amour. Je me suis senti seul et abandonné.
Perdu dans mes pensées, mes yeux embrumés par des larmes, j'essaie d’avancer. Surpris par un tracteur, je freine juste à temps mais pas suffisamment. Je termine ma course dans le tas de fumier. L’agriculteur, affolé par la scène, s’arrête pour s’assurer que je n’ai rien. Il me propose de venir jusqu’à sa ferme pour prendre une douche. J’installe mon vélo dans la remorque et monte à côté du vieux monsieur. Je découvre les joies de la campagne, moi le citadin qui vivait dans un monde aseptisé. La forte odeur ne me dérange pas.
Cet imprévu dans ma journée s’avère être un petit plus. Le voyage s’accélère quelque peu avec ce moyen de transport qui ne roule qu’à une trentaine de kilomètres à l'heure. Tout crasseux, j’apprécie de voir la distance se raccourcir. Mon objectif du jour était d’atteindre Chartres. La ferme se trouve à seulement dix minutes. Nous entrons dans la cour, ses petits fils jouent au ballon. Jacques au cours du trajet m’a raconté un peu de sa vie. À peine sommes-nous garés, les deux enfants se précipitent dans les jambes du grand-père pour lui demander d’aller rentrer les vaches. Jacques calme leur ardeur en déposant un baiser sur leur front. Il m’accompagne jusqu’à l’entrée de la bâtisse et appele sa femme.
La mamie, avec un foulard retenant de longues nattes grisonnantes, m’accueille avec un grand sourire qui me rappelle tout-à-coup celui de Joséphine.
- Marthe, j’ai malencontreusement fait tomber Victor dans un tas de fumier, dit Jacques.
- Pas du tout, vous n’êtes pas responsable. C’est moi qui étais distrait, m’empressé-je de préciser me sentant bien plus coupable.
- Nous allons dire que les torts sont partagés. Du coup je lui ai proposé de venir prendre une douche, un repas et dormir ici cette nuit.
- Allez suivez-moi, jeune homme, me propose alors Marthe.
- Avant est-ce que je pourrais vous accompagner pour rentrer les vaches ? dis-je avec un tel enthousiasme que Jacques accepte aussitôt.
- Dans ces cas-là, je prépare tout pour votre retour, conclut Marthe.
Je file dans la cour rejoindre les garçons. Ils ont repris leur match. En me voyant, ils me proposent de me joindre à eux. Trop heureux d’une telle proposition, je me jette dans la partie. Les rires des enfants se mêlent aux miens, je n’ai jamais eu la chance d’avoir de frères ou sœurs. Je m’amuse comme un fou. Dès que Jacques réapparaît, nous nous empressons de le suivre pour ce qui semble être une mission de la plus grande importance. Arrivé à l’entrée du champ, Paul le plus jeune des garçons m’apprend le son qu’il faut utiliser pour les appeler, il me propose d’essayer. Je n’en crois pas mes yeux, les belles dames parées de leur tenue blanche tachetée de noir se mettent en ordre de marche et nous rejoignent. Une fois toutes réunies, nous fermons la route afin qu’elles la traversent et rejoignent l’étable pour la traite du soir.
Louis le plus grand, m’attrape par la main et m’emmène à son tour découvrir le rituel. Après une toilette de leur poil, les vaches se présentent devant les tireuses. Jacques m’avoue qu’ils ont accepté l’entrée du modernisme dans leur mur pour faciliter la vie de tous. Quand je demande si les parents des garçons s’occupent de la ferme, le visage de Jacques se ferme et me fait regretter d’avoir posé la question.
- Ils bossent tous les deux en ville et rentrent toujours vers dix-huit heures pour récupérer leurs fils.
- Ah, si je comprends, ils ne voulaient pas reprendre la ferme.
- Non et nous ne leur avons jamais demandé. C’est un métier dur et ingrat, nous ne voulions pas leur imposer ce mode de vie qui ne leur correspond pas.
Louis et Paul ont entendu leur grand-père et immédiatement le prennent par la main et lui disent sans hésiter :
- C’est nous qui nous occuperons des vaches et des champs quand nous serons plus grands, promis, papi.
Je vois les yeux bleus de Jacques s’illuminer et sourire. L’héritage sautera une génération, c’est peut-être tout aussi bien. Nous terminons les corvées et rentrons à la maison où Marthe nous attend.
- Victor monte te doucher, je t’ai déposé une serviette et tout le nécessaire sur le lavabo. Poses tes affaires dans la chambre, juste à côté.
- Et moi pendant ce temps, je vais aller voir si tout est ok pour ton vélo, me propose Jacques.
- Les garçons, allez vous laver les mains, vous vous doucherez après manger. Papa et maman m’ont demandé de vous garder cette nuit.
Aux regards échangés par Louis et Paul, je sais ce qu’ils éprouvent. J’ai souvent eu le même sentiment quand Joséphine me tenait le même discours. Être avec son papi ou sa mamie reste un moment privilégié. Marthe leur prépare une belle omelette avec les œufs qu’ils sont allés ramasser ensemble. Le repas est unique, assis entre les garçons, je joue sans m’en rendre compte au grand frère. Je leur raconte mon projet, tous m’écoutent avec attention, admiratif d’une telle expédition. Jacques me rassure, il a vérifié mon vélo, tout est ordre. Nous donnons un coup de main pour débarrasser la table et faire la vaisselle. Jacques se pose dans son fauteuil pour regarder le match de foot à la télévision. Paul et Louis ont l’autorisation de visionner la première mi-temps. Marthe après le souper, me propose de me démêler les cheveux. Je m’assois sans me faire prier et avec délicatesse, elle les remet en ordre. Mon cœur se serre, trop de souvenirs remontent encore à cette heure.
Je propose de mettre les garçons au lit et demande aux grands-parents je peux leur lire une histoire. L’accord est instantané, nous grimpons les marches des escaliers deux par deux, Je m’assois sur le grand lit que les frères partagent et commence à lire les notes écrites lors de mes dernières vacances. La lecture terminée, j’éteins la lumière, les garçons se sont endormis avant que je ne puisse terminer mon conte. Je ferme la porte et regagne la chambre prêtée pour la nuit. Mes yeux se ferment en rêvant à cette première journée exceptionnelle.
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