Après cet interlude, plongé en pleine nature, je jette un dernier coup d'œil sur l'étendue d'eau. Elle se transforme en une goutte perdue dans un océan de verdure tandis que je m'éloigne. Autour de moi, une bulle de sérénité m'enveloppe. En ce début d'après-midi, les automobilistes ont déserté la petite route que j’emprunte. Ils sont comme des petits grains de sable déposés sur le bord de la mer cherchant à exploiter au mieux leurs vacances qu'ils espèrent depuis une année. Je suis sous le charme de cette terre de solitude dans laquelle je me ressource.

La nature généreuse offre de belles cartes postales éparpillées sur mon parcours. J’hésite entre prendre le temps de le laisser filer ou m'attarder dans une allée fleurie au bord de l'étang. Depuis une heure, sur ma monture, j’avale les kilomètres sans effort. Léger, le vent me porte, il me pousse dans le dos. Le soleil se dépose sur ma peau et me tartine d'une belle couleur de miel. J’arrive sur la piste du Vélodyssée, une belle idée de l'avoir nommée ainsi. Cette route aménagée pour les amoureux de la petite reine longe le plan d'eau bordé de petits ports lacustres. Je quitte le littoral pour faire une incursion dans les terres, le bleu des vastes étangs remplace celui de la mer.

En passant dans le village de Gastes, mon regard est tout de suite attiré par le troupeau qui se repaît au bord de l'eau. Des vaches des Highlands se sont données rendez-vous pour un banquet. Je ralentis et descends de mon vélo pour les observer. Mes pensées vagabondent de l'une à l'autre et je m'imagine dans les landes écossaises. Mes yeux admirent le paysage qui se dessine au loin. Je craque, ce nouvel espace de découverte me tend les bras. J’accroche mon vélo et emprunte le chemin qui serpente entre les différents espaces si judicieusement pensés. J’erre dans les allées, une mine d'informations avec les panneaux parsemés de-ci de-là. L'étang de Biscarrosse-Parentis fut naguère le siège de l'hydraviation française. Je me rappelle des vacances organisées par mes parents. En un claquement de doigt, les événements historiques prenaient vie. Je ferme les yeux et me vois à mon tour suivre les traces d’Antoine de Saint-Exupéry ou Jean Mermoz à bord de leur dragon volant.

Dans mon sac, je trouve l’encas préparé par Emily ; un sandwich avec salade, tomate et jambon blanc emballé dans un papier. Elle a pris la peine d'écrire "Un estomac vide a besoin d'être rassasié, les fringales ne sont pas à envisager. Chaque bouchée te rapproche un peu de ton rêve, c'est ma maigre contribution à ton voyage". Elle a ajouté des abricots et un sachet de cookies, tout frais, qu'elle a confectionnés la veille. Je m'allonge sur un des transats. Face à moi, une mosaïque paysagère composée de boisements marécageux, de tourbières, de marais ou encore de vastes prairies pâturées bordent le lac qui abrite de nombreuses espèces animales. Alors mon âme s'envole, chaque battement d'aile m'emmène vers la capitale et chaque battement de cœur me ramène un peu chez moi.

Au loin, j’aperçois un groupe de jeunes qui poussent une brouette d'où débordent des planches de bois. Je les observe, ils s’installent vers le lavoir. Curieux, je les rejoins. Arrivé à leur hauteur, je les regarde faire. Quand tout à coup, l'un d'eux m'interpelle :

– Eh ! toi, viens nous filer un coup de main.

– Avec plaisir, qu’est-ce que vous faites ?

Le plus grand des deux, avec ses yeux noisette ourlés de vert, me sourit. Mes pensées vagabondent en observant son short en jean qui galbe merveilleusement ses fesses. Mes joues rougissent et je m'empresse de m'adresser au grand brun qui se tient à ses côtés :

• Bonjour, moi c'est Samy.
• Salut, moi c'est Lucas et voilà mon pote Tom.
• Et votre mission ?
• Une idée de Tom, monter une cabane à livres.
• Oh cool, c'est génial. Je peux vous aider.
• Tiens attrape le marteau, à trois on ira plus vite et après à nous la baignade.

Nous nous retroussons les manches et nous nous mettons au boulot. Lucas a mis sa playlist et l'ambiance se fait légère. Nous avançons à grands pas. En moins d'une heure, nous avons terminé. Nous reculons de quelques pas pour admirer notre chef d'œuvre. Tellement fiers d'eux, Tom serre Lucas dans ses bras qui le repousse légèrement avant de lui déposer un bisou sur les lèvres. Après avoir fait un selfie devant la cabane "aux petits mots doux », ils rangent les livres et Tom poste le tout sur Insta. Je partage avec eux les cookies. Lucas choisit un bouquin et déclame quelques vers d'Arthur Rimbaud à voix haute. C'est au tour de Tom de lire un passage de l'Amant Russe. Je reprends mon calepin et esquisse deux nouveaux personnages dans mon monde féerique.

Il est seize heures, quand nous réalisons que le temps s'échappe bien vite en si bonne compagnie . Tom regarde Lucas qui valide d'un hochement de tête. Le blondinet me dit :

• Samy si ça te dit, pour te remercier on t'invite à nous accompagner à un concert au bord du lac ce soir.
• Pourquoi pas ? Je devais arriver jusqu'à Biscarrosse, mais ici c'est tellement magique. Et puis personne ne m'attend.
• Alors c'est validé. Rejoins-nous au parking, on passe par notre appartement, tu pourras laisser ton vélo au garage et dormir sur le canapé.
• Je ne voudrais pas vous déranger.
• T'inquiète, tu es notre invité.

Je remonte sur mon destrier à deux roues. Voilà deux jours à peine que j’ai entrepris mon voyage et déjà tant de belles rencontres. Sur mon vélo, les idées fusent. Quel plaisir que de vivre tous ces petits riens qui font un tout débordant de bien.