Chapitre 22 : Victor "Un moelleux et un chocolat chaud."

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Candy me montre du doigt la maison dans laquelle elle vit, une grande façade blanche décorée de volets bleus. Devant se trouve un petit jardin joliment agencé d’hortensias qui se sont parés pour l’occasion de leurs plus beaux bouquets. Sur le mur, à côté de la porte se dresse un magnifique rosier avec des fleurs blanches odorantes. Ce parterre est un petit paradis dans lequel je pourrais rester des heures. De cette contemplation, je laisserais les mots qui se bousculent dans ma tête s’étaler sur la feuille. De ce simple geste jaillirait une cascade d’émotions qui se déverserait sur tout mon être.

Un parfum de chèvrefeuille vient à son tour tapisser mes narines, je le reconnaîtrais parmi des milliers. J’en suis à me demander si cette rencontre n’était pas programmée. Quand la maman de la fillette ouvre la porte, je m’attends à voir ma grand-mère apparaître. Arrête Victor, tu rêves. Ce n’est pas possible, tu es en plein délire. Avant de franchir le seuil, une petite main vient se blottir dans la mienne, elle est glacée. Son contact me ramène brutalement à la réalité. Quand je baisse mon regard, je l’aperçois si fragile et des larmes coulent au bord de ses yeux. Pourquoi est-elle aussi triste ? Il y a à peine une heure, elle riait à gorge déployée, quand j'ai accepté son invitation. Pourquoi tremble-t-elle tout à coup ? Pourquoi je crains de découvrir que tout n’est pas si rose dans son monde ?

Alors dans un élan auquel je ne m’attendais pas moi-même, je la soulève et la porte dans mes bras. Elle est si légère, une plume qui s’envolerait si je venais à la laisser s'échapper. Sa mère est déjà dans la cuisine quand nous apparaissons. Son visage a perdu de cette lumière, qu’elle m’a offerte dans le parc, gonflant mon cœur d’un peu de douceur. Elle s’installe derrière le plan de travail en silence et commence à éplucher les légumes pour composer une soupe.

Candy est toujours dans mes bras ne voulant plus me laisser partir, son étreinte est forte. Quand je propose mon aide pour préparer le repas, je retrouve ce sourire si doux dessiné sur ses lèvres. Elle accepte et me tend le couteau pour qu’à mon tour je puisse me rendre utile. Je dépose délicatement la princesse sur le tabouret du bar. Ses joues se colorent de rose, elle reprend vie devant mes yeux, un soulagement. Sa maman lui donne une assiette pour qu’elle découpe les courgettes. La tendresse que je perçois dans leurs regards me bouleverse et me rappelle que je n’ai jamais eu l’occasion de voir ma propre mère s’affairer en cuisine. De mon côté, mamie m’a tout appris et rapidement j'ai confectionné meslui repas afin de ne pas rester le ventre vide. Combien de fois ai-je attendu que l’un de mes deux parents me prépare un petit quelque chose.

Sentant qu’à mon tour mon visage se ferme, la jeune femme me demande :

– Victor, pourrais-tu me rendre un service ?

Comment refuser quoi que ce soit, à celle qui m’a ouvert sa porte sans me connaître. La cocotte mijote sur la gazinière, l’odeur qui s’en échappe me fait déjà saliver.

– Suis-moi s’il te plaît, c’est dans le bureau.

Nous montons à l’étage. Tout dans cette demeure est rassurant. Les couleurs pastels qui égaient les murs composent un camaïeu agréable et apaisant. L’escalier en bois craque sous nos pas. Ce grincement pour certains insupportable, est une douce mélodie que nous offre la maison. Sur le palier, je vois sur ma droite deux chambres et sur ma gauche un bureau. Je découvre la pièce dans laquelle je dormirai, un clic clac m’attend dans un coin. Sous la fenêtre, j'aperçois un grand bureau d’architecte sur lequel des croquis sont étalés. L’ordinateur portable est fermé et semble avoir été abandonné. Candy et sa maman sont restées à l’entrée, elles attendent. J’entends tout à coup sa petite voix me dire du bout des lèvres :

– Tu sais papa t’aurait aimé, lui aussi.

Ce que je craignais vient d’être énoncé clairement. Cette nouvelle transperce chaque parcelle de mon corps. Je reste un moment de dos, de peur de ne pas pouvoir dissimuler mes larmes. Mon père, depuis que je suis parti, n’a même pas pris la peine de m’envoyer un simple SMS pour savoir si tout allait bien. Je lui en veux de ne pas se soucier un instant de ma vie. Je reprends mon souffle. J’effleure du bout des doigts les croquis qui sont de vraies œuvres d’art et je me retourne. Elles n’ont pas bougé, figées. Dis un truc intelligent, ne laisse pas ce silence pesant devenir une éternité. Je prends mon courage à deux mains et me jette à l’eau le premier :

– Comment pourrais-je vous aider ? dis-je avec assurance.

– Il faudrait descendre les cartons et les charger dans ma voiture. Mais ne te sens pas obligé. Cela fait trois mois qu'ils sont posés ici et je n’arrive pas à le faire.

Les derniers mots se perdent au fond de sa gorge, je sens que c’est un vrai déchirement pour cette femme qui dégage tant de force, surement pour faire bonne figure devant sa fille. Aussitôt je m’empresse à prendre le premier qui est à mes pieds et commence les allers-retours entre l’étage et le garage. Le poids des souvenirs peut être terriblement lourd quand on doit le soulever seul. Pour ma part, n’ayant aucune attache, il m’est bien plus aisé de porter ces paquets loin de leurs regards. De leur côté, elles retournent en cuisine. La nouvelle odeur me motive. Le chocolat fondu me fait saliver, un moelleux, pour le dessert. Après une demi-heure d’un ballet incessant, je dépose le dernier carton dans le coffre. La voiture est pleine à ras bord. Tous les paquets sont minutieusement étiquetés, certains iront à la ressourcerie pour une seconde vie. Une autre partie prendra la direction d’un cabinet d’architectes et les derniers n’ayant pas d’autres destinations possibles échoueront dans la benne du tout venant de la déchèterie. Je ferme le coffre espérant qu’elles pourront tourner la page à leur tour.

La princesse se tient à mes côtés, elle se déplace sans faire de bruit et apparaît quand je m’y attends le moins. Elle a enfilé un pyjama licorne qui lui va à ravir. D’un coup, elle m'attrape par la taille et me serre fort. Je pose mes bras autour d'elle. Je sens son corps sursauter à chacun de ses sanglots. Je voudrais trouver les mots justes et lui offrir un peu de réconfort. D'un autre côté, si elle s'attache trop à moi demain quand je reprendrai la route je risque de la chagriner encore plus. Je me mets à genoux, l'écarte en douceur pour lui prendre son menton avec ma main et commence à chantonner "je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier de nous deux qui rira aura ... " J'hésite, je n'ai jamais apprécié la fin franchement c'est nul. Alors je décide "... aura un bisou". À peine ma phrase finie, elle se met à me chatouiller avec sa main libre. Je ne peux résister et je m'effondre au sol en me tordant de rire. Je la supplie de s'arrêter. Quand je la vois en faire autant mon cœur s'allège. Comme c'est agréable de voir ses yeux pétiller à nouveau.

Un "à table" se joint à notre partie de rigolade. Nous nous relevons et rejoignons Héléna, la maman de Candy qui nous appelle de la porte fenêtre. Nous entrons, nous nous lavons les mains. Etrange, je me sens comme chez moi. Cette famille, hier encore inconnue, se montre une terre d'accueil. Elle m'ouvre en grand ses bras. C'est tellement bien de se savoir apprécié pour ce que je suis et rien d'autre. Je m'assois à côté de Candy et nous dévorons notre repas. Avant le dessert, nous débarrassons la table pour libérer un peu de place. La demoiselle a négocié un temps supplémentaire avant d'aller se coucher. Elle dépose son plateau de petits chevaux. La princesse choisit les rouges et me tend les bleus. Héléna nous coupe une part de moelleux et ajoute une tasse de chocolat chaud. La partie débute, les six libèrent les chevaux qui s'empressent de montrer le chemin des écuries aux autres. Nos rires emplissent la pièce. Le temps file, emporté par les cavaliers qui esquivent tous les obstacles. Je me demande ce qui me plaît le plus : le jeu qui ne veut pas se terminer ou mon espoir d'une soirée sans fin.

L'horloge du couloir sonne vingt-deux heures en même temps que le téléphone. La jeune femme le saisit et s'éclipse dans le salon. À l'intonation de sa voie, il est clair qu'elle l'attendait. Candy tire sur la manche de ma veste et me dit :

- ça doit être mamie qui appelle pour s'assurer que nous allons bien. Maman en a pour un moment. Dis tu connais une histoire ?

- Oui tout un tas. Je peux même en créer une pour toi.

- Oh oui s'il te plaît. Il peut y avoir un dragon ?

- Quelle belle idée.

Nous nous installons dans la bibliothèque, elle se trouve dans la véranda couverte. Je m'assois sur la méridienne, Candy s'allonge à mes côtés, blottie sous une couverture. Je commence à poser avec douceur les premiers mots, plantant le décor : une forêt magique, un magicien, un dragon et bien-sûr, une princesse. Au bout de cinq minutes à peine, la belle au bois dormant s'assoupit un sourire aux lèvres. J'observe les étoiles qui brillent, petites fées se reflétant dans la piscine qui prolonge la terrasse. Une pensée fuse dans ma tête et à mon tour mon visage se détend. Sans m'en rendre compte mes yeux se remplissent de poussière, le marchand de sable a gagné.

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